Le lendemain de sa déconvenue, Valentin profita du dimanche pluvieux pour transférer sur l'ordinateur de ses grands-parents les photos prises la veille. À l'aide du logiciel de traitement d'images, il sépara les personnages en autant de nouvelles photos qu'il imprima, réalisa des gros plans des visages, puis intégra le tout dans son smartphone avant d'effacer les traces de son travail. Il était certains de n'avoir jamais vu les trois garçons qui, avec la complicité d'Océane, l'avaient humilié.
Le lundi suivant, à l'interclasse de dix heures, Valentin, qui ne la perdait pas de vue, déjoua plusieurs fois la tentative de rapprochement d'Océane. Appareil photo opérationnel en main, il s'efforça de situer sa jumelle et dès qu'il le put, prit discrètement plusieurs gros plan du visage de Marine. Satisfait de son action, il rejoignit le groupe de ses meilleurs amis, ignorant les impérieux signes de la main d'Océane.
Toute la journée, il sut éviter tout rapprochement, ignora les demandes chuchotées de celle qui était toujours sa voisine pendant les cours, négligea les messages papier qu'elle tenta de lui faire passer, ne répondit pas à ses textos.
Le soir de ce même lundi, sous prétexte de recherches pour le collège, il reprit possession du gros ordinateur familial. Juxtaposant les photos des visages des jumelles, établit un calque de quadrillage sur chacune et examina chaque carré d'image. Œil droit, œil gauche, ensemble des deux, nez, menton, pommettes, joues, oreilles, implantation des cheveux, tout était semblable. Il agrandit encore un peu plus les images et c'est là qu'il vit la différence : la partie supérieure du lobe de l'oreille gauche de Marine présentait un très léger aplatissement.
Satisfait de sa petite enquête, Valentin fit à nouveau le ménage de l'ordinateur, vida la corbeille et, l'esprit plus tranquille se mit à l'apprentissage de ses leçons.
Le lendemain, Océane au ruban bleu océan prit comme d'habitude place à la table voisinant celle de Valentin. Elle semblait avoir pris son parti de la froideur du garçon et ne tenta rien pour le distraire. À la faveur d'un mouvement de tête destiné à rejeter ses cheveux en arrière, Océane découvrit un instant le côté gauche de son visage laissant fugitivement apercevoir son oreille à l'ourlet légèrement aplati. Valentin fit celui qui n'avait rien remarqué mais il avait compris le stratagème, elles avaient échangé leurs places et leurs rubans.
À la récréation qui suivit, la jumelle au ruban bleu foncé vint vers Valentin qui se laissa aborder avec le sourire.
— Qu'est-ce qui se passe avec ma sœur Valentin ? Depuis samedi elle pleure tout le temps et ne comprend rien à ton attitude. Elle a vraiment envie de sortir avec toi, tu sais.
— Il ne peut pas être question que je sorte avec quelqu'un qui me laisse tomber à la première occasion, je ne suis pas un « faute de mieux » !
— Je comprends, mais moi, je ne laisse jamais tomber personne.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Tu es trop malin Valentin. Ne me dis pas que tu ne comprends pas. Je ne fais pas les mêmes erreurs que ma sœur, moi !
— Tu veux prendre la place qu'elle a perdue ?
— Pourquoi pas. Elle te plaisait et moi je suis physiquement exactement la même. Tu veux bien ?
— Écoute-moi bien MARINE, tu diras à ta sœur que les garçons n'aiment pas qu'on triche avec eux. Tu lui diras que la seule chose que ne doit jamais faire une fille qui sort avec un garçon, c'est lui laisser le sentiment qu'il passe après les autres. Se moquer de lui en compagnie d'autres mecs, c'est signer une lettre de rupture définitive. Glisse-lui ça dans l'oreille... gauche ! Salut !