VALENTIN AU COLLEGE

12. LES CHATS

Assis sur un banc de la cour du collège, Pascal Boulot, les yeux rouges et la mine triste, reniflait bruyamment et secouait négativement la tête, comme s'il parlait à lui-même.
— Salut Pascal ! Oh mais que t'arrive-t-il ? demanda Valentin à son camarade.
Pascal leva brièvement les yeux, pinça un peu plus les lèvres, comme pour empêcher sa peine de sortir.
— Je peux faire quelque chose pour toi ? Explique-moi, insista Valentin.
— C'est mon chat Guzzy, expliqua Pascal, la voix étranglée, ça fait deux jours qu'il a disparu. Je l'ai cherché partout ! D'habitude il rentre aussitôt qu'on l'appelle car il sait que ça veut dire qu'on va lui donner à manger mais là j'ai appelé, appelé, appelé partout mais il n'est pas venu. J'ai cherché dans les rues des alentours, j'ai demandé à tous les gens que j'ai vu, mais…
Pascal secoua la tête de désespoir.
— S'il n'a pas été shooté par une voiture, et ce n'est sûrement pas le cas puisque tu as regardé dans les rues près de chez toi, il y a de grandes chances qu'il soit encore vivant quelque part. Il sortait beaucoup ?
— Il sortait tous les jours sur la pelouse et dans les buissons en bas de notre immeuble mais il ne s'éloignait jamais.
— Il se laissait approcher facilement ?
— Non, il est craintif et personne d'autre que nous ne peut le caresser.
— Est-ce qu'il aurait pu monter dans une voiture, sauter dans un coffre ?
— Pas impossible mais je ne crois pas.
— Tu as pensé à mettre des affiches ?
— Pour ça je suis allé chez Marion Lacombe, oui la Marion de la classe, c'est ma voisine, parce que chez nous il n'y a pas d'ordinateur et pas d'internet. Elle a imprimé des photos de Guzzy avec mon numéro de téléphone, j'en ai mis plus de vingt.
— Ne désespère pas Pascal, un chat heureux chez lui finit toujours par rentrer. Ce soir j'irai t'aider à le chercher, OK ?

Le silence se fit quand le principal entra dans la classe des cinquième C.
— Asseyez-vous. Votre professeur de sciences, monsieur Jobard a eu un léger accident de voiture. Rassurez-vous, rien de très grave, mais une fracture de la jambe qui va l'empêcher de se déplacer et donc d'assurer ses cours pendant environ un mois. Il sera remplacé dès cet après-midi par une jeune professeure stagiaire, mademoiselle Carine Fontaine. Je compte sur vous pour lui faciliter la tâche par une conduite exemplaire. En conséquence votre cours de SVT qui devait avoir lieu maintenant est reporté à cet après-midi quinze heures à la place de l'heure d'étude surveillée. Profitez de ce moment libre pour vous avancer dans votre travail, le surveillant sera là dans deux minutes.

— Alors, qu'est-ce que vous pensez de notre nouvelle prof de SVT ? demanda Olivier à ses copains Gilles, Pascal et Valentin.
— Elle est plutôt jolie pour une prof, analysa Gilles, elle n'a pas de lunettes.
— Merci pour moi, intervint Pascal en rajustant les siennes sur ses yeux rougis.
— Je trouve qu'elle est plutôt intéressante mais elle laisse beaucoup trop faire, commenta Olivier, c'est dur d'écouter ce qu'elle dit dans le bruit. Sûr qu'elle va se faire chahuter ! Ton avis Valentin ?
— Personnellement je trouve qu'elle a l'air triste. Un peu comme toi aujourd'hui Pascal. Je n'aime pas quand les gens sont tristes. La prochaine heure de SVT à lieu quand ?
— Dans deux jours, jeudi de neuf à dix heures, renseigna Olivier.
— OK, autre chose : le chat de Pascal à disparu depuis deux jours, voulez-vous venir avec nous pour le chercher ? demanda Valentin à Gilles et Olivier.
— Bien sûr, répondit Gilles pendant qu'Olivier acquiesçait de la tête.
— Alors rendez-vous chez lui dans un quart d'heure. Pascal, va voir Marion et imprime-nous chacun une photo de Guzzy. Nous allons inspecter toutes les rues du quartier, chacun la sienne, et sonner à toutes les portes pour demander des renseignements.
— Comme quoi par exemple ?
— D'abord s'ils ont vu le chat, ensuite s'ils ont remarqué une voiture qui n'a pas l'habitude de se garer par là et dans laquelle il aurait pu monter.
— Pourquoi une voiture inhabituelle ? interrogea Olivier.
— Parce que si la voiture appartient à quelqu'un du quartier, le chauffeur connaît le chat au moins de vue et le libérera dans le quartier tandis que si elle appartient un un inconnu, le chauffeur ne connaît pas le chat et a pu l'embarquer loin d'ici,.OK ? Tout renseignement peut nous être utile. Ne perdons pas de temps, prévenez chez vous et allons-y, la nuit tombe vite en cette saison.

Après une heure de recherches, quand les quatre amis se retrouvèrent, la nuit était tombée. Les mines désappointées trahissaient l'échec des leurs investigations. Rompant le silence gêné, Valentin prit la parole :
— Alors ? Qui a du nouveau ?
— Un autre chat à également disparu chez des gens à cent mètres de chez Pascal, indiqua Gilles. Deux personnes m'ont signalé un fourgon blanc qu'ils n'avaient jamais vu auparavant, c'est tout ce que j'ai pu récolter comme renseignements.
— Et toi Olivier ?
— Une dame m'a dit aussi avoir vu une camionnette blanche avec deux hommes qu'elle ne connaît pas.
— Pascal ?
— Rien de plus. Hélas j'ai peur de ne plus jamais revoir mon Guzzy, soupira tristement Bouboule.
— Désolé Pascal, nous aurions aimer te donner de bonnes nouvelles…
— Vous avez fait plus que tout le monde pour moi, vous êtes vraiment des copains. Mais bon… Je crois qu'il faut rentrer maintenant.

— Mademoiselle Fontaine, je peux vous parler ? demanda poliment Valentin à la fin du cours de SVT.
— Bien sûr.
— Je m'appelle Valentin Valmont. C'est juste pour vous dire que mes copains et moi avons beaucoup apprécié votre cours sur l'évolution des paysages sous l'action de l'eau et des vents, et que nous trouvons dommage que certains profitent de votre gentillesse pour chahuter.
— Merci Valentin, c'est bien rare que des élèves nous disent de telles choses, je trouve cela réconfortant et encourageant.
— Vous venez d'arriver ou vous habitez le village ?
— Les deux Valentin. En réalité j'habite Grenoble mais j'ai loué un studio dans une maison du village pour la durée de mon remplacement.
— Je peux vous poser une question peut-être un peu indiscrète ?
— Pose ta question, je verrai si je peux te répondre.
— Mademoiselle, vous avez toujours l'air aussi triste ?
— C'est en effet indiscret. Mais je vais quand même te répondre. J'ai perdu quelqu'un que j'aime beaucoup le jour ou j'ai emménagé au village.
— Votre compagnon, une amie ?
— Ma meilleure amie, ma chatte siamoise Asya. Elle a disparu le soir de mon arrivée. Elle n'a probablement pas supporté de déménager.
— Je suis désolé pour vous, mademoiselle, j'espère qu'elle va vite revenir.
— Merci, Valentin.

Valentin était allongé sur son lit, les yeux au plafond, il réfléchissait. Ces disparitions de chats l'intriguaient. La vibration de son téléphone interrompit sa méditation.
— Allô Valentin ?
— Oui Florian, tu veux me demander quelque chose ?
— Je viens de discuter avec Olivier et il m'a raconté l'histoire de Pascal et de son chat. Je veux te dire que mon voisin a aussi perdu le sien il y a trois jours.
— C'est une épidémie ! Dis-moi, est-ce que tu peux demander dans ton quartier si quelqu'un a remarqué un fourgon blanc qui n'est pas là d'habitude ?
— Moi, j'en ai vu un il y a trois ou quatre jours. Je l'ai remarqué parce qu'il a fait plusieurs fois le tour de ma résidence.
— C'était un fourgon de quelle marque ?
— Un Fiat je crois avec deux hommes à l'avant.
— Tu n'aurais pas relevé son numéro par hasard ?
— Non, je sais juste que c'était une plaque suisse.
— OK Florian, merci de t'impliquer pour Pascal.
— Normal, c'est aussi mon copain.

Seul dans sa chambre, à nouveau Valentin réfléchissait intensément. Cette disparition en série de chats domestiques le tracassait, elle était à l'évidence anormale. Il avait eu une première intuition en collectant des informations sur la présence récurrente d'un véhicule inhabituel dans la village. Il avait d'abord pensé à un camion de livreur dans lequel le chat de Bouboule aurait pu monter par curiosité mais la multiplication des disparitions annulait cette hypothèse. Il décida d'approfondir ses recherches et connecta sa tablette au réseau Wi-Fi de la maison.
Une rapide recherche sur internet lui permit de recenser les causes principales de disparition d'un chat. Il griffonna sur une feuille de papier le fruit de ses recherches :
- trafic d'animaux pour leur fourrure
- trafic d'animaux pour les laboratoires
- animal accroché par une voiture puis ramassé par les éboueurs
- voisin malveillant
- chasseur tueur de chats
- fugues à la saison des amours
Valentin élimina tout de suite les fugues qui ne se produisent pas à quelques semaines de l'hiver mais au printemps et en été. Il raya également l'hypothèse d'un chasseur qui n'oserait sûrement pas tirer en plein village. Un voisin malveillant, peut-être mais quatre dans quatre endroits différents, peu probable. L'hypothèse des éboueurs le laissa sceptique également, et puis quatre chats écrasés en si peu de jours… Valentin souligna les deux causes restantes : trafics !
Une autre recherche lui permit de savoir qu'au moins une famille française sur cinq possède un chat ce qui dans un village de six mille habitants donnait le chiffre minimum de 300 chats. S'il s'agissait bien d'un trafic, les disparitions n'étaient pas terminées.
Comment un trafiquant s'y prend-il pour capturer un chat ? se demanda le détective en herbe. Une nouvelle recherche lui permit de comprendre le principe de la cage avec trappe à bascule : quelques bouts de viande pour attirer le matou vers le piège dans lequel est placé un autre morceau. L'animal habitué à sa caisse de toilette n'hésite pas à pousser la trappe transparente pour entrer finir son aubaine de repas et se retrouve piégé par un système anti retour de la trappe basculante. Simple et sans danger de griffures, morsures ou risques d'évasion !
Mais comment repérer et piéger les piégeurs, comment récupérer les animaux capturés et rendre le sourire à Bouboule et peut-être à la gentille professeure de SVT ? Pas question de s'adresser à la gendarmerie qui avait d'autres chats à fouetter. Impossible également de surveiller chaque matou du village dans l'espoir de prendre les ravisseurs sur le fait, et puis comment alors les neutraliser ?
Sans solution évidente, Valentin décida de ne rien décider dans l'immédiat, tout était vraiment trop compliqué. Il éteignit sa tablette, descendit souhaiter la bonne nuit à ses grands-parents et remonta se coucher.

Le lendemain matin, quand Valentin s'éveilla, tout était limpide dans sa tête, ses idées étaient redevenues claires, son inconscient avait trouvé les solutions. Premièrement, repérer le fourgon des ravisseurs qui n'allaient sûrement pas s'en tenir là. Il alluma son iPhone et, à l'intention de ses copains Gilles, Florian et Olivier, rédigea ce message : « Rendez-vous chez moi à neuf heures, venez en vélo. »
Ses trois fidèles amis arrivèrent en avance, signe que eux-aussi prenaient l'affaire à cœur.
— Bon, les amis il faut faire quelque chose de plus pour le chat de Bouboule. Je vous ai demandé de venir pour mettre un plan au point. J'ai la conviction qu'il s'agit de voleurs de chats !
— Pourquoi voler des chats ? demanda Gilles, pas pour les manger tout de même !
— Dans certains pays, les gens mangent les chats et les chiens, mais par ici, c'est plutôt pour d'autres raisons que certains les capturent. Il y a ceux qui les volent pour leur fourrure et d'autres, des laboratoires sans scrupules qui les utilisent pour des expériences, qui s'en servent comme cobayes.
— Mais c'est dégueulasse ! s'indigna Olivier.
— Oui, et c'est pour cela que je n'ai pas convoqué Pascal. Il a déjà assez mal.
— Alors, quel est ton plan ? enchaîna Florian.
— Il semble bien qu'il s'agisse de deux hommes qui piègent les chats en les attirant dans une sorte de nasse, deux individus qui se déplacent dans un fourgon blanc immatriculé en Suisse. Il faut que nous repérions ce fourgon, que nous lui placions une balise et que nous le pistions comme nous avons fait pour trouver le voleur du porte-monnaie de Lucie.
— Une balise, comment on va se procurer ça ? s'inquiéta Olivier.
— Chaque chose en son temps, décida Valentin, tout d'abord retrouver le fourgon. J'ai imprimé quatre plans du village, chaque plan est divisé en quatre secteurs. On aura chacun un secteur à sillonner en vélo. Florian, à toi le quartier est, Olivier au nord, Gilles à l'ouest et moi au sud. Si quelqu'un voit ce fourgon stationné, il note l'endroit ; s'il le voit en train de rouler, il note la ou les rues. Si nous n'avons pas de résultat ce matin, il faudra recommencer demain soir après les cours.
— Ça peut être très long cette affaire, s’inquiéta Florian.
— En fait, je ne crois pas et je suis même persuadé que nous allons les repérer dès aujourd'hui, demain au plus tard.
— Tu es voyant maintenant ? se moqua Gilles.
— Non, j'ai regardé la météo.
— Quel rapport avec le fourgon ? s'étonna Olivier.
— Tout simplement que les gens ne laissent pas leur chat dehors quand il pleut, or aujourd'hui il fait beau et demain le temps commence à se dégrader. Allez, en route les amis. Celui qui trouve envoie un message aux autres.

L'iPhone de Valentin vibra dans sa poche. Il s'arrêta et toucha la bulle verte de son écran. Le message provenait de Florian : « stationné rue de l'Arcalod ». Valentin répondit immédiatement : « surveille, j'arrive ».
En passant sur son VTT d'emprunt, il vit lui aussi le véhicule avec deux hommes à bord. Il rejoignit Florian fort occupé à faire semblant de régler son dérailleur.
— Les autres sont prévenus ? questionna Valentin.
— Oui, bien sûr. Qu'est-ce qu'on fait ?
— On les attend avant de passer à la phase deux. Les voilà justement. Éloignons-nous pour éviter de créer des soupçons.
— Tu as une balise GPS à mettre sur le fourgon ? demanda Gilles.
— J'ai mon iPhone comme la dernière fois à propos de Lucie.
— Tu es fou Valentin, tu risques de ne jamais le retrouver.
— Tant qu'il aura de la batterie, je pourrai le situer grâce à ma tablette et il est chargé à bloc. Le problème c'est que je ne sais pas comment le fixer.
— Il te faudrait du ruban collant double-face : fixé au dos de ton appareil et appliqué sous le fourgon.
— Non, pas sous le fourgon, le signal GPS ne passerait pas, sur le toit ce serait l'idéal.
— Sur le toit, mais il sera visible !
— Pas du tout. Ce type de véhicule mesure plus de deux mètres de haut. Mon iPhone ne pourrait être vu que par au-dessus. Quelqu'un possède du double-face ?
— J'en ai. J'habite tout près, je fonce en chercher.
Quand Florian fut revenu, Valentin sortit son canif et coupa une quinzaine de centimètres du large ruban et le colla au dos de son appareil.
— Comment on va faire pour le placer sur leur camionnette sans se faire prendre ?
— Si j'ai bien compris leur manège, ils ont dû placer leur piège dans un buisson près d'une maison non loin d'ici. Ils vont sûrement bientôt aller aux nouvelles.
— Tu as encore raison Valentin, il y en a un qui sort.
— OK, il va falloir faire vite. Gilles et Olivier, quand ce type sera hors de vue, vous irez faire du raffut juste devant le camion pour attirer l'attention du chauffeur, Florian et moi on passera par derrière. Flo, tu me feras la courte échelle pour coller mon iPhone. On se retrouve ici après. Allez, go !
Les quatre amis se séparèrent. Quand Gilles et Olivier arrivèrent au niveau de l'avant du fourgon, Olivier lança une bourrade de l'épaule à Gilles qui vint se cogner contre la portière côté chauffeur. L'homme baissa sa vitre.
— C'est fini vos conneries les gnards ! Foutez le camp avant que je sorte !
— On l'a pas abîmé vot' camion. On a le droit de passer dans la rue, non ? s'emporta Olivier.
— L'homme ouvrit sa portière.
— C'est bon ! C'est bon ! On s'en va ! fit Gilles qui venait de voir Valentin lui faire signe en levant le pouce.
Gilles et Olivier s'éloignèrent, bientôt rejoints par Florian et Valentin.
— Voilà, la balise est en place. Je vais aller chercher ma tablette plus un ou deux trucs. Viens avec moi Gilles parce que si ça bouge, on aura besoin de ton téléphone. Continuez à surveiller vous autres. Dès que j'ai leur position, Gilles vous envoie un message pour vous fixer un point de regroupement. C'est bon ? Allez, viens Gilles !

— Il s'est passé quelque chose pendant qu'on n'était pas là-bas ? questionna Gilles dès qu'ils furent à nouveau réunis.
— Oui, le deuxième mec est revenu en portant un cabinet de chat, affirma Olivier. Florian continua :
— Il a ouvert la porte à glissière du fourgon, continua Olivier, il l'a mis dedans et... — Regardez, voilà leur camionnette qui bouge, coupa Valentin les yeux fixés sur sa tablette, où vont-ils ?
— On dirait qu'ils prennent la route de l'église, constata Olivier.
— Elle mène où cette route ? Je ne connais pas encore le village par cœur, s'excusa Valentin.
— S'ils continuent tout droit, ils vont vers le col. Pour les suivre, ça va être plutôt hard ! gémit Gilles.
— Quelqu'un a une idée de leur destination ?
— Il y a un village à six kilomètres et un autre à neuf. Le col est à onze.
— Ou la la ! se plaignit Gilles.
— De l'autre côté ça redescend… plaisanta Florian.
— Du calme ! Nous ne pouvons pas rivaliser avec un moteur, nous devons simplement localiser leur repaire, donc nous allons rouler cool. De plus je serai obligé de m'arrêter de temps en temps pour sortir la tablette de mon sac à dos et faire le point, disons tous les kilomètres. Oxygène-toi bien Gilles, nous partons. Vas-y Olivier, passe en tête et roule sans forcer. On va se relayer pour mener.

— Ça doit faire deux kilomètres maintenant, affirma Gilles, tu fais le point ?
— OK. Aïe, j'ai du mal à me connecter, il n'y a presque plus de réseau , la réception est à la puissance minimale. Ah, ça y est. Le fourgon est à... quatre kilomètres, à peu près. Il continue à avancer. Mais on a un gros problème les gars, si je continue je vais perdre complètement la connexion 4G et sans elle, je ne peux plus les localiser.
— Qu'est-ce qu'on fait alors ? s'inquiéta Olivier.
— Il faut que Valentin reste ici et nous renseigne, suggéra Florian.
— Nous renseigne comment ? ironisa Gilles, par télépathie ?
— Par téléphone tiens donc !
— Si sa tablette est à la limite de réception, nos téléphones aussi, tu ne crois pas ? reprit Gilles sarcastique.
— Donc c'est fichu et son iPhone est perdu… s'inquiéta Florian.
— Pas obligatoirement. Nous restons tous ici et nous surveillons le signal.
— Le signal peut marcher même si ton iPhone n'a plus de réseau ? demanda Florian.
— Oui, par GPS, comme un navigateur de voiture, intervint Olivier.
— Nous attendons donc que le signal reste fixe et nous aurons ainsi leur point de chute.
— Leur point de chute ? Florian fronça les sourcils d'incompréhension.
— Leur quartier général, l'endroit où ils se garent, leur maison, expliqua Gilles.
— Ça y est, le signal est fixe ! J’agrandis la carte. Regardez ! Quelqu'un sait-il où cela se situe en vrai ?
— Montre, dit Gilles en prenant la tablette. Oui, je sais où c'est : après le deuxième village et avant le col, sur la gauche, il y a la route forestière et là, c'est un ancien foyer de ski de fond désaffecté. C'est à neuf cents mètres d'altitude, je ne me vois pas grimper jusque là-bas.
— Là haut ! Qui est partant pour aller voir ? s'enquit Valentin.
— Je suis navré mais il va falloir que je rentre, je n’ai pas d’assez bonnes notes et mes parents me surveillent, se désola Olivier.
— Moi je peux, affirma Florian.
— Voici ce qu'on va faire : Florian et moi, nous allons aller voir sur place pour être sûr.
— Ben vous êtes courageux ! Trois cents mètres de dénivelée !
— Rentrez chez vous et pas un mot à quiconque, n'est-ce pas ? Gilles, prends mon sac à dos avec ma tablette.
— Voilà la route forestière, haleta Florian. C'était dur sur la fin, hein ?
— Question d’entraînement je suppose. Cachons nos vélos dans ce bosquet, on va finir à pied.
— La route est couverte de feuilles mortes mais on voit nettement des traces de roues.
— Pas de bruit surtout, on parle par gestes à partir de maintenant.
— D'accord ! chuchota Florian.
Les deux amis s'engagèrent sur la très étroite route de montagne sinuant dans le bois. Après deux cents mètres, un toit apparut au milieu d'une petite clairière. Valentin fit signe à Florian de rester caché derrière le tronc d'un hêtre, s'avança d'une vingtaine de mètres, se dissimula derrière un gros épicéa et fit signe à Florian de le rejoindre. Du doigt, Valentin désigna une petite grange séparée de la bâtisse principale. D'un geste circulaire de la main, il indiqua la façon de s'approcher du petit bâtiment de bois. Derrière la grange se trouvait le fourgon blanc, invisible de la route. Valentin mima le geste de téléphoner puis celui du porteur de courte-échelle. Florian se mit en position et hissa son ami qui décolla difficilement son portable du toit du véhicule. Pouce levé, il montra que tout était OK puis, toujours caché du bâtiment principal, il s'avança et colla son oreille contre les planches de la grange. Quelques feulements à peine audibles lui parvinrent. Il hocha la tête de façon affirmative et invita Florian à écouter à son tour. Valentin fit lentement le tour de la grange et avisa une fente dans la paroi. Faisant écran de son corps, il colla la vitre de son iPhone contre la fente, activa la lampe incorporée. Il put alors distinguer quelques félins couchés sur la terre battue. Attiré par la lueur, un chat miaula plaintivement.
Valentin éteignit rapidement la lumière de son iPhone et rejoignit Florian. Sortant de sa poche deux clous à tête fine, il en tendit un à son ami qui le regarda d'un air interrogatif. De l'index, il lui fit signe de le suivre. Valentin s'accroupit près de la roue avant droite du fourgon, dévissa le capuchon de la valve et, à l'aide de la tête du clou, appuya doucement sur le clapet. En se dégonflant le pneu émit un chuintement que Valentin contrôla en dosant la pression sur le clou. Le véhicule s'inclina légèrement sur sa droite. Florian comprit l'intention et fit de même avec la roue arrière. D'une mimique et d'un geste du doigt, il demanda s'il fallait faire l'opération sur les roues gauches. Non fit Valentin de l'index en revissant le capuchon, imité par Florian. D'un mouvement expressif et impératif des avant-bras, il donna le signal de la retraite.
Quand ils furent revenus à leurs VTT, Florian demanda à voix basse :
— Et maintenant qu'est-ce qu'on fait ?
— On rentre au village, je te dirai en roulant, souffla Valentin.

— Alors ? questionna Florian quand ils furent remontés sur leurs VTT.
— Nous ne pouvions rien apprendre de plus. Neutraliser les malfrats à nous deux, ce n'était pas possible donc il nous faut de l'aide pour la suite de l'opération.
— Il s'agit donc bien comme tu le pensais d'un affreux trafic de chats, soit pour leur fourrure, soit pour des expérimentations.
— Oui, j'en ai la certitude. Dans un quart d'heure nous serons en bas et je préviendrai l'adjudant Lemoine pour qu'il fasse intervenir sa brigade.
— Ils vont peut-être s'échapper ?
— Loin de tout, avec un fourgon dans l'incapacité de rouler, avec une seule route comme sortie de secours, ils sont piégés à leur tour. Ils vont bientôt comprendre comme c'est agréable d'être mis en cage ! Dès qu'il y a du réseau, je téléphone. Toi tu préviendras Gilles et Olivier.
— Et Bouboule ?
— Non, c'est trop tôt, ne lui donnons pas de fausse joie. Je pense que les gendarmes vont faire intervenir la SPA pour récupérer toutes ces pauvres bêtes et les identifier.
— Il y en avait beaucoup, tu as pu voir ?
— Au moins une quinzaine !
— Est-ce qu'il y avait le chat de Bouboule ?
— Désolé, je n'ai pas eu le temps de détailler.
— Alors jeunes gens, dit avec bonhomie l'adjudant Lemoine, quand est-ce que vous passez le concours d'entrée dans la gendarmerie ? Vous êtes de fameux enquêteurs !
Les quatre jeunes gens en rougirent de contentement et de fierté.
— Comment les opérations se sont-elles passées là-haut ? s'enquit Valentin.
— Nous les avons surpris dans l'ancien foyer de ski de fond qu'ils occupaient sans la moindre autorisation. Ils étaient bien deux. Ils n'ont rien vu venir et se sont laissés cueillir comme des fruits mûrs.
— Et les chats, mon adjudant ? questionna Florian.
— Il y en avait dix sept dans la grange, affamés et assoiffés. Nous avons demandé à la SPA de les prendre en charge et de les identifier si possible. Les maîtres de ceux qui sont tatoués ou identifiés par puce électronique seront prévenus directement, quant aux autres, nous ferons publier une annonce dans les journaux locaux à leur intention. Les malfrats opéraient pour un laboratoire secret qui avait besoin de chats pour leurs expérimentations inavouables. Encore bravo pour votre flair à tous les quatre, mais je vous interdis de prendre de tels risques à l'avenir. Les voyous ne font pas de sentiment !
— Mon adjudant, je désire être prévenu avant tout le monde si dans la lot se trouvait celui-ci, dit Valentin en présentant la photo de Guzzy, le chat de Bouboule, ainsi qu'une chatte siamoise nommée Asya.
— Pas de problème Valentin, je te dois bien ça. Tu seras le premier informé.

Le lendemain, à la fin du cours de sciences, en compagnie d'un Pascal Boulot rayonnant, de Florian, Gilles et Olivier, Valentin s'adressa à la professeure :
— Mademoiselle, pouvons-nous vous parler quelques minutes ?
— Oui bien sûr, répondit-elle avec un sourire triste, que puis-je faire pour vous ?
— Retrouver un vrai sourire, fit Valentin en tendant vers elle son iPhone présentant la photo d'un superbe chat siamois.
— C'est le même que ma pauvre Asya.
— Non mademoiselle, C'EST Asya ! La SPA a pu contrôler sa puce électronique et nous l'a confirmé.
— Mais qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?
— Elle avait été kidnappée comme beaucoup de chats du village, y compris Guzzy, le chat de Pascal.
— Comment avez-vous fait pour les retrouver ?
— C'est toute une histoire, mes amis vont vous raconter...