VALENTIN AU COLLEGE

28. L'ADJUDANT LEMOINE

Le principal, monsieur Tardy, appuya sur le bouton de l'interphone marqué « secrétariat ». La réponse, au son métallisé par l'électronique, arriva immédiatement :
— Oui monsieur le Principal ?
— Madame Belmont, j'attends un intervenant de la gendarmerie, introduisez-le dans mon bureau dès son arrivée s'il vous plaît.
— Ce sera fait monsieur le Principal, autre chose ?
— Non, c'est bon pour le moment.

— Ah, adjudant Lemoine, heureux de vous voir. Comment allez-vous ?
— Si vous voulez parler de ma personne, elle va bien ; si vous faites référence à ma brigade, elle fait ce qu'elle peut ; si on généralise au niveau des moyens, la gendarmerie est en retard de vingt ans ! Mais passons. Dans quelle classe désirez-vous que nous présentions notre exposé sur la drogue ?
— Je vais peut-être vous choquer, mais je pense qu'il n'est jamais trop tôt pour avertir nos jeunes des dangers qui les menacent, aussi j'ai prévu de rassembler mes quatre classes de cinquième dans la salle de documentation jeudi à dix heures. L'horaire vous convient toujours ?
— Affirmatif ! Les cinquièmes, ça fait combien d'élèves en tout ?
— Cent dix garçons et filles, en proportions égales.
— C'est bien douze ans l'âge moyen ?
— Oui, en théorie, mais certains ont treize ans et quelques uns quatorze.
— Les exposés de ce type ciblent plutôt les classes de troisième, mais le pédagogue en chef c'est vous. Nous allons tenter d'adapter notre discours. Assisterez-vous à notre conférence ?
— Je viendrai faire la présentation mais je ne pourrai pas rester, trop de travail ! Les professeurs qui devaient avoir cours avec ces classes pourront assister.
— En fait, je n'y tiens pas. Leur présence risque de dénaturer les réactions des enfants.
— Il en sera fait comme vous le désirez.
— Entendu, je me présenterai à votre secrétariat jeudi à dix heures précises. Mes respects monsieur le Principal.

— Asseyez-vous. Je vous présente l'adjudant de gendarmerie Lemoine accompagné de son adjoint... heu...
— Le brigadier Guimard.
— Ils vont vous parler des différentes drogues et des très graves dangers qu'elles représentent. Soyez attentifs et disciplinés. Je vous laisse mon adjudant, quand vous en aurez terminé, laissez les élèves descendre dans la cour.
— Bonjour à tous. Peut-être que certains ici nous connaissent : je commande la brigade de gendarmerie de proximité de votre village avec un effectif de cinq gendarmes. Nous sommes chargés de la sécurité des citoyens. Comme votre principal vous l'a dit, nous allons vous parler des drogues et du danger qu'il y a à en consommer. Vous pouvez intervenir quand vous le souhaitez. Vous dites votre prénom puis vous posez votre question. D'abord, qu'est-ce qu'une drogue ? Qui peut me le dire ?
Une main de jeune fille se leva :
— Mon prénom c'est Léa. Une drogue c'est un produit qu'on achète chez le droguiste, m'sieur.
Quelques rires d'initiés saluèrent la naïveté de la réponse.
— Tu n'as pas complètement tort Léa dans la mesure ou une drogue est aussi un produit chimique. Celles dont je vais vous parler sont des substances qu'on peut respirer, fumer, avaler ou s'injecter dans le but de se sentir mieux ou d'oublier ses ennuis.
— Adrien. M'sieur, alors c'est bien la drogue ?
— Certaines sont « bien » comme tu dis Adrien quand elles sont utilisées par les médecins pour soulager un malade. Seulement les drogues sont extrêmement dangereuses, même celles employées médicalement.
Il existe deux catégories de drogues : il y a les drogues d'origine végétale et les drogues d'origine chimique mais elles ne sont pas vendues en droguerie. Commençons par les premières. La plus connue parmi celles-ci c'est le cannabis encore appelé chanvre indien. Voici une photo de la plante, elle est facilement reconnaissable à ses feuilles. Le brigadier Guimard va passer parmi vous et vous montrer à quoi ça ressemble. Le cannabis est consommé sous deux formes, premièrement la marijuana : les feuilles et les fleurs sont séchées puis broyées, mélangées à du tabac et fumées en cigarettes, les revendeurs appellent ça du beuh ; deuxièmement le haschisch ou résine de cannabis. La résine est séchée en tablettes d'aspect marron jaunâtre, les dealers appellent ça du shit. Effritée, elle est mélangée à du tabac et fumée, et la cigarette qui en contient est appelée un joint.
— Mon nom c'est Marion. C'est quoi un dealer m'sieur ?
— Un dealer c'est un revendeur de drogue. La vente de cette drogue est une activité illégