PETITS CONTES ÉCOLOGIQUES

18. LE PÈRE CHAMPI

é bonjour père Champi ! ,Vous n'êtes pas dans les bois aujourd'hui ?
— Bonjour, Yohan. Non, mon gars, comme tu vois.
— Pourtant il y a déjà des champignons ! Regardez cette photo que j'ai prise hier.
— Hum ! Joli spécimen de Morchella conica, encore un peu jeune, peut-être...
— Pourquoi dites-vous toujours le nom latin des champignons, père Champi ?
— Rien qu'en France, un même champignon peut porter jusqu'à dix noms différents alors que sa dénomination latine est la même partout dans le monde... mais si tu préfères, je peux dire... morille conique !


— Alors vous n'allez pas en chercher des morilles coniques ?
— Quel jour sommes-nous ?
— Vendredi 16 avril, pourquoi ?
— J'irai dans trois jours.
— Mais dans trois jours nous serons lundi ! Les chercheurs du dimanche auront tout ramassé !
— Peut-être, peut-être pas... Quand on passe après les autres, il suffit de chercher mieux ! Reviens me voir le 19 vers midi, j'aurai sûrement quelque chose à te montrer.
— Je vais vous prendre au mot, père Champi. À lundi donc ! Je vous laisse la photo.
— Merci, mon gars.


Yohan parti, le père Champi prit une puissante loupe et se mit à examiner soigneusement le cliché que lui avait laissé son jeune ami.

Ho ! Père Champi ! On est le 19 et c'est midi ! Alors, vous avez quelque chose à me montrer ?
— Regarde !
— Waouh ! Un panier entier de morilles noires, pardon, de morilles coniques ! Où avez-vous trouvé tout ça ?
— Dans le coin que tu m'as indiqué.
— Moi ? Je ne vous ai jamais rien dit de mon coin !
— Mais si ! Rappelle-toi : tu m'as donné une photo.
— Oui, mais rien sur celle-ci n'a pu vous indiquer l'endroit...
— Détrompe-toi ! Tiens, la voici cette photo ; je peux te la rendre maintenant que je connais ton secret ! Hi, hi, hi.
— Vous vous moquez de moi, père Champi.
— Mais non, mon petit Yohan, prends cette loupe et regarde attentivement ton épreuve.
— Je ne vois rien d'autre qu'une morille, bien nette d'ailleurs, sur un fond flou de verdure et de ciel.
— Tu es un bon photographe, Yohan, tu as dû te mettre à plat ventre pour faire une mise au point aussi soignée.
— C'est cela même, mais je ne vois toujours pas...
— Ce faisant, tu as capturé sur ta pellicule suffisamment de détails et d'indices pour me renseigner au-delà de mes espérances.
Regarde dans le flou, ton arrière-plan... Cette ligne de crête terminée par une large pyramide... Je ne connais que deux endroits dans les environs qui présentent ce type de relief.
Observe maintenant ces cailloux gris-blanc près du champignon : c'est à n'en pas douter du calcaire ; donc la montagne à l'arrière-plan est probablement le Trélod dans le massif calcaire des Bauges.
Comme la pyramide se trouve à droite de la crête, ta photo est prise du côté de Bellecombe.
Si on examine attentivement cette série de taches claires au second plan, on en déduit qu'il s'agit de maisons alignées comme celles du hameau du Mont de Bellecombe, donc ce cliché n'a pu être pris que depuis le bas de la combe du Sollier.
— Vous auriez fait un bon policier, père Champi.
— Ne mélangeons pas les genres, mon petit Yohan.
Fixe plutôt ton attention sur l'environnement immédiat de cette morille, tu peux noter dans les feuilles sèches l'aspect caractéristique de celle de l'érable et puis là une bogue de faîne, fruit du hêtre, comme tu ne l'ignores pas.
Si tu ajoutes à cela ces quelques brindilles qui sont, à n'en pas douter des nervures de feuilles de frêne, il ne me restait plus qu'à me promener dans la combe du Sollier du Mont de Bellecombe à la recherche d'un bosquet réunissant ces arbres, ce qui ne fut pas bien difficile.
Et voici le résultat : un bon kilo de champignons !
Tiens, prend le panier, Yohan, ces morilles sont à toi.


— Grand merci à vous père Champi, j'accepte avec plaisir. Mettez-les-moi dans une poche en plastique.
— Ah, mais non ! Jamais de la vie !
— Mais pourquoi donc ?
— Tu veux la disparition de l'espèce ou quoi ? Dans un sac en plastique, non seulement tes champignons vont être compressés, effrités, abîmés, ils peuvent même fermenter, mais surtout ils ne disséminent plus leurs spores !
— Tandis que dans un panier les spores peuvent s'envoler ou passer par les interstices de l'osier et se semer... J'ai compris, père Champi ! Je vous rapporterai votre panier demain...
— Un conseil encore : quand tu fais ta cueillette, laisse toujours un champignon adulte sur place, tu augmenteras ainsi tes chances d'en trouver d'autres les années suivantes.
— Oui... malin... Encore une question : pourquoi avez-vous attendu le 19 avril pour faire votre recherche ?
— Trois jours après la nouvelle lune, mon ami ! C'est toujours à ce moment que se produit la plus forte poussée, quel que soit le champignon !
— Vous êtes un vraiment un chercheur redoutable, père Champi !