36. Jour de joie.
 Lorsque Yannick et Adrien sortirent de la salle du tribunal et s’engagèrent fans la galerie ogivale du palais de justice, ils se trouvèrent face à une meute de journalistes tendant veux eux micros et smartphones, des flashes crépitèrent tandis qu’au premier rang se tenait un homme équipé d’une caméra marquée FR3 sur son épaule.
— Maitre, maitre, maitre Lacourt, allez-vous maintenant défendre la veuve Depierre et son voisin ?
— J’aurais du mal à défendre des gens que j’ai contribué à mettre en cause.
— Combien avez-vous obtenu de victoires dans les procès que vous avez plaidés ?
— En droit pénal un sur un, en droit commercial, beaucoup.
— Où se trouve votre cabinet ?
— À Annecy en Haute Savoie.
— Monsieur Lefevre, quelle est votre réaction ? Que ressentez-vous ?
— Un grand soulagement pour moi, une immense gratitude pour mon gendre maitre Lacourt.
— Vous êtes parents ?
— Depuis onze ans, sourit Yannick.
— Maitre Lacourt, comment envisagez-vous la suite ?
— Pour ma famille et moi, retour en Haute Savoie.
— Et pour la femme Depierre et son présumé complice ?
— Sombre avenir pour les deux. Ils vont avoir du mal à se dépêtrer de leur tissu de mensonges.
— Vous les croyez coupables ?
— Un avocat n’a pas à croire, il doit récupérer des éléments de défense et les mettre en exergue mais en l’occurrence pour eux, ce n’est pas mon travail.
— Pourquoi avez-vous inversé l’ordre réquisitoire plaidoirie ?
— Maitre Lacote est un homme intelligent. Ayant eu connaissance des mêmes éléments que moi, il savait qu’il n'avait aucune chance de faire condamner monsieur Lefevre. Ainsi il a eu le dernier mot en obtenant la relaxe pure et simple de mon client. Je vous remercie.

 Entrainant son beau-père par le bras, Adrien hâta le pas vers le bout de la galerie et la sortie du palais. Là se trouvait Flora mais aussi une jeune femme qui, un grand sourire éclairant son visage, applaudit vigoureusement les deux hommes en disant : « Bravo maitre Lacourt, félicitations, vous avez fait exactement ce qu’il fallait. Bravo encore ! »
— Venez, dit Flora rayonnante de bonheur, j’ai retenu une table en terrasse à la brasserie du Parvis et il y a une bouteille de champagne au frais.
Quand tous trois furent confortablement installés, que le serveur eut apporté le seau à champagne et qu’ils eurent vidé la première coupe, Flora demanda à son mari :
— Qui était cette jeune femme pas loin de moi, plutôt jolie et qui t’applaudissait avec tant d’enthousiasme ?
— La greffière du juge d’instruction, celle que tu imaginais triste, grise et poussiéreuse, celle qui m’a donné ses coordonnées personnelles pour m’aider à obtenir plus vite les papiers nécessaires à la défense de ton papa, celle qui parle le langage des fleurs, madame Nadège Valet.
— Ne serait-elle pas un peu amoureuse de toi ?
— Holà ! Stop les questions sentimentales ! Buvons plutôt encore une coupe de cet excellent champagne avant de commander, fit Yannick en sortant la bouteille du seau. Ah, Château Thierry, dit-il en lisant l’étiquette, c’est un champagne de l’Aisne, du lieu de mon premier poste de prof de math. C’est pour ça qu’il est si bon ! s’amusa-t-il.
— Avant de me resservir, est-ce que tu veux rentrer à Saint Jorioz dès cet après-midi, demanda Adrien.
— J’ai loué l’appartement jusqu’à dimanche midi, renseigna Flora, rien ne nous presse.
— J’ai une proposition, dit Yannick, je suggère de profiter de demain samedi pour vous faire connaitre les beautés de la ville haute, moins le palais de justice, bien sûr ! Qu’est-ce que vous en dites ?
— Ça me va ! fit Adrien en tendant sa coupe vers son beau-père. À la liberté !
— D’accord aussi, accepta Flora. C’est vrai ce que tu m’as dit, la ville haute vaut le voyage.
— Absolument poursuivit Yannick, autant sur le plan architectural que culturel ou historique. Par exemple, savez-vous que Laon fut capitale de la France sous les rois Carolingiens ?
— Quels rois ? demanda Adrien par politesse.
— Charles le Simple, Louis IV d’Outremer, par exemple.
— Et pour la culture ?
— Les frères le Nain dont les tableaux valent des millions sont natifs de Laon, le père Marquette explorateur du Mississipi est également d’ici.
— Tu ne peux pas t’empêcher de faire le prof, hein papa ?
— Comme ton mari de faire l’avocat ! Et il le fait fort bien ! Donc demain, promenade : le tour de la ville haute, avec visite de la cathédrale, les remparts, la porte d’Ardon, la porte des Chenizelles, la porte de Soissons, les vieilles rues, les Écoles Normales. Ça vous va ?
— Parfaitement, acquiesça Flora.
— Alors commandons, je vais prendre une flamiche aux poireaux, heu non, plutôt au maroilles.
— Moi, une ficelle picarde, choisit Flora.
— Je prendrai omme ma femme, bien entendu, s’amusa Adrien.
— Est-ce que tu ne dois pas passer à la prison pour récupérer des affaires ? demanda Flora.
— Ils peuvent tout garder, je n’ai aucune intention de retourner par-là.
— Est-ce que tu as envie de faire un détour par Guignicourt dimanche ? continua Adrien. Non Yannick, je plaisante. Plus sérieusement, désires-tu que je fasse appel pour t’obtenir réparation financière pour détention provisoire suivie de relaxe ? Tu y as droit pour préjudice moral et frais d’avocat parce que je vais te faire une note salée !
Yannick regarda son beau-fils sur les lèvres duquel flottait un sourire ironique.
— Je n’ai qu’une envie, mon cher Adrien, oublier tout ça, et au plus vite !
— Bon, alors je crois que je vais oublier la note d’honoraires.
— Je me demande une chose, dit Flora, quel a été le point de départ de cette sombre histoire ? Qui a imaginé ce scénario sordide ? Pourquoi toi, papa ? Personne ne pouvait prévoir que tu allais t’inscrire sur « les Copains d’école ».
— À mon avis, expliqua Adrien, comme l’occasion fait le larron, les circonstances ont dicté le scénario.
Brigitte Depierre, depuis longtemps femme malheureuse dans son couple, renoue une relation son ancienne connaissance Lucien Combeau, probablement grâce au site des « Copains d’école. »
Lorsque cela se présente, elle lui signale que la maison voisine de la sienne est à vendre et il saute sur l’occasion de se rapprocher de son ancien amour.
Ils vivent alors en cachette une nouvelle idylle mais dépendent des absences du mari pour se voir, ce qui finit par leur peser.
Bien plus tard, Brigitte Depierre est avertie par « les Copains d’école » que Yannick vient de s’inscrire sur ce site de retrouvailles, elle s’arrange alors pour qu’ils se revoient. Elle se rend vite compte qu’il apprécie leur rencontre.
Elle apprend qu’il doit bientôt revenir dans la région et je pense que c’est à ce moment-là que germe dans la tête des deux amants l’idée diabolique.
Elle fait en sorte que Yannick accepte l’hébergement qu’elle lui propose. Le mari est en voyage avec sa Dulcinée, il ne doit rentrer que le samedi onze juin, Yannick sera encore là, ils minutent leur plan. Avec ses atouts de femme encore séduisante, Brigitte fait en sorte d’harponner son ancien amoureux et toi Yannick, serviable et généreux, tu laisses des empreintes partout y compris sur le fusil de guerre.
Ils connaissent l’horaire de l’avion de retour et calculent que le mari sera à la maison vers neuf heures du matin. Leur plan se trouve un peu perturbé lorsque tu décides de partir tôt le lendemain. C’est alors qu’ils imaginent le stratagème du congélateur pour faire coïncider l’heure de la mort avec celle de ta présence.
Lucien Combeau se munit de gants en latex, approvisionne, arme le fusil de guerre et se met en attente au premier étage car, en tant que voisin, il sait que la première chose que fait le médecin quand il revient est d’admirer les massifs de fleurs de son jardin.
C’est probablement vers dix heures du matin que les coups de feu ont été tirés.
— Ce que je ne comprends pas, c’est que personne ne se soit ému du bruit du fusil, fit remarquer Flora.
— Depierre était un chasseur collectionneur d’armes, il est probable qu’il faisait des essais de fusil de temps à autre, sans compter, comme l’a dit Lucien Combeau, que circulent par-là aussi des jeunes sur des mobylettes aux pots d’échappement trafiqués.
Donc double coup de feu, le toubib s’écroule dans le massif de lys, il y perd beaucoup de sang. Les deux complices placent alors le corps dans le congélateur pour le gibier à plumes, probablement sur une bâche en plastique pour éviter les écoulements de sang sur le fond du frigo.
Ils font le calcul pour que la température du corps soit de vingt-deux degrés vers vingt-trois heures de façon à faire estimer la mort à huit heures du matin. Brigitte part ensuite pour Reims dans le but de se créer un alibi grâce à une facture de restaurant plus un ticket d’entrée au musée de l’auto. Quant à Lucien Combeau, personne n’ira le soupçonner car il a toujours pris soin de cacher sa liaison avec Brigitte.
Mais seconde anicroche à leur plan, Claire Métral, la secrétaire et néanmoins amante, témoigne sous serment de l’heure réelle du retour du docteur Depierre, ce qui met Yannick complètement hors de cause grâce à son badge d’autoroute et à la facture qui va avec.
Le calcul de la trajectoire de la balle mortelle, les petits indices sur le corps du toubib, dans le jardin et dans le congélateur deviennent accablants pour le couple meurtrier.
— Lucien Combeau va prétendre n’être pour rien dans tout cela, il n’y a pas de preuves directes contre lui, argumenta encore Flora.
— Je vois mal une femme comme Brigitte manier un fusil de guerre, soulever un corps de quatre-vingt-cinq kilos pour le mettre dans un congélateur, le ressortir ensuite pour installer la mise en scène dans la maison. Il sera évident pour tout le monde qu’elle a eu un complice. Sa liaison avec Lucien Combeau finira par être révélée et à son tour il est probable qu’elle l’accablera, comme elle n’a pas hésité à faire accuser Yannick qui pourtant l’aimait bien.
Allez, ne sois pas triste Yannick, elle aura ce qu’elle mérite et surtout, ne va pas la plaindre.
— Papa, comme tu as bien fait de rompre avec ce dragon quand tu avais vingt ans et super bien fait de renverser Agnès au ski. Je suis là pour te dire merci.

Manchettes des journaux locaux du lendemain :

Mise en examen des amants diaboliques de Guignicourt.
Procès de Laon, relaxe pour l’accusé.
Procès de Laon, une nouvelle étoile du barreau est née.