L’emplacement réservé par Gilles consistait en une belle terrasse herbeuse située dans la partie haute du camping encore très peu occupé en cette présaison. La vue portait sur la vallée, le torrent, un petit hameau de Saint Thomas sur l’autre rive, et, dans le lointain, le bleu turquoise des eaux du lac. Suivant l’avis de Gilles, ils attachèrent leurs vélos les uns aux autres à la limite forestière de leur emplacement avant de déplier les tentes. Celle fournie par le grand-père de Valentin, dévolue à Lucie et Eva, attira la curiosité de tous quand il montra le fonctionnement du mécanisme parapluie. Tout en manœuvrant, il expliqua :
— Vous glissez vos mains par le sas d’entrée, vous cherchez la coulisse d’ouverture sur le petit manche en alu, vous la levez et clic, la tente est prête. Là c’est l’extension « chaussette » pour mettre les sacs. On va quand même fixer les quatre coins par des sardines mais en montagne quand on est dedans, ce n’est même pas la peine. Regardez fit-il en soulevant la tente légère, le tapis de sol peut s’ouvrir de l’intérieur. Ce n’est pas un défaut, c’est prévu en cas de bivouac en haute montagne pour pouvoir pendre de la neige sans avoir à sortir dans la tempête.
— Pourquoi prendre de la neige ? interrogea Lucie.
— Pour la faire fondre, chauffer sur un mini-réchaud et faire la soupe ou simplement du thé par exemple.
— Super ingénieux, commenta Florian, ça me donne envie de faire de la haute montagne.
— On installe les tentes en rond, suggéra Mathilde, toutes les ouvertures vers le centre, ça fera campement d’indiens.
— Bonne idée, approuva Quentin, récupérons nos tipis les squaws.
— Bouboule, je te laisse déplier l’habitation, moi, j’installe la canadienne pour le matériel, déclara Florian.
— Place-la au plus près de la prise d’électricité Flo, conseilla Gilles, ma rallonge électrique ne fait que cinq mètres.
— OK boss.
— Tiens, pourquoi elle a deux toits ? s’étonna Pauline quand, après avoir posé les mats, Florian installa le double toit.
— Parce qu’avant les tentes modernes, les toiles n’étaient pas vraiment étanches, répondit-il.
— Menu de ce midi : une tranche de melon et ravioli pour tout le monde, annonça Quentin. Qui pour m’aider ?
— J’arrive dès que j’ai fixé la tente de Florian, répondit Pascal toujours serviable.
— Moi aussi, se proposa Eva.
— Bon, Eva s’il te plaît, puisque ta tente est prête, tu peux aller remplir la vache pendant que j’installe le gaz ?
Eva ouvrit des yeux ronds derrière ses lunettes rondes.
— Tu te moques de moi Quentin ?
— Mais non, une vache c’est ça, rigola-t-il en désignant un seau en forte toile à l’entrée de la tente réservée au matériel.
— Jamais de l’eau ne pourra tenir dans un sac en toile, ça va fuir de partout, objecta Eva.
— Et puis tu ne vas pas faire cuire à l’eau les raviolis en boite, ajouta Pascal.
— Ha ha ha ! Mais non ! Un, je vais faire réchauffer les boites de ravioli au bain Marie dans une grande casserole d’eau et deux, il faut toujours avoir un seau d’eau tout près quand on cuisine en plein air, pour éteindre un éventuel départ de feu. C’est une précaution élémentaire que j’ai apprise chez les scouts.
— T’es scout toi ? s’étonna Florian, première nouvelle.
— Ben oui, scout laïc.
— C’est chez eux que tu as appris la chanson que tu as chanté au camp du collège l’an dernier ?
— « Allons au-devant de la vie, allons au-devant du matin... », chantonna Quentin, non, ça c’est mon grand-père qui la chantait, il faut dire qu’il a aussi été scout et mon père également.
Quand Eva fut revenue de sa corvée d’eau, Quentin versa la moitié du contenu de la vache qui ne fuyait pas dans une grande marmite qu’il installa sur le camping-gaz monté par Florian puis, sortant son couteau suisse, se mit à ouvrir les boites de raviolis.
— Bouboule, tu veux bien préparer les melons ? commanda gentiment Quentin. Tu les coupes en quatre et tu les mets dans les assiettes au soleil.
— T’es fou ! Ils vont chauffer ! Un melon c’est bien meilleur frais.
— C’est pour les rafraîchir que je te dis ça.
— On a un drôle de cuisinier, s’amusa Lucie.
— Quentin a raison, intervint Valentin. En Australie, pour rafraîchir une pastèque, on la coupe en deux et on l’expose quelques minutes au soleil. Mon père m’a expliqué que le jus en surface pour s’évaporer utilise le soleil bien sûr mais aussi il prend la chaleur du fruit qui se rafraîchit alors un peu.
— Bon, ben l’école comme ça, j’apprécie, dit Pauline en disposant les couverts en plastique sur les deux tables en bois voisines de leur emplacement.
— Qu’est-ce qu’on fait c’t’aprem ? demanda Florian à la cantonade quand ils furent attablés, ping-pong, volley, badminton, boules ? J’ai vu qu’ils prêtent du matériel à la réception.
— Badminton, répondit Amandine.
— Badminton enchérirent Emily et Mathilde.
— Bon, ben badminton, concéda Florian. J’organise trois tournois : simple filles, simple garçons et double mixte, ça vous va ?
— Et ce soir, veillée feu de camp si le patron veut bien, ajouta Gilles. Je crois qu’il y a un emplacement réservé pour ça vers le bas du camping. S’il est d’accord, il faudra faire une corvée de bois.
— Avec la forêt juste à côté, ça va être facile si on s’y met tous, déclara Olivier.
— C’est vrai que le melon est frais, admit Pascal, je dois dire que je n’y croyais pas.
— Extras tes ravioli, complimenta Florian, tu es un fameux cuisinier se moqua-t-il.
— C’est que j’ai un excellent ouvre boite, répliqua Quentin en levant son couteau suisse.
— Nous avons acheté des couverts jetables, mais on ne va rien jeter, déclara Mathilde. Les assiettes, les gobelets et les couverts en plastique, ça se lave. D’ailleurs nous n’en avons pris que quinze de chaque donc corvée de vaisselle ! Qui vient avec moi pour cette fois ?
— Je veux bien, déclara Charly à la surprise de quelques-uns.
Les matches du tournoi de badminton venaient de se terminer couronnant Florian chez les garçons, Emily chez les filles ainsi qu’Amandine associée à Quentin en double mixte. Les joueurs s’apprêtaient à passer à la douche quand, à la lisière de la forêt, surgit Eva, affolée, livide, échevelée, lunettes de travers. Elle hoquetait et tremblait, respirait par saccades.
— Qu’est-ce qui t’arrive Eva ? se précipita Bouboule.
— Là-bas... Là-bas. fit-elle en tendant un bras vers les arbres de la forêt.
Bouboule la prit gentiment par la main et la conduisit vers la table et les bancs de pique-nique.
— Assieds-toi et raconte-nous calmement, dit-il en mettant un bras autour de ses épaules. Qu’est-ce qui s’est passé là-bas ? Tu es tombée ? Tu t’es fait mal ?
Elle secoua nerveusement la tête.
— Non. Là-bas, j’ai vu... j’ai vu...
— Calme-toi, Eva, tu es avec nous maintenant, tu ne crains plus rien, intervint Gilles. Qu’est-ce que tu as vu là-bas ?
— J’ai vu... J’ai vu... un ours !
— Répète ? demanda Gilles interloqué comme toute la bande.
— Dans la forêt, j’ai vu un ours, redit Eva en retrouvant un semblant de respiration normale.
— Allons, Eva, il y a des ours dans les Pyrénées mais il n’y en a plus dans les Alpes depuis plus de cent ans ! Tu as vu un gros blaireau, réfuta Mathilde.
Eva secoua la tête avec un début de colère.
— Je sais reconnaître un ours ! Il était marron foncé, il montrait les dents, il était dans un buisson. Je l’ai entendu se déplacer. C’était un ours !
Valentin à son tour s’approcha de la jeune fille, s’accroupit face à elle et dit doucement.
— Eva, je suis sûr que tu as vu et entendu quelque chose, c’était dans quelle direction ?
Eva tendit un bras vers la forêt, en aval du camping.
— Par-là !
— Loin ?
— Je ne sais pas trop, quatre cents mètres peut-être.
— Comment y es-tu allée ?
— Derrière les tentes, il y a un cheminement qui rejoint une sente qui monte vers le col d’un côté et qui descend vers le hameau ou habite Pauline de l’autre. Je l’ai suivie en descendant, je voulais ramasser du bois pour ce soir.
— En descendant, OK. Ce que tu as vu était sur la droite ou sur la gauche ?
— À gauche.
— Je vais voir, décida Valentin.
— Tu es fou, Val, un ours c’est hyper-dangereux ! objecta Gilles.
— Tu vas mourir Val, n’y va pas ! s’écria Bouboule.
— Bah, si Val y va, c’est qu’il est persuadé que Eva a confondu avec un bout de tronc de sapin un peu biscornu, raisonna Florian.
— Je n’ai rien confondu du tout, j’ai vu un ours ! se rebiffa Eva, et je l’ai entendu marcher !
— Valentin, dit Emily d’une voix douce, un ours est un animal sauvage dangereux, nous ne voulons pas qu’il t’arrive quelque chose.
— Eva a vu un ours, c’est certain, elle n’a pas l’habitude d’inventer des histoires. Si nous n’en avons pas le cœur net, personne ne pourra dormir cette nuit, n’est-ce pas ? trancha Valentin.
— Il vaudrait mieux appeler un chasseur pour le tuer, suggéra Olivier.
— Jamais de la vie ! s’écria Lucie. Tous les animaux ont le droit de vivre ! La seule chose acceptable, c’est qu’on l’endorme pour le déplacer.
— Nous discutons dans le vide, reprit Valentin, il faut savoir, alors j’y vais. Priez pour moi ajouta-t-il en riant en se dirigeant vers la forêt.
L’attente dura près d’une demi-heure. Les adolescents étaient partagés entre l’inquiétude et l’admiration.
— C’est quand même quelqu’un notre Valentin, observa Florian, il n’a peur de rien ni de personne.
— C’est vrai ça, rappelez-vous la vipère, ajouta Bouboule.
— C’est quoi cette histoire de vipère ? demanda Emily.
— C’est vrai que tu ne faisais pas encore partie du groupe, reconnut Pascal, regarde cette photo, dit-il en sortant son smartphone et en amenant à l’écran le cliché de Valentin tenant à bout de bras une vipère par la queue.
— Oh my God ! C’est vraiment une vipère ?
— Absolument ma belle. Une vipère rouge ! Je voulais la tuer mais il m’en a empêché. Il l’a capturée pour bien nous montrer comment la reconnaître, puis il l’a relâchée, expliqua Florian.
— Oui, mais un ours c’est autre chose ! Qu’est-ce que tu en penses Lucie ? Toi qui es la meilleure pour tout ce qui concerne les fleurs et les animaux, demanda Gilles.
— Là, je ne sais pas trop. Le seul animal ressemblant de loin et en petit à un ours, c’est le blaireau comme a dit Mathilde. C’est peut-être à ça qu’il pense, expliqua Lucie.
— Valentin est un type réfléchi, il ne prend jamais de risques inutiles, je peux vous le dire, continua Gilles, il va revenir.
À ce moment précis, comme si Gilles avait eu une prémonition, annoncé par quelques craquements de branches mortes foulées aux pieds, parut Valentin, un peu ébouriffé mais toujours aussi calme.
— Eva a effectivement vu un ours ! annonça-t-il.
— Tu nous fait marcher toi aussi, tenta Amandine.
— Absolument pas, il s’agit bien d’un ours brun...
— Qu’est-ce que je disais ! commenta l’intéressée, je ne suis ni une menteuse, ni une folle !
— Il ne t’a pas attaqué ? s’étonna Emily.
— Pas du tout, nous sommes même devenus amis.
— Il est comment ? demanda Margot.
— Quatre pattes, une tête, des poils partout...
— Arrête Val, sérieusement ?
