VALENTIN AU COLLEGE

15. ENQUÊTE

« Au revoir madame Loiseau. »
Valentin et Gilles descendirent du véhicule marqué du logo de la SPA. La conductrice leur fit un petit signe de la main et reprit sa route emportant le chien couché dans une cage.
— Que vous est-il arrivé ? s’inquiéta le grand-père de Valentin.
— À nous rien, rassura Valentin, mais on a sauvé un pauvre chien abandonné en forêt. Il était attaché à un arbre et avait une oreille sectionnée.
— Et vous avez appelé la SPA, c'est une bonne réaction, félicita le grand-père.
— Nous nous demandons comment faire pour retrouver le sinistre individu capable d'un acte aussi horrible.
— Là, c'est quasi impossible mon pauvre garçon.
— Tu as probablement raison. Je vais dans ma chambre avec Gilles, on va réfléchir.

— Donne moi une feuille de papier et un crayon, demanda Gilles, on va mettre noir sur blanc tout ce qu'on a et ce qu'on sait.
— OK. D'abord le lieu, tu le connais mieux que moi.
Gilles écrivit :
— Lieu : dans le bois de la grande sapinière.
— Précise le moyen d'accès.
— Accès par route du col, village de Saint Marcel, chemin forestier du Levant.
— Les faits maintenant, enchaîna Valentin.
— Un chien... berger allemand ?
— Berger belge à poil court, la dame de la SPA me l'a précisé.
— ...à poils courts, une corde servant de collier, nouée autour de son cou, une autre servant de laisse reliée au collier et une muselière en corde également nouée au collier… Elle n'avait aucune chance de pouvoir se délivrer en rongeant son attache, la pauvre bête.
— Ajoute qu'il était attaché à un hêtre et condamné à rester debout à cause du point d'attache trop haut et parle de son oreille.
— ...trop haut. Il avait l'oreille droite coupée et ensanglantée. Il était épuisé.
— Maintenant ce que nous avons fait pour lui.
— Nous lui avons donné à boire et du jambon à manger avant de soigner son oreille et de la prendre en photo.
— Notons maintenant ce que nous avons trouvé dans les environs, suggéra Valentin.
— ...dans les environs : une empreinte de semelle, un mouchoir en papier plein de sang séché et un mégot… En revenant avec le chien, on a vu des empreintes de pneus de voiture...Je crois que c'est tout ce qu'on a.
Valentin reprit :
— Il reste à transférer les photos de mon iPhone sur ordinateur et ensuite les imprimer.
— Tu sais faire tout ça, toi ?
— Ce n'est pas sorcier avec une clé à deux embouts : USB d'un côté et lightning de l'autre.
— C'est quoi lightning ?
— Qui se branche sur un iPhone. Allons demander à mon grand-père la permission d'utiliser son bureau.

— Voyons ce que nous pouvons retirer de ces images, décida Valentin.
— Pourquoi tu as mis ton canif à côté des empreintes sur chaque photo ?
— Pour avoir un repère mesurable. Bon, je vais calculer le rapport canif-empreinte.
Je mesure mon canif sur l'image : 3,2 centimètres. Toujours sur l'image, l'empreinte du pied fait 11 centimètres. J'active la calculette de mon smartphone : 11 divisé par 3,2, j'obtiens 3,4375. Mon canif fermé fait en réalité 9 centimètres de long donc la chaussure du type mesure réellement : 9 multiplié par 3,4375 soit 30,9675 centimètres que j'arrondis à 31 centimètres. «Grand-père, combien tu chausses ? » cria Valentin à travers la maison.
— Du 43 mon garçon, pourquoi ?
— Tu peux me prêter une de tes bottes et ton mètre ?
— Dans le garage. Tu peux m'expliquer ?
— Je te dirai tout dans un moment grand-père ! Gilles, je reviens dans deux minutes, en attendant peux-tu rechercher sur internet la différence entre deux pointures ?
Valentin descendit quatre à quatre les marches de l'escalier conduisant au garage et dans la minute qui suivit les remonta deux par deux.
— Qu'est-ce que tu es allé faire ?
— Je suis allé au garage mesurer la semelle de la botte de mon grand-père. Il chausse du 43 et sa botte mesure 29,7 centimètres.
— Quel rapport ?
— Tu as trouvé ce que je voulais ?
— Oui. 0,666 centimètres entre deux pointures. Ça va te servir à quoi ?
— Écoute le raisonnement : entre la semelle du type 31 cm et celle de la botte de mon grand-père 29,7 cm il y a 1,3 cm. Si je divise 1,3 par la différence entre deux pointures donc 0,666, j'obtiens 1,95 soit tout près de 2. Le salopard a le pied plus grand que celui de mon grand-père. Il chausse du 43+2 donc du 45 !
— Chapeau pour tes calculs, où as tu appris tout ça ?
— En Australie, j'ai appris la règle de trois à la fin de l'école primaire. J'avais un maître sensationnel.
— Donc le sale type chausse du 45. On est bien avancé maintenant, dit Gilles un peu goguenard.
— Nous avons un premier élément. Examinons maintenant les traces des roues. Quelle est la marque de pneu la plus utilisée en France ?
— Je pense que c'est Michelin.
— OK . Sur internet, je cherche « empreintes de pneus Michelin » et je clique Images.
Voilà, comparons.
— Rien qui ressemble, dit Gilles déçu, essaye Continental.
— Rien non plus, quoi d'autre ?
— Bridgestone.
— Bingo, regarde : Bridgestone Blizzak, c'est exactement ça !
— D'ac, on a un type qui avait un chien, qui roule en bagnole avec des pneus Bridgestone et qui chausse du 45 ! On le trouve où ?
— Nous n'avons pas fini. Cette image là maintenant, fit Valentin en saisissant la photo de l'oreille mutilée.
— Ça me fait mal de voir ça ! se plaignit Gilles.
— À moi aussi mais il faut avancer. Tu vois ces traces bleues ?
— Oui, mais on ne peut rien en déduire.
— Attends, je reprends la photo sur le logiciel de traitement d'images et je l’agrandis au maximum. Maintenant je capture le résultat et je l'imprime. Voilà.


— Qu'est-ce qu'on peut en déduire ? À mon avis, rien du tout, se désespéra Gilles.
— J'appelle la SPA.
Allô ? La SPA ? Oui, bonjour madame, est-ce que madame Loiseau est rentrée ? Je suis Valentin Valmont avec mon ami Gilles Arroux. Oui, c'est nous qui... Comment va le chien ? Bon, tant mieux. Non, ne la dérangez pas, vous pouvez sûrement nous renseigner. Comment est fait le tatouage d'un chien ? Oui, bien sûr avec une encre spéciale, mais comment est déterminée l'inscription ? Sept caractères, oui. Un chiffre, trois lettres, trois chiffres… Et qui correspondent à… OK. Avec cette inscription il est possible de retrouver le propriétaire ? Comment faut-il faire ? S'adresser à vous ou aux autorités. Je vous remercie… Oui ? Non, de rien madame, merci.
— Alors, que t'a-t-elle dit ?
— Elle m'a dit… Attends, procédons par ordre, elle m'a dit que le premier signe est obligatoirement un chiffre. J'écris les chiffres :
1 2 3 4 5 6 7 8 9. Regarde bien le premier symbole sur la photo, c'est quoi à ton avis ?
— Cela ne peut être que la base d'un 2.
— D'accord avec toi. J'écris les lettres maintenant :
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
La première lettre présente deux traits obliques donc A ou X ; la deuxième deux traits verticaux donc obligatoirement un H ; la troisième avec une pointe évasée, c'est un V. Les derniers chiffres : ce petit arrondi, c'est le bas d'un 8, d'accord ? Encore un 2 pour le deuxième puis à mon avis un 4.
— On n'a donc que deux possibilités : soit 2 AHV 824 soit 2 XHV 824 se réjouit Gilles.
— Tu vois quand tu veux ! Pour ma part, je crois qu'il s'agit de la première.
— Pourquoi ça ?
— Parce que la dame de la SPA m'a expliqué que depuis l'an 2000, une nouvelle numérotation a été mise en place car l'ancienne était saturée. Cela m'étonnerait fort que l'on utilise déjà le X en première lettre ou alors c'est qu'il y a plusieurs milliards d'animaux immatriculés depuis cette date ! Donc voici l'identité du chien, affirma Valentin :


— On appelle la SPA pour savoir qui est le bourreau ?
— Non Gilles. Il vaut beaucoup mieux faire une lettre à l'adjudant Lemoine en lui expliquant tout et en joignant les pièces à conviction. C'est le seul à pouvoir agir maintenant.
— Tu as sûrement encore raison. Tu me laisses faire la lettre ? J'irai la poster directement en rentrant chez moi. Je l'aimais déjà très fort ce chien, tu comprends ?

— Ah ! Encore vous ! dit avec bonhomie l'adjudant Lemoine après que le brigadier Guimard eut introduit les deux adolescents dans son bureau.
— C'est encore nous parce que vous nous avez convoqués, répondit du tac au tac Valentin avec un sourire complice.
— Vous avez encore fait du sacré bon travail dans cette affaire de maltraitance animale…
— Vous avez arrêté le coupable ? coupa Gilles plein d'espoir.
— Nous l'avons identifié. Il s'agit d'un homme un peu fruste, assez brutal, qui est vigile dans un supermarché et videur de boite de nuit à l'occasion. Il habite une HLM en ville.
— Vous êtes bien certain que c'est lui ? continua Gilles.
— Tout concorde : les semelles de ses bottes identiques à l'empreinte, les pneus Bridgestone de sa Clio, les témoignages des voisins qui confirment sa possession d'un chien berger belge et surtout le mouchoir que nous avons fait analyser. Les tests ADN sont formels, il y a du sang du chien et de son propre sang, et son avant-bras gauche présentait des traces de griffures.
— C'est quoi un test ADN ? s'enquit Gilles.
— Il s'agit d'une façon incontestable de reconnaître un individu ou un animal. Chaque être vivant, ou mort d'ailleurs, possède dans chacune des cellules de son corps un ADN unique. Par exemple, si tu avais le même ADN que Valentin, tu serais Valentin et non pas Gilles, tu comprends ?
— Comme les empreintes digitales alors ?
— Oui, mais en plus scientifique donc fiable à 99,9 pour cent.
— Et le mégot ?
— Il va dans le même sens, cet homme fume et roule lui-même ses cigarettes, donc tout concorde.
— Je ne comprends pas bien, intervint Valentin, si cet homme est vigile, il a besoin d'un chien, non ? Pourquoi abandonner celui-ci ?
— Peut-être le trouvait-il trop gentil, pas assez agressif, pas assez dissuasif.
— Vouloir faire mourir son chien parce qu’il est trop gentil, c'est abominable ! Il va aller en prison ? continua Gilles.
— La SPA a porté plainte. Un juge se prononcera.
— Que risque-t-il ?
— La peine maximale encourue pour maltraitance animale est de deux ans de prison et trente mille euros d'amende. Le juge peut aussi prononcer, à titre complémentaire, l'interdiction définitive ou provisoire de détenir un animal.
— Que va devenir ce pauvre chien maintenant ? demanda encore Gilles anxieux.
— Il va attendre à la SPA que quelqu'un veuille l'adopter, mais il a peu de chances avec son oreille mutilée.
— Mais alors, qu'est-ce qui va lui arriver ?
— Malheureusement pour lui, si personne n'en veut, il finira par être euthanasié.
— C'est quoi ça ?
— Endormi avec une piqûre et mis à mort de façon indolore avec une injection de barbituriques.
— Mais c'est absolument dégueulasse ! Tout ça parce qu'il est trop gentil ?
— C'est bien triste, oui.
— Moi, je le veux ce chien. Quand il souffrait le martyre dans le bois, il m'a léché la main. On a une petite pelouse autour de la maison, je vais demander à mes parents de l'adopter, c'est moi qui m'en occuperai, affirma Gilles fortement.
— Bon, les enfants, votre garde à vue est terminée, plaisanta l'adjudant pour alléger l'ambiance pesante. Vous avez vraiment le chic pour vous mettre dans des situations invraisemblables. La gendarmerie vous remercie de votre aide intelligente. Restez toujours prudents à l'avenir, le monde n'est pas peuplé que de gentils et n'essayez jamais de faire justice vous-mêmes, hein ?