Pendant le changement de salle de classe, Olivier flanqué de Quentin se plaça entre Valentin qui discutait avec Gilles dont l’œil avait viré au jaune et le groupe de Tony. Il fit remarquer d’une voix acerbe :
— Dis donc Val, j’en ai marre que tu te foutes de moi tout le temps sous prétexte que t’es meilleur en math. Je te préviens, faut que t’arrêtes !
— Moi c’est pareil et Olive a raison, appuya Quentin. On ne te demande rien, alors tu nous lâches.
Valentin se retourna, haussa les épaules, leva les yeux au plafond en secouant la tête.
— Vous n’avez qu’à travailler un peu plus, vous serez moins ridicules. Un gamin de sixième aurait mieux répondu que vous !
Tony chuchota à l’oreille de Clément « Y a du tirage dans leur groupe, c’est bon pour nous tout ça. »
— Entrez, ordonna le professeur d’anglais, ne bouscule pas les autres Florian.
— Oui, ce n’est pas parce que tu es le plus costaud de la classe que tu as priorité, fit remarquer Valentin.
Le cours d’anglais se déroula sans anicroche notable. Radissel, ravi d’avoir dans sa classe une parfaite bilingue faisait souvent appel à Emily pour répéter les phrases étudiées et éduquer les oreilles de ses camarades. Celle-ci, ravie d’être l’objet de l’attention générale multipliait les grâces et les sourires. Mathilde et Valentin levaient souvent la main pour répéter eux aussi mais n’étaient jamais interrogés. Valentin, résolu à savoir le pourquoi de ce qui lui semblait être une injustice, se décida à poser la question.
— Puis-je savoir monsieur pourquoi vous donnez toujours la parole à Emily Gilmore et jamais à Mathilde ni à moi qui pourtant levons aussi la main ?
— Vous auriez pu poser votre question en anglais, Valentin.
— Je voulais que tout le monde comprenne, monsieur.
— La réponse est toute simple, c’est une question d’accent. Celui de Mathilde est trop typiquement français et le vôtre est très australien.
— Dans ce cas, il est possible d’envisager qu’en Angleterre aussi il y a différents accents, comme en France. Emily doit en avoir un aussi. Pourquoi décréter que c’est le sien qui est le bon ?
— Parce que son accent de Brighton est celui qu’on appelle le parler de la Reine ou « Received Pronunciation » plus communément appelé RP. C’est aussi le parler d’Oxford et de Cambridge, deux des plus grandes universités anglaises. Ma réponse vous convient-elle ?
— Elle est parfaitement logique mais je doute que nos camarades fassent la différence.
— Vous aurez d’autres occasions de participer Valentin. Par exemple pouvez-vous traduire en français pour vos camarades : « The pastor blesses the sportsman. »
— Moi m’sieur, dit Florian en même temps qu’il levait la main, ça veut dire « le pasteur a blessé le sportif. »
Valentin partit d’un fou-rire que partagèrent Mathilde et Emily.
— Quoi, qu’est-ce que j’ai dit de drôle ? se rebiffa Florian.
— To bless veut dire bénir et non pas blesser, corrigea Mathilde.
— C’est un faux-ami, ajouta Valentin.
— C’est toi le faux ami qui se fout de la gueule des copains, bougonna Florian. Débrouillez-vous entre vous, moi je n’interviens plus !
— Ne vous vexez pas Florian, des millions de français avant vous sont tombés dans ce même piège, calma le professeur. Il y a comme ça des mots anglais qui ressemblent à des mots français mais qui ont un sens très différent, d’où l’expression faux ami. Par exemple Emily ?
— « He will give a lecture » qui se traduit par « il va donner une conférence » et non par « il va faire une lecture. »
— Bien, autre exemple Valentin ?
— « He goes on a journey » ne veut pas dire « il part pour la journée. »
— Que veut dire cette phrase, Mathilde ?
— Il part en voyage.
— Bien Mathilde. Tu vois, tu as eu le dernier mot, c’est l’heure de la récréation. Vous pouvez aller.
Dans la cour toujours parcourue par une bise glaciale qui laissait néanmoins place au soleil d’hiver, à l’écart du trio Olivier, Quentin et Florian, Valentin discutait avec Bouboule, Gilles et les filles.
— J’y suis peut-être allé un peu fort, non ? Et s’ils étaient vraiment fâchés ?
— Non, il fallait ça pour que Tony et sa bande y croient, affirma Bouboule.
— Je leur téléphonerai quand même ce soir pour m’excuser.
— Ils étaient d’accord, ça fait partie du scenario, continua Gilles.
— Et ils continuent leur cinéma en se rapprochant du groupe de Tony. Attendez... Oui, Tony va vers eux. Je crois que le plan va marcher, commenta Bouboule.
— Ça va encore se terminer par une bagarre ? déplora Mathilde.
— Ce n’est pas nous qui cherchons la bataille ! argumenta Gilles. Regarde mon œil au beurre noir, c’est l’œuvre de Tony. Je ne lui avais rien fait pourtant !
— Il n’est plus au beurre noir mais au beurre ordinaire maintenant, s’amusa Amandine, mais tu dis vrai, quand j’étais avec eux, avant que Val ne vienne en aide à ma sœur et moi, le Tony et ses copains ne pensaient qu’à vous démolir le portrait.
— Ça y est, nos potes discutent avec Tony et sa bande. Marine fait encore du charme à Florian, Emily et Océane discutent avec Olivier, continua Bouboule l’observateur.
— Et si on les ignorait tout simplement ?
— Écoute Mathilde, reprit Valentin, nous savons que tu es contre la violence et tu as bien raison mais nous devons absolument connaître leurs plans et prévoir la façon de les contrer s’ils nous provoquent et je crois qu’ils en ont bien l’intention. Personnellement je n’attaque jamais le premier mais si on me frappe sur la joue droite, je ne tends pas la joue gauche, j’allonge un bon direct du droit. Tu connais l’adage : « il faut préparer la guerre pour avoir la paix » et c’est ce que nous faisons. Si nous n’avons pas à nous battre, tant mieux, mais nous n’allons pas nous laisser taper sans réagir. Gilles s’est fait cogner et si nous ne faisons rien, ils recommenceront. Pour l’instant ils ne s’en prennent qu’aux garçons mais Eva peut vous dire que Morgane n’a pas été tendre avec elle et je ne parle pas des jumelles avec leurs langues de vipère, toujours prêtes à mettre de l’huile sur le feu, même que Pauline l'a baffée l'été dernier au bord du lac, rappelez-vous. Nous faisons tout ça pour connaître leurs intentions, en fait pour savoir où, quand et comment ils vont nous attaquer. Maintenant qu’ils pensent que Flo, Olive et Quentin ne sont plus avec nous, donc que nous sommes très affaiblis, ils ne vont plus se retenir.
— Qu’est qu’on fait maintenant ? demanda Bouboule.
— Nous attendons les informations que nos potes vont nous donner. Allez, rentrons au chaud.