VALENTIN AMOUREUX

36. RÉUNION DE CLASSE

Seuls quelques amas de neige sale et tassée par le chasse-neige de la voirie indiquaient encore que c'était l'hiver. Les sommets étaient masqués par des écharpes de brume mais au-dessus des vallées le ciel montrait des coins de bleu. Le soleil arrivait à se frayer un passage ici et là, marquant d'émeraude l'eau du lac. Par petits groupes, les élèves de quatrième C entraient chez Charly. Quand Valentin, Gilles et Pascal arrivèrent sur leur VTT, le quart d'heure savoyard était largement dépassé.
— Allez-y d’abord les amis, leur dit Valentin, je vous rejoins dans quelques minutes.
— Que mijotes-tu encore ? soupira Gilles de manière exagérément forcée.
— Wait and see my friends. (Attendez et vous verrez mes amis.)
Valentin savait qu'Emily n'irait pas de son propre chef sonner à la porte de son voisin mais il devinait que celle-ci devait le guetter. Un coup d’œil aux fenêtres de sa villa, confirma son intuition, un rideau venait de bouger. Sur le chemin des roselières, il n'eut pas longtemps à attendre, Emily toute de bleu vêtue sortit par une porte donnant sur sa pelouse, un sourire ravi illuminait son visage. Elle prit furtivement la main de Valentin.
— Viens dit-elle, dépassons leur villa.
Quand ils ne furent plus visibles ni de chez elle, ni de chez Charles-Henri, elle fit face à son ami et posa délicatement ses lèvres sans fard sur les siennes puis appuya son visage sur l'épaule de son ami.
— J'en rêvais depuis le ski, avoua-t-elle. Dis, tu ne me laisseras pas seule chez lui n'est-ce pas ?
— J'irai bien sûr voir tous les copains et les copines ; à ceux qui me demanderons qui tu es par rapport à moi, je dirai que tu es ma correspondante anglaise, ce qui est la vérité. Si je suis trop accaparé, réfugie-toi près de Florian, mais rassure-toi, avec mes amis, tu seras rapidement à l'aise. Il faut quand même que je te parle un peu de la classe. Il y a un an, il y avait véritablement deux clans en cinquième C : ceux qui étaient avec moi et ceux qui étaient pour un individu peu intéressant qui s'appelle Tony Thénar et qu'on surnomme le Thénardier.
— Comme l'exploiteur de Cosette dans les Misérables de Victor Hugo ?
— Dis-donc, tu en connais plus que la majorité de ceux de la classe ! À plusieurs reprises j'ai dû me battre contre lui pour me défendre car il m'avait pris en grippe dès mon arrivée au collège. Petit à petit les autres se sont détachés de lui et sont venus me rejoindre mais il a encore deux ou trois soutiens ; enfin tu verras.
— Bon, et bien allons-y, dit-elle avec un petit air résigné.
Comme le jour de l'anniversaire de Charly, ce fut Morgane qui vint débloquer la porte d'entrée sans toutefois obturer complètement le passage de sa corpulence.
— Ah c'est toi ! T'es le dernier et vachement en retard ! dit-elle en guise de bonjour. Qui c'est celle-là ?
Valentin s'abstint de répondre. En connaisseur des lieux, il guida Emily vers le grand salon panoramique de la villa. Quand ils entrèrent, un silence se fit, rapidement remplacé par le joyeux brouhaha des amis de Valentin qui se précipitèrent vers lui. Olivier, Florian et Quentin lui serrèrent la main et lui tapèrent joyeusement sur l'épaule. Margot, Lucie, Mathilde, Eva, Pauline et Amandine vinrent lui faire avec enthousiasme les deux bises réglementaires en pays de Savoie. Les autres de la classe, à trois ou quatre près, l'approchèrent également mais se contentèrent de lui serrer la main. Volontairement Charles-Henri fut le dernier à venir le voir. Intimidée, Emily se tenait en retrait.
— Tu la présentes ou je le fais ?
— Fais-le Charly, tu es chez toi, présente-la comme ta voisine.
Charly leva une main, réclama le silence. Quand celui-ci fut établi, il indiqua :
— Je vous présente Emily Gilmore ma voisine. Elle est anglaise et va venir habiter à Saint Thom, non plus en résidence secondaire mais de façon permanente et, après-demain, elle va intégrer notre collège au niveau quatrième. Je ne sais pas si elle sera dans notre classe mais ce n'est pas impossible puisque Charlotte Dumont que j'ai eu au téléphone pour l'inviter m'a indiqué qu'elle venait de déménager pur la région lyonnaise. Alors bienvenue Emily, tu as toute l'après-midi pour te familiariser avec la classe de quatrième C.
— Bonjour à tous, dit Emily, je suis enchantée d'être ici. Je précise que je suis à la fois anglaise et française puisque ma mère est savoyarde. Je vais m'efforcer de faire connaissance avec chacun de vous.
— Bienvenue Emily, s'écria Gilles repris par la plupart des présents.
— Je précise que son nom s'écrit avec un y à la fin, poursuivit Charles-Henri car nous avons déjà une Emilie Leblanc dans la classe, Emilie i e.
— C'est moi dit l'intéressée en agitant les deux bras.
— Bonjour Emilie.
— Je te laisse faire le tour de l'assistance avec Valentin, il faut que je finisse d'organiser l'après-midi, s'excusa Charles-Henri.
— Charly, demanda Bouboule, tu as pu récupérer ta sono pour qu'on puisse danser ?
— Oui, j'ai passé la matinée à la réinstaller, tout fonctionne.
— Dis Valentin, tu as encore tes belles chansons à danser ? demanda Eva d'une toute petite voix.
Valentin fit signe à cette dernière de s'approcher et la rassura :
— Oui, je les ai encore dans mon smartphone. Emily, je te présente Eva, la grande amie de notre ami Pascal Boulot dit Bouboule qui est aussi un garçon adorable. Ne te laisse pas prendre à son air de hibou, il est d'une grande finesse et comprends tout au quart de tour.
— Ne l'écoute pas Emily, répondit Pascal, le mec sensationnel c'est lui ! Si tu savais les services qu'il nous a rendus ! Par exemple, Eva, il l'arrachée aux griffes de Morgane, la grosse là-bas avec le Thénardier. Elle la prenait pour son esclave !
— Alors Val, on néglige les copines maintenant ?
— Mais non Amandine, viens par ici. Emily je te présente Amandine Fontaine, une amie très nature, un caractère très fort, un peu à l'emporte-pièce dans ses déclarations. Amandine est venue à mon secours un soir ou je me suis fait tabasser par des voyous.
— Bonjour Amandine, c'est bien ce que tu as fait.
— Oui, mais ce qu'il ne dit pas c'est qu'un jour il a pris de gros risques pour venir au secours de ma sœur aînée qui allait se faire violer par des grands et plus récemment il m'a aidé à sauver une amie sur internet qui allait faire une grosse bêtise ! Hé, on attend ta musique Val.
— Dans un quart d'heure la musique, cela te convient ?
Amandine s'éloignant, il fit signe à Mathilde qui conversait avec Pauline.
— Venez que je vous présente. Emily, voici Mathilde Marchand, notre chef de classe. Elle est très compétente, très dévouée et très bonne en anglais.
— Bonjour Mathilde, sourit Emily en lui tendant la main.
— J'étais peut-être la meilleure en anglais avant l'arrivée de Valentin, mais là, je vais encore rétrograder, j'en ai peur !
— Ce n'est pas ta langue maternelle comme pour nous et puis tu es également plutôt bonne en math et géniale en musique, compléta Valentin. Elle joue divinement bien du violon. Et elle c'est Pauline Fresnoy, l'adulte de notre groupe, sérieuse, réfléchie toujours prête à soigner et à défendre.
— Bonjour Pauline, je suis contente de vous connaître toutes les deux.
— Nous vous laissons les filles, viens Emily. Lui c'est Quentin Ouvrard, un ami sûr et fidèle, si tu as besoin d'un service, tu vas le voir, il dit toujours oui.
— Bonjour Quentin, ce doit être agréable d'avoir un ami comme toi.
— Bonjour Emily. Valentin exagère, c'est lui qui rend service à tout le monde.
— Et maintenant voici Margot Chevril et Olivier Chanat, les inséparables. Margot est une fille émotive, pleine de cœur et de sensibilité et Olivier, son chevalier servant, toujours prêt à défendre les plus faibles. C'est le deuxième grand sportif de l'équipe et de la classe après Florian.
— Bonjour Margot, bonjour Olivier.
— Ce que Valentin ne dit pas par rapport à moi, c'est qu’il a sauvé mon père de la dépression, lui a redonné le goût du travail et qui m'a sorti, avec l'aide d'Olivier, du désespoir où j'étais il y a quelques mois. C'est un ami comme il n'en existe plus. Bienvenue parmi nous Emily.
— Ma parole, vous voulez tous me vendre ! s'amusa Valentin tout de même un peu gêné. Viens voir Gilles maintenant. C'est le gars aux cheveux blonds à côté de la fille très mince là-bas.
— Emily voici Lucie Roche et Gilles Arroux. Quand, venant d'Australie, je suis arrivé dans le collège de Saint Thomas il y a un peu plus d'un an, je ne connaissais bien sûr personne, c'est Gilles qui le premier a su m'intégrer. Depuis il est devenu en quelque sorte mon fidèle second qui accepte presque toujours sans discuter mes propositions et voici Lucie son amie attitrée, une jeune fille tout en finesse sur qui on peut compter et qui est toujours disponible.
— Ça c'est de la pommade ou je ne m'y connais pas ! répliqua Gilles, il met toujours les autres en avant alors que c'est lui le meilleur partout. Bonjour Emily, j'avais un tout petit peu entendu parler de toi quand nous étions à Londres. A warm welcome with our friends (Bienvenue parmi nos amis.)
Lucie s'approcha s'approcha d'Emily et lui plaqua deux baisers rapides sur les joues puis recula en rougissant.
— Je suis très heureuse que Valentin ait de si bons amis. Bonne année à vous deux.
— Dis donc Val, lança Tony depuis l'autre bout de la pièce, tu as fini d'accaparer la nouvelle ? Nous aussi on veut en profiter.
— Pas de problème Tony, tu peux venir lui parler, mes amis sont toujours libres.
— Salut Emily, t'es anglaise alors tu aimes le rap, hein ?
— Bonjour Tony, je comprends les paroles du rap en anglais et en français mais je n'aime pas ces pseudos chanteurs qui ne savent que psalmodier des énormités inadmissibles. Maintenant si tu en connais qui disent des choses intéressantes sur une ligne mélodique originale, je suis prête à les écouter.
Valentin éclata de rire devant la mine déconfite de Tony qui s'en fut rejoindre son petit groupe de fidèles.
— Avec Tony, le plus petit c'est Clément Barilla dit Clébar, l'autre s'appelle Romuald Michaud et la fille avec eux qui nous a si aimablement accueillis, c'est Morgane Joly la bien nommée. Les autres, tu les connaîtras petit à petit. La plupart ne me sont pas hostiles mais ne veulent pas prendre parti. Ah oui, il y a aussi les jumelles là-bas avec Charles-Henri. Ce sont des jolies filles, elles s'appellent Marine et Océane Daucy. Elles peuvent être aussi pestes que charmantes, ça dépend de leur intérêt immédiat. Pour ma part, j'essaie de m'en tenir éloigné.
Autre chose Emily, ils m'ont presque tous réclamé les airs que tu entendus le jour où nous nous sommes vus pour la première fois. Tu peux bien sûr danser avec qui tu veux mais j'aimerais que tu me réserves celui que j'ai mis en sonnerie sur mon téléphone, celui qui m'a un peu trahi par rapport à ton père quand nous étions aux soldanelles. Promis ?
Emily hocha la tête en signe d'assentiment.
— Je ne danserai cet air avec personne d'autre que toi Valentin.
Valentin fit signe à Charly et s'approcha de la sono pour synchroniser son iPhone. Charly pressa un bouton d'une télécommande, les volets se baissèrent, il en pressa une autre, les spots de lumière noire entrèrent en action. Valentin toucha la flèche « Marche » de son écran de portable, les premières notes de « Unchained melody » par les « Righteous brothers » emplirent la pièce de leur suave mélodie.
« Oh, oh! my love, my darling... » (Oh, oh ! Mon amour, ma chérie...)
Il prit la taille d’Emily et serrés l’un contre l’autre, ils se laissèrent guider par le rythme langoureux de la chanson. Valentin ne vit pas le regard mauvais que leur lança Océane...


FIN du tome 4 des aventures de Valentin