erci grand-père pour ton livre de contes, j'ai tout lu !
Dis-moi : ce qui se passe dans l'histoire de Fomec, le caméléon, ce n'est pas vrai n'est-ce pas ?
Cela ne peut pas arriver ?
Les mouches ne peuvent pas envahir la terre parce qu'une seule d'entre elles n'a pas été mangée ?
— À cause de la disparition d'un unique caméléon, non, sûrement pas !
Mais imagine un instant que tous les prédateurs naturels des mouches disparaissent : plus d'oiseaux ni de chauve-souris, plus de grenouilles ni de lézards, plus de poissons insectivores ni de plantes carnivores ; alors là oui, les mouches se multiplieraient à l'infini, du moins tant qu'elles trouveraient de la nourriture.
La terre deviendrait rapidement invivable pour l'homme.
— Mais pourquoi grand-père ? Un homme est plus fort qu'une mouche !
— Oui apparemment, mais comme tu as lu dans ce conte et dans plusieurs autres, les mouches et autres insectes transportent des microbes et des virus responsables de maladies qui peuvent être très graves.
— Alors pourquoi est-ce qu'il y a des mouches ?
— Les insectes ont tous leur utilité sur terre. Ils servent par exemple dans la décomposition des déchets et des détritus, ils pollinisent les fleurs et donc permettent de récolter des fruits et, bien malgré eux c'est évident, ils servent aussi à nourrir d'autres êtres vivants.
— Si tous les insectes disparaissaient de la surface de la terre, tous les animaux qui s'en nourrissent disparaîtraient également et ainsi de suite.
À ce moment-là, oui, la vie sur terre deviendrait difficile pour l'homme et probablement même impossible.
— Cela n'arrivera pas, hein grand-père ?
— Rassure-toi mon bonhomme, cela n'arrivera pas tant qu'on saura préserver l'équilibre des espèces animales et végétales.
— Dis-moi, pourquoi le caméléon change de couleur alors que le lézard ne le fait pas ?
— C'est une vieille histoire mon petit. Écoute :
Il y a bien longtemps de cela, un ancêtre des lézards avait eu deux enfants, aussi différents de caractère qu'ils étaient semblables d'aspect.
Le premier, qui s'appelait Léon, était placide et lent tandis que le second, nommé Zard, était vif et nerveux.
L'un aimait les jeux calmes et tranquilles alors que l'autre préférait courir et bouger.
— À quoi est-ce qu'ils jouaient ?
— Le calme voulait toujours jouer à cache-cache tandis que le nerveux préférait jouer à touche-touche.
On préfère toujours les jeux dans lesquels on est le meilleur !
Zard aimait vivre au soleil sur les rochers tandis que son frère préférait se dissimuler sous les feuilles et les branches, alors, petit à petit, la peau de Zard finit par prendre la couleur du rocher tandis que celle de Léon devint verte et marron, comme les arbres de la forêt.
Quand arrivait l'heure du repas, Léon chassait à l'affût et attendait qu'une proie passe à proximité pour la capturer d'un coup de gueule tandis que Zard chassait à courre.
Pour échapper aux rapaces et aux autres prédateurs de lézards, Léon comptait sur sa facilité à se dissimuler, tandis que Zard faisait confiance à sa vitesse et son agilité.
Quand ils eurent l'âge de se marier, Léon choisit une fiancée à son image, douce et calme - mais à la langue bien pendue - alors que Zard lui, préféra prendre une épouse vive et primesautière, mais avec une langue de vipère ! –
Les enfants qu'ils eurent bientôt, comme tous les enfants de toutes les espèces du monde, ressemblèrent évidemment à leurs parents, d'aspect et de caractère, et c'est ainsi qu'il y eut d'un côté les Zard qui élurent domicile dans les endroits chauds et empierrés et de l'autre le camp des Léon qui préféra vivre à l'ombre dans la forêt.
— Tu me fais marcher grand-père, elle n'est pas vraie ton histoire !
— Elle n'est pas si fausse que cela ! Écoute :
Sur notre belle terre, seuls ceux qui savent s'adapter peuvent survivre.
Pour pouvoir attraper leurs proies dans les périodes de pénurie de gibier, les lézards du camp des Léon qui avaient une langue plus longue et plus collante que les autres pouvaient mieux attraper leurs proies et donc, c'est eux qui ont survécu et qui se sont reproduits.
On les appelle maintenant les caméléons. Tu comprends ?
— Je suis sûr que tu te moques de moi grand-père.
— Pas du tout ! Que ferais-tu si quelqu'un de plus fort que toi cherchait à t'attraper ?
— Je me sauverais en courant !
— Et si ton ennemi courait plus vite que toi ?
— Je me cacherais.
— C'est exactement ce qu'ont fait Zard et Léon.
— Les autres animaux font comme eux ?
— Il n'y a que les forts qui ne se sauvent pas ou ne se cachent pas. Au contraire ils montrent leur force comme le lion ou l'éléphant, pour impressionner les autres !
Mais les faibles...
Les faibles ne peuvent compter que sur leur nombre, leur vitesse ou leur ruse.
— Comment cela leur ruse ?
— Ils se cachent ou ils se déguisent...
— Un animal ne peut pas se déguiser !
— Mais si ! Écoute bien :
Autrefois, il y a très, très longtemps, les insectes n'avaient pas de couleur.
Ils étaient tous d'un vague gris-jaunâtre, terne et triste, jusqu'au jour où un énorme orage éclata sur tous les continents à la fois.
Il s'en suivit le plus gigantesque des arcs-en-ciel qu'on ait jamais vus : un arc-en-ciel qui faisait deux fois le tour de la terre !
Alors les insectes de tous les continents prirent leur envol vers les couleurs célestes, se roulèrent avec délice dans celle qui leur plaisait le mieux et dont ils désiraient se parer : les cétoines dans le vert, les hannetons dans le marron, les coccinelles dans le rouge, les libellules dans le bleu, certains en choisirent deux comme la guêpe ou le doryphore.
Les papillons qui ne savaient pas choisir se parèrent de toutes les couleurs.
Puis les insectes redescendirent sur terre, ravis de leur nouvel aspect.
Seulement voilà, parmi les papillons, il y en avait un qui s'appelait Robert.
Bien au sec dans son abri de cailloux recouvert de feuilles sèches, il n'avait rien entendu de l'orage ni rien vu de l'arc-en-ciel.
Quand Robert le papillon se réveilla, les premiers servis en merveilleuses couleurs redescendaient déjà et voletaient de-ci de-là pour sécher leurs ailes et se faire admirer.
Le pauvre Robert prit ses ailes à son cou, décolla le plus vite qu'il put et vola vers l'arc-en-ciel pour mettre un peu de couleur dans sa vie mais quand il arriva, dans les teintes qui lui plaisaient, il ne restait plus que quelques gouttes de jaune et de brun, à peine de quoi recouvrir la partie supérieure de ses ailes.
Très déçu, notre Robert finit par redescendre sur terre, et tous les autres papillons superbement colorés dansèrent autour de lui en se moquant.
Alors Robert se posa sur un tas de feuilles mortes, redressa ses ailes de façon à ce qu'on ne voit plus ses pauvres couleurs, et se mit à bouder.
— Je n'ai jamais vu de papillon en train de bouder, grand-père !
— Tu ne peux pas le voir, parce que notre Robert, sur son tas de feuilles mortes, est devenu complètement invisible ! Comme le diable ! C'est pour cela qu'on l'appelle maintenant Robert-le-Diable.
— Tous les autres insectes sont colorés ?
— Non mon petit. Tiens, je te donne un autre exemple :
Dans un buisson vivait une famille d'insectes qui s'appelait la famille Phasme.
La maman phasme, avec ses ailes trop courtes et son corps trop long avait bien du mal à voler, aussi, quand elle arriva au niveau de l'arc-en-ciel, il ne restait plus que deux couleurs disponibles, un peu de rouge et un peu de bleu.
Elle prit donc un petit pot de chaque et redescendit en vol plané vers le buisson où l'attendaient ses trois enfants.
L'aîné plongea immédiatement dans le pot de rouge tandis que le deuxième prit son bain dans le pot de bleu et il ne resta plus rien pour le cadet qui garda sa pauvre non-couleur d'un triste gris-jaunâtre.
— Il n'avait pas de chance d'être le dernier de la famille !
— Attends un peu.
Les phasmes vivaient dans un buisson d'herbes sèches qui leur servait à la fois de maison et de garde-manger... puisque c'est un insecte herbivore !
Mais le phasme rouge et le phasme bleu se voyaient comme le nez au milieu de la figure dans le décor gris-jaune de ce buisson sec.
Alors bien sûr tous les prédateurs se précipitèrent et se régalèrent car, même coloré, le phasme est un mets délectable, du moins pour ceux qui aiment manger les insectes.
Seul survécut le cadet des phasmes parce que personne ne put l'apercevoir tellement il se confondait avec le décor d'herbes sèches.
Tu vois mon petit comme il peut être dangereux de contrarier la nature.