— C’est un ours adulte à mon avis, un ours moyen qui doit peser dans les cent kilos. Quand je me suis approché, j’ai vu qu’il montrait les dents, des grandes dents jaunes, mais en fait, il n’a pas été agressif du tout. Je lui ai demandé de faire un selfy avec moi et il ne s’y est pas opposé !
— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu es devenu fou ? s’étonna Quentin.
Calmement, avec un petit sourire ironique, Valentin sortit son smartphone, tapota un peu les icônes et présenta une photo à l’assemblée de ses amis. Sur le cliché, il était semi à genoux, souriant, un bras passé sur les épaules de l’animal qui montrait les crocs à l’objectif. L’incompréhension se lisait sur chaque visage au fur et à mesure que la photo passait de main en main.
— Tu as réussi à dompter un ours, s’émerveilla Pauline.
Valentin resta silencieux une minute, savourant l’instant. Amandine finit par intervenir.
— Bon, il y a un truc là ! Tu nous expliques ou on meurt dans l’ignorance ?
— Comment as-tu fait pour l’apprivoiser, tu l’as tenu par la queue lui aussi ? questionna Bouboule mi-naïf, mi-moqueur.
— Oui, arrête de nous faire languir ! activa Amandine.
— Vous allez trouver par vous-même. Tiens Bouboule, reprends mon smartphone et regarde la photo suivante.
— Hein ? Tu as aussi fait ami-ami avec un sanglier ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Je vous explique. Nous connaissons tous Eva et nous savons que ce n’est pas une menteuse. Je l’ai donc crue quand elle a dit avoir vu un ours, mais je sais aussi que le dernier ours brun dans notre région a été tué il y a plus de cent ans. Donc si Eva a vu un ours et qu’il ne peut pas y avoir d’ours, c’est que c’était autre chose. Je suis donc descendu dans la forêt par le chemin qu’elle m’a indiqué, en prenant quand même des précautions et effectivement, à quatre ou cinq cents mètres d’ici, je l’ai vu. Il ne bougeait pas. Je me suis mis derrière un arbre et j’ai fait un peu de bruit en tapant le tronc avec un bâton : rien ! J’ai lancé le bout de bois dans sa direction, toujours rien. Alors je me suis approché. L’animal présentait sur ses flancs des séries de trous comme s’il avait été tué par une bande de chasseurs. Je l’ai touché, il n’a pas réagi, et pour cause...
— Il était mort ? s’inquiéta Lucie.
— Il n’avait jamais été vivant. C’est un ours grandeur nature en mousse, en latex, en je ne sais quoi, mais sacrément bien imité.
— Qu’est-ce qu’il fait là dans la forêt ? C’est pour faire peur aux promeneurs ? se révolta Charly.
— Pas du tout, c’est une cible factice pour jeu de chasse. Je pense qu’il doit s’agir d’un club de tir à l’arc dont les adhérents se donnent l’illusion d’être des gens du moyen-âge en chasse dans la forêt.
— Et le bruit que j’ai entendu alors ? s’interrogea Eva.
— Probablement un ramasseur de muguet dans les environs, supposa Valentin.
— Ce jeu de chasse est totalement débile ! décida Mathilde.
— C’est moins méchant que la chasse véritable, corrigea Lucie, au moins ils ne tuent pas.
— Je pense comme Lucie, continua Valentin. J’ai un peu cherché dans les alentours et j’ai repéré le sanglier de mon deuxième selfy. Je pense que dans la forêt il y a d’autres animaux factices.
— Il faudra qu’on aille voir ça, déclara Olivier.
— Tu risques de te prendre une flèche où je pense s’ils te confondent avec un orang-outang, se moqua Amandine.
— Merci pour la comparaison.
— Tout de même, je pense un peu comme Mathilde, intervint Margot. S’ils veulent tester leur adresse, ils n’ont qu’à tirer sur des cibles en carton. Ils ne tuent pas comme dit Lucie, mais dans leur tête, c’est un peu comme si.
— Il n’empêche qu’il faut quand même aller dans la forêt ramasser du bois mort pour le feu de camp de ce soir, le patron du camping est d’accord, conclut Gilles. Allons-y tous ensemble et en chantant, comme ça, on ne nous prendra pas pour une bande de singes.
— Enfin pas tous ! continua Amandine, faisant rire même Olivier. Qu’est-ce qu’on va faire à cette veillée ? continua-t-elle, personnellement j’ai un excellent souvenir de celle de l’an dernier lors de la sortie nature avec le collège, même si à l’époque je ne faisais pas partie de votre groupe. J’avais adoré ta chanson sur la nuit, Mathilde.
— Voilà, on va chanter, évoquer des souvenirs, raconter des histoires ou simplement écouter les autres… expliqua Quentin, chacun choisit sa participation.
— Je suis d’accord, répondit Mathilde mais si c’est pour écouter des blagues cochonnes, ce sera sans moi.
— Sans moi aussi dans ce cas, ajouta Eva, il n’y a pas besoin d’être grossier pour bien s’amuser.
— On n’est pas des Clébar ou des Thénardier, on sait se tenir, rassura Olivier.
— Qui s’occupe de la cuisine ce soir ? demanda Quentin.
— Je prends ta suite, poursuivit Olivier, au menu soupe, fromage et fruit.
— Tu vas savoir faire tout ça ? se moqua Pauline.
Quand ils revinrent de leur expédition ramassage de bois mort, Gilles proposa :
— Allons tout de suite installer le bûcher, on gagnera du temps pour après.
— Vous avez vu ? dit Pascal, toujours observateur. Il y a une nouvelle installation près de notre emplacement, une grande « Quechua ».
— Ben dites donc, ils ne sont pas gênés du tout ceux-là, il y a plein de places dans le camp, ils disposent d’un grand emplacement et ils sont venus se coller à nous, s’indigna Amandine.
— Il y a des gens qui aiment le contact, observa Olivier.
— Ce sont sûrement des randonneurs à pied ou en vélo, supposa Florian Ils sont probablement partis manger ailleurs. Quand tu randonnes, tu évites de porter trop de poids comme de la bouffe, un gaz, des conserves, tout ça.
— Aucune raison de supposer que ce soient des gens désagréables déclara Pauline.
— D’ailleurs il est possible que nous ne les voyions même pas s’ils partent tôt demain matin, conclut Florian en disposant les dernières branches sèches contre le foyer en forme de tipi. Je propose que ce soit Eva qui l’allume ce soir. Ce sera un petit réconfort pour elle après ses émotions de cet après-midi.
— Le soleil passe derrière la montagne, remarqua Gilles, la température va vite baisser, je vais enfiler un pull.
— Et moi je vais faire la soupe, ajouta Olivier.
— J’installe la table, participa Emily.
— Elle est très bonne ta soupe Olive, elle a une odeur sympa, comme un feu de bois, elle réchauffe, fit remarquer Bouboule en passant un morceau de pain dans son assiette vide, qu’est-ce que tu as mis dedans ?
— Des chamalows, des crocodiles, des tagada-fraise.
— Arrête de te ficher de moi !
— J’ai tout simplement mélangé quatre sachets différents : un aux légumes, un à la châtaigne, un autre aux asperges, plus un velouté aux cèpes, j’ai ajouté des vermicelles, du poivre, allongé le tout avec de l’eau et fait cuire doucement dix minutes, mais attention, la recette est brevetée, interdiction de la copier sans payer des droits d’auteur, se moqua Olivier. Quand même, je suis content qu’un gourmet comme toi ait apprécié. Bon, passons au fromage maintenant, de l’emmenthal de Savoie coupé avec amour.
— Il vaut mieux prendre un couteau ! fit Charly qui s’intégrait de plus en plus.
— Très drôle ! Et une pomme chacun pour finir. Ne laisse pas tes épluchures partout, Valentin !
Tous se mirent à rire à cette évocation de leur action contre le professeur de SVT.
Le repas n’était pas tout à fait fini qu’arriva le patron du camping.
— Dites les jeunes, j’ai autorisé votre feu de camp à condition que vous vous montriez responsables. Vous avez déjà allumé votre feu et il n’y a personne pour le surveiller !
— Comment ? Mais nous n’avons pas... commença Gilles.
— Vous ne sentez rien ? Vous ne voyez pas la fumée ?
— Excusez-moi, monsieur dit Valentin, c’était à moi de surveiller, je me suis juste absenté une minute pour prendre un récipient avec de l’eau, j’y retourne tout de suite.
— Bon, vas-y vite. Pas trop longue la veillée, hein ? Et pas de bruit après onze heures !
Valentin saisit la vache à eau et se dirigea vers le bas du camping laissant tous ses amis incrédules.
— Valentin n’a pas allumé le feu, ni aucun d’entre nous ! fit remarquer Gilles une fois le patron reparti, qu’est-ce que ça veut dire ?
— Il n’y a pas de combustion spontanée, si notre feu brûle, c’est que quelqu’un l’a allumé, raisonna Mathilde. Mais qui ?
— Demandons-nous qui veut nous créer des ennuis, dit Lucie.
— La réponse est toute trouvée, répondit Amandine. Qui est-ce qui a cherché à nous suivre ce matin ?
— Tony et Clément ! fit Emily.
— Parfaitement, enchaîna Gilles. Thénardier et Clébar ! Certes, on les a semés mais, si ce sont de sombres brutes, ils ne sont pas complètement idiots. Ils ont dû apprendre que nous projetions de faire un camp de vacances, je me demande comment.
— Je crois que je sais, intervint Pascal. Hier soir, j’ai aperçu les jumelles près de mon immeuble. Comme ce n’est pas moi qu’elles draguent, je pense qu’elles sont venues voir Marion. Marion a assisté à la fin de notre réunion et savait ce qu’on avait décidé sans savoir vraiment où. Elle a dû parler sans penser à mal. Les jumelles se sont empressées de communiquer l’information à ces deux crétins qui ont cherché les endroits possibles. Ils ont fini par nous repérer, je ne sais pas comment.
— Dans le groupe, le patron ne connaît que Gilles. S’ils sont entrés dans le camping de façon décontractée, à l’accueil on a dû penser qu’ils étaient des nôtres, raisonna Margot. Ils ont profité du moment où on cherchait du bois pour s’assurer de notre présence.
— Comment ont-ils pu deviner que c’était nous ? objecta Pauline.
— Lucie mit un doigt en travers de ses lèvres et murmura en désignant la tente de l’emplacement voisin, « c’est peut-être eux. »
— On va le savoir tout de suite, décida Florian en allant délibérément ouvrir la grande Quetchua. Non, fit-il bientôt, il y a des sacoches de vélos de rando avec un drapeau bleu blanc rouge dans le mauvais sens, ce n’est pas eux.
— Des randonneurs hollandais, déduisit Mathilde.
— Je sais ! Ils connaissent nos vélos ! trouva Gilles. Ils les ont repérés en faisant le tour du camp. Ensuite, ils ont dû nous espionner et profiter du repas pour mettre le feu à notre bûcher rien que pour nous em...bêter.
— Peut-être sont-ils encore là à nous surveiller, dit Emily, il ne faut pas laisser Valentin tout seul, j’y vais.
— Moi aussi, compléta Amandine, attirant une petite grimace sur le visage lisse d’Emily.
— Faisons vite la vaisselle et allons-y tous, décida Gilles. On peut commencer notre veillée dès maintenant, pas besoin d’attendre la nuit.
Le feu avait déjà consumé une bonne moitié du foyer installé. Assis tout autour des flammes, à distance respectable, les quatorze adolescents discutaient. De temps en temps Eva, désignée maîtresse du feu, ajoutait une branche de la réserve pour faire ressurgir des flammes.
— On commence ? décida Gilles avec sa fausse question. Qui ?
Eva, visage rouge d’émotion et des reflets du brasier leva la main avec timidité.
— Bien Eva, continua Gilles, vas-y.
— J’ai une petite histoire :
Deux cygnes nagent l’un derrière l’autre sur le lac. Tout à coup, celui qui est en tête se retourne... et fait un petit signe à l’autre !
— Ah non, s’exclama Olivier hilare, tu avais exigé « pas d’histoires de fesses ! »
— Mais... mais... qu’est-ce que j’ai dit ? demanda Eva à Pascal son voisin.
— Comment écris-tu ça, signe s-i ou cygne c-y ? répondit son ami en épelant les deux premières lettres de chaque mot.
— Oh ! fit Eva confuse, tu as mauvais esprit Olivier.
— Elle est toute mignonne ton histoire, consola Mathilde, Olivier se moque de toi. Vas-y Olive, fais mieux qu’Eva.
— D’accord, je tente (de camping), hi hi hi.
C’est pendant un beau soir du mois de juin en camping justement, la petite Marie regarde le ciel avec son père.
- Oh regarde papa, une étoile filante ! s'écrie-t-elle.
- Chouette ! Tu as eu le temps de faire un vœu ?
- Oui, et j'espère qu'il se réalisera, sinon j'aurai un zéro en géographie !
- Ah bon ? C'est quoi, ton vœu ?
- Que Liverpool devienne la capitale de l'Angleterre, avant que le prof corrige les copies.
— Pas mal, dit Valentin. Puisqu’il est question d’Angleterre, tu en as une Emily ?
— Oui, nous avons mangé du gruyère ce soir et ça m’a fait penser à celle-ci :
Après un repas pris ensemble, un anglais discute avec son ami français et lui dit : « je déteste les trous dans le fromage. » Et le français répond : « Moi aussi, je ne mange que ce qu’il y a autour ! »
— Bravo Emily, dit Charly en riant à l’unisson de ses amis, tu sais te moquer de tes compatriotes. A moi.
Une mère est en ville avec Antoine, son jeune fils. Elle rencontre en chemin une de ses amies fort jolie.
- Antoine, dit la mère, embrasse la dame.
- Non maman !
- Enfin Antoine, pourquoi tu ne veux pas embrasser mon amie !
- Parce que papa a essayé hier et il a reçu une gifle !
— Ah les hommes ! dit Pauline. Moi j’ai celle-ci.
- Maman, dit son petit garçon, papa a dit que nous descendions du singe. C’est vrai ?
- Je n'en sais rien, ton père a toujours refusé de me parler de sa famille. »
— Quel est le féminin de macho, Pauline ? commenta Florian en riant. Tiens, pour compenser, voici la mienne :
« Un garçon rentre du collège et demande à son père :
- Papa, papa ! Savais-tu qu'on peut faire des enfants avec éprouvette ?
- Je sais, fiston ! Moi j'en ai eu deux avec une cruche... »
— Honte à toi, fit Amandine en s’étouffant de rire. A moi.
En leçon d’orthographe, la maîtresse demande :
- Par quelle lettre commence « hier » ?
Étienne lève la main :
- Par un l, madame.
- Tu fais commencer « hier » par un l ? s'étonne la maîtresse.
- Ben oui, hier, on était bien lundi.
— Bien Amandine, à ton tour Quentin, décida Gilles.
— Moi j’ai prévu une petite chanson, mais je préfère chanter quand il fera plus sombre, comme ça vous ne verrez pas que j’ai le trac.
— D’accord. Bouboule, tu as quelque chose ?
Deux jeunes mamans parlent de leurs bébés.
- Moi, mon petit Léo, ça fait quatre mois qu'il marche !
- Oh là là ! dit l’autre maman, il doit être loin maintenant !
Et puis j’ai celle-là continua-t-il quand les rires s’achevèrent :
- Papa, quand je suis né, qui m’a donné mon intelligence ?
- Je crois que c’est ta mère parce que moi, j’ai encore la mienne !
— T’exagères Pascal ! commenta Eva en le bourrant de petits coups de poings.
— Lucie, tu en as une ? continua Gilles.
— Oui.
Une fille dit à sa mère :
- Maman, est-ce que je peux avoir deux euros pour donner à une vieille dame ?
- Mais oui, dit la mère, satisfaite de constater la générosité de sa fille. C'est une SDF ?
- Oh non ! Elle vend des glaces.
— Bien Lucie. A qui le tour ? Val ? Margot ? Bon, à moi, dit Gilles.
Un garçon est dans le jardin de sa maison en train de remplir un trou dans la terre avec une petite pelle lorsque le voisin l'aperçoit par-dessus la haie.
- Qu’est-ce que tu fais, Pierrot ?
Sans arrêter de boucher le trou, Pierrot répond :
- Mon poisson rouge est mort et je l'enterre.
Le voisin lui dit alors !
- C'est un bien gros trou pour un petit poisson.
Pierrot place une dernière pelletée, tapote un peu la terre et répond :
- C'est parce que mon poisson, il est à l'intérieur de ton chat !
— Quelle horreur ! commenta Lucie.
— Ben oui, c’est la vie, ou plutôt c’est le contraire. Bon, à qui ? Margot ?
— Non, je vais essayer de chanter.
— Très bien, en attendant, Valentin, tu en connais une ?
— Oui, mais avant, Gilles, quel est l’animal qui mesure dix centimètres, qui est marron, qui ressemble à un ver et qui a plein de pattes ?
— Je ne sais pas, demande à Lucie.
— Je demande à toi car tu en as un dans le cou.
— Ah, ah, aïe, ouille ! cria Gilles en tentant de chasser quelque chose de son cou à gifles précipitées, qu’est-ce que c’était ?
— C’était ma blague !
— Val, tu es un salaud ! conclut Gilles, tu mérites... Tu mérites...
— Un diplôme de comédien, sourit Mathilde. Il commence à faire nuit, nous chantons maintenant ? Tu veux commencer Quentin ?
— Soyez indulgents, je n’ai pas chauffé ma voix. Allez, je me lance. Si vous connaissez, vous pouvez m’accompagner à l’unisson.
Il racla plusieurs fois sa gorge, vocalisa trois notes et entonna d’une voix très douce :
Là-haut sur la montagne, l'était un vieux chalet.
Murs blancs, toit de bardeau,
Devant la porte un vieux bouleau.
Là-haut sur la montagne, l'était un vieux chalet.
Là-haut sur la montagne, croula le vieux chalet.
La neige et les rochers
S'étaient unis pour l'arracher
Là-haut sur la montagne, croula le vieux chalet.
Là-haut sur la montagne, quand Jean vint au chalet,
Pleura de tout son cœur
Sur les débris de son bonheur
Là-haut sur la montagne, quand Jean vint au chalet.
Là-haut sur la montagne, l'est un nouveau chalet.
Car Jean d'un cœur vaillant
L'a rebâti plus beau qu'avant
Là-haut sur la montagne, l'est un nouveau chalet.
— Très joli et très bien chanté, Quentin, félicita Mathilde.
— Et adapté à la montagne, ajouta Charly.
— A mon tour dit Margot, cette chanson, vous la connaissez tous, alors aidez-moi, hein ?
Elle entonna, d’abord timidement de sa voix de mezzo-soprano, rapidement épaulée par un chœur improvisé :
Dans un coin perdu de montagne
Un tout petit savoyard
Chantait son amour dans le calme du soir
Près de sa bergère au doux regard
Étoile des neiges, mon cœur amoureux
S'est pris au piège de tes grands yeux
Je te donne en gage cette croix d'argent
Et de t'aimer toute la vie, je fais serment...
Quand, chantant à l’unisson, ils eurent fini les six couplets de la chanson et après le silence qui suivit, Olivier, heureux de la prestation de son amie et qu’elle ait réussi à entraîner toute la bande, déclara :
— On a quand même de jolies chansons folkloriques traditionnelles en Savoie.
Mathilde toussa et, un peu gênée de sa culture musicale l’obligeant à rétablir la vérité, lui répondit :
— Désolée de te contrarier Olivier mais l’air n’est pas français, il est d’un musicien autrichien.
— Peut-être... si tu le dis, mais les paroles...
— Encore désolée, je crois avoir lu que c’est d’un parolier parisien.
— Qu’importe après tout, défendit Margot, c’est joli, ça nous plaît, ça parle de chez nous, on a tous aimé alors tout va bien.
— D’accord avec toi, concéda Mathilde.
— A ton tour, chante-nous ta merveilleuse chanson sur la nuit, comme dans le film, tu sais... implora Bouboule, j’ai adoré la dernière fois.
Mathilde sourit dans le noir, laissa passer quelques secondes et entonna de sa voix colorée de soprano léger :
Ô nuit, qu’il est profond ton silence...