5. Pricaz et Guste.
      Assis derrière son bureau parfaitement en ordre : dossiers en instance rangés dans des corbeilles superposées, crayons et stylos soigneusement alignés à portée de la main, l’inspecteur principal Pricaz relut le rapport du médecin qui avait examiné le jeune Vincent Lebrun la veille au soir.
...le décès semble dû à une fracture de l’occipital ou des vertèbres cervicales... et plus loin ...la face interne de l’avant-bras présente une trace de piqûre légèrement tuméfiée...
Il fallait attendre les résultats de l’examen médical complet pour avoir des certitudes. Une chute dans un escalier, certes plutôt raide, était-elle plausible ? Pricaz avait épluché le dossier scolaire de Vincent: élève moyen, pas très travailleur. C’est en éducation physique qu’il obtenait ses meilleurs résultats. Un garçon de quinze ans, sportif et en bonne santé pouvait-il se tuer en tombant tout seul dans un escalier ? La logique lui disait que non; mais il y avait également cette trace de piqûre ! Pourquoi un jeune adolescent sportif se serait-il adonné aux drogues dures ? L’inspecteur résolut de retourner au collège.

      Après avoir déclenché la serrure, Guste sortit de la loge en s’essuyant la bouche d’un revers de manche.
– Je vous dérange en plein repas, j’ai l’impression, s’excusa l’inspecteur.
– J’ai l’habitude vous savez.
– Vous mangez bien tôt, il est tout juste onze heures !
– C’est à cause du service. Il faut absolument que je sois disponible de midi moins le quart à deux heures un quart, à cause de la porte vous comprenez. Il faut que je sois là pour les entrées et sorties des enfants.
– C’est vous qui contrôlez les entrées et sorties des élèves ?
– Ah non ! Ça c’est le travail du surveillant. Moi, je m’occupe de la porte et c’est déjà beaucoup.
– Mais vous voyez tout depuis votre logement ?
– Oui, quand je suis dans la pièce d’entrée mais je n’y suis pas toujours.
– Avez vous parfois remarqué des gens bizarres ou des allées et venues inhabituelles ?
– Mais... Pourquoi vous posez toutes ces questions ? Ah...vous n’êtes pas parent d’élève...
– Je suis l’inspecteur principal Pricaz. Pouvons nous entrer chez vous quelques minutes ?
– Entrez monsieur l’inspecteur. C’est à cause de l’accident d’hier, oui ? Sur la table de la petite cuisine-séjour contiguë à l’entrée de la loge refroidissait le boeuf en daube purée du déjeuner de Guste.
– Oui, c’est ça. Mais je vous en prie, finissez votre repas, nous pouvons parler pendant que vous mangez.
– Pas de refus. C’est déjà pas très chaud quand ça arrive de la cantine... Un verre ?
Bien que le tire-bouchon fût encore sur la table, la bouteille de gamay de Savoie était déjà à moitié vide.
– Merci, non. Mais servez vous !
Guste remplit son verre ballon et le leva en direction du policier :
– Santé ! Qu’est-ce que vous m’avez demandé déjà ?
– Je vous demandais si vous aviez remarqué des choses inhabituelles autour du collège ces jours-ci.
– Quoi comme choses ?
– Par exemple des personnes qui abordent les grands à la sortie.
– N... non, heu oui, il y a bien cette bande de blousons noirs, des punks comme on dit maintenant. Il y a dedans un ancien de l’an dernier heu... Santo, Miguel Santo je crois.
– Et que font-ils à la sortie ?
– Pas seulement à la sortie ! Ils sont souvent là sur le trottoir à fumer et à rigoler. A midi, à quatre heures, ils interpellent les élèves qui sortent, les grands de troisième surtout.
– Et Vincent Lebrun discutait quelquefois avec eux ?
– C’est possible, mais je n’en suis pas sûr.
– Le principal sait-il que cette bande rôde autour du collège ?
– Je suis allé me plaindre une fois, au sujet des voyous qui s’amusent à sonner sans arrêt à la grille, mais ça n’a servi à rien, alors maintenant...
– Donc, une bande de punks, combien sont-ils ?
– Cinq ou six.
– Tous des garçons ?
– Non, il y a je crois deux filles avec eux.
– Je remarque que vous avez l’oeil, monsieur heu...
– Auguste Lemercier.
– Monsieur Lemercier, qui est chargé de faire le nettoyage ?
– Il y a une femme de peine et moi. Moi je fais la cour et les toilettes en plus du bâtiment administratif.
– Vous le commencez à quelle heure ce nettoyage ?
– À cinq heures, quand les élèves sont partis.
– Donc c’est la femme de peine qui s’occupe de l’autre bâtiment et c’est elle qui a trouvé...
– Non, non. La femme de service est en congé de maladie en ce moment et je dois tout faire moi-même.
– Alors c’est vous qui avez trouvé le corps ?
– Oui, j’ai aussitôt prévenu monsieur le principal. Il était en plein conseil de classe, même que d’habitude il ne veut pas qu’on le dérange, mais là...
– Je vous remercie monsieur Lemercier. Continuez à bien observer ce qui se passe dehors et prévenez moi si vous voyez cette bande. Voici le numéro de téléphone du commissariat, demandez-moi.
L’inspecteur sortit et se dirigea vers le bâtiment administratif en se frottant la nuque d’un geste machinal. Guste referma la porte et s’épongea le front d’un revers de manche. Revenu dans sa cuisine, il se servit un grand ballon de gamay qu’il vida sans respirer.

      Arrivé devant la porte du secrétariat, Pricaz frappa du doigt sur une vitre de la cloison contigüe et entra sans attendre l’invitation.
– Bonjour madame Golliet...
– Vous me connaissez ? Le visage de la secrétaire exprimait un étonnement interrogatif. Ah oui, hier, monsieur le principal a prononcé mon...
– Justement, je désire le voir à nouveau.
– Je vais demander.
Madame Golliet disparu derrière la porte de communication, un dossier prétexte à la main.
– Monsieur le principal, c’est le monsieur d’hier matin, Pricaz je crois, il veut vous...
– C’est un inspecteur madame Golliet, faites entrer !
– D’habitude, ils téléphonent avant de venir inspecter les professeurs...
– Un inspecteur de police, madame Golliet ! Faites entrer je vous prie.
Madame Golliet, rose de confusion, revint dans son secrétariat. L’inspecteur se frottait doucement l’arrière du crâne en regardant le tableau métallique sur lequel se trouvaient rassemblés les emplois du temps des classes.
– Monsieur le principal va vous recevoir.
– Dites moi, le jeune Lebrun était dans quelle classe déjà ?
– Heu... attendez. La secrétaire se dirigea vers un autre tableau mural couvert de fiches roses et vertes. Troisième D monsieur.