Après la réunion du cabinet d’avocats de la ville au cours de laquelle Adrien avait pu déléguer ses dossiers de droit commercial en cours à un collègue, il était revenu chez lui l’esprit plus libre, prêt à s’investir encore plus dans cette affaire concernant sa famille. Inquiet de la baisse de moral de son beau-père, qu’il minimisa en racontant ses avancées à Flora, il voulut savoir où en était sa requête en annulation de l’instruction. Avait-il pu obtenir le dessaisissement du juge Baujour ? Il opta pour passer un coup de téléphone au bureau du juge.
« Où ai-je mis le carton que la greffière m’a remis ? »
Il fouilla puis vida sa mallette sur la table de leur salle à manger, il fut quelque peu étonné de trouver deux bristols, le premier concernait le greffe du bureau du juge et le second les coordonnées personnelles de la jolie greffière.
Madame Nadège Valet
natval@orange.fr
0662260644
« Tiens tiens, cette charmante personne aurait-elle un message à me faire passer ? Il vaudrait peut-être mieux que j’utilise ce canal parallèle. C’est probablement ce qu’elle a voulu me faire comprendre.
Mail ou phone ? Plutôt un coup de fil. J’ai l’impression que cette personne est assez sensible à la voix.
Mais je vais attendre l’heure de la sortie des bureaux pour ne pas la gêner. En attendant, je vais vider la boite aux lettres de Yannick. »
— Flora ? Tu as les clés de l’appartement de ton père ?
— Dans le tiroir secret de la commode de l’entrée. C’est important ?
— Il faut que je relève son courrier.
— Tu veux que je vienne avec toi ?
— Si ça te fait plaisir, oui, mais ce n’est pas indispensable.
Le paquet de lettres qu’Adrien ramena du domicile de son beau-père, s’il contenait beaucoup de factures diverses, n’en contenait aucune émanant d’une régie de péages d’autoroutes. « Il m’a pourtant indiqué posséder un badge ! Pourquoi n’a-t-il pas reçu de facture ? Est-ce qu’il serait revenu sans prendre d’autoroute ? Là ce serait très mauvais pour nous. »
— Flora, tu reçois nos factures de péages tous les mois n’est-ce pas ?
— Oui, c’est ça, sauf quand nous ne prenons pas l’autoroute pendant plus d’un mois.
— Tu peux me montrer notre dernière facture ?
— Je ne l’ai pas imprimée, Va voir dans l’ordinateur, dossier « Mes documents », sous-dossier « Mes PDF. »
— Nous ne les recevons pas par courrier postal ?
— Non, j’ai opté pour tout recevoir par courriel, c’est plus écologique.
— Ah, d’accord. Je suppose que ton père faisait pareil ?
— Probablement, il est encore plus écolo que nous. Il a opté pour le prélèvement automatique des sommes dues.
— Flora, il faut que j’accède à son PC, tu connais son mot de passe pour se connecter à ce site autoroutier ?
— Euh non, mais il y a moyen de le retrouver, comme le nôtre, il est probablement stocké dans son logiciel de courrier.
— Et s’il n’y figure pas ?
— Retrouve une de ses anciennes factures, tu auras son numéro de client et avec ça tu pourras te connecter à son compte. Comme pour nous, elle doit se situer dans « Mes documents, mes PDF. » C’est lui qui m’a incité à adopter ce type de classement.
— Et pour démarrer son ordinateur ?
— Le début des prénoms de ses petits-enfants : GautChlo. Chaque fois qu’il démarrait son ordi, il pensait à nos enfants.
— Il est adorable ton père, il faut absolument le sortir de là. Je retourne à son appartement.
Adrien se trouvait encore devant l’écran du PC de Yannick quand son téléphone émit la sonnerie attribuée à son épouse.
— Oui Flora ?
— Je veux savoir où tu en es, cela fait deux heures que tu es parti.
— J’ai mis longtemps parce que, outre ce document que je recherchais, je voulais faire des tirages papier des photos que j’ai prises dans la maison du toubib. Les buses de l’imprimante étaient bouchées. J’ai dû faire quatre nettoyages successifs pour obtenir des impressions convenables. Sinon, j’ai enfin la preuve que ton père a bien pris l’autoroute A26 à l’entrée Guignicourt à huit heures vingt-neuf ce jour-là. Dans le détail, j’ai aussi celle qu’il a quitté le réseau à la sortie Eloise de la A40 à quatorze heures et deux minutes. Si le toubib n’était pas rentré de son voyage vingt-quatre heures plus tôt que prévu, avec ça, Yannick aurait été hors de cause.
— Si cela ne suffit pas à l’innocenter, pourquoi as-tu encore besoin de ce document ?
— C’est une preuve qu’il a dit la vérité sur son emploi du temps et donc la présomption qu’il dit la vérité sur tout le reste. Flo, je ne vais pas rentrer tout de suite, je dois téléphoner au bureau du juge pour connaitre les suites de ma requête en dessaisissement. À tout à l’heure.
« Allo, bonsoir mademoiselle Valet, Adrien Lacourt à l’appareil, je ne vous dérange pas ?
— Ah, bonsoir maitre. J’ai cru que vous n’aviez pas compris pourquoi j’ai ajouté ma carte personnelle à celle du juge.
— J’ai été fort occupé à tenter de connaitre la vérité sur cette malheureuse affaire. Savez-vous où en est ma requête ?
— Refusée. Le juge Baujour garde la main sur l’instruction. Il va transmettre le dossier au procureur dans la semaine qui vient.
— Vous avez le nom et les coordonnées du procureur ?
— Je vous les transmettrais par mail si j’ai…
— adrienlacourt en un seul mot et en minuscules @savavocat.fr. Le juge a-t-il au moins diligenté d’autres enquêtes comme je le lui avais suggéré ?
— Pas à ma connaissance. En fait vos demandes, toutes légitimes à mon avis, n’ont fait qu’irriter le juge. Je souhaitais que vous m’appeliez car il a appris que le docteur assassiné est rentré de son voyage un jour plus tôt qu’annoncé et c’est la raison pour laquelle votre beau-père se trouve en détention préventive. Même si la sincérité de ce qu’il a dit sur l’horaire de son retour chez vous est établie, il n’a plus d’alibi. Je voulais vous en faire part.
— Je vous remercie infiniment, mademoiselle de vous impliquer pour moi. Savez-vous si le juge a pu auditionner madame Brigitte Depierre ?
— Nous nous déplaçons nous-mêmes à Reims lundi matin. Le juge veut se faire directement un avis.
— Sans trahir le secret de l’instruction, pourrais-je, en tant qu’avocat de monsieur Yannick Lefevre, être mis rapidement au courant de ses conclusions ?
— Normalement oui, toutes les pièces du dossier doivent vous être communiquées. Vous faut-il autre chose ?
— Il me manque le rapport complet d’autopsie, le rapport balistique, l’emplacement des douilles éjectés, les témoignages de l’enquête de voisinage, le rapport de la gendarmerie, les photos du corps sur place, les attendus de la mise en détention, bref je n’ai rien et il me faut tout.
— Comme vous avez pu le constater, le juge n’aime pas qu’on lui dicte ses actions, mais je vais lui dire que j’ai oublié de vous envoyer les procès-verbaux et là je pense qu’il va m’ordonner de le faire avant sa prise de congés.
— On dit que les femmes sont plus fines que nous les hommes, j’en suis de plus en plus convaincu. Quand le juge Baujour a-t-il prévu de prendre ses vacances ?
— Quinze jours début août, comme moi.
— Merci beaucoup pour tout, mademoiselle Valet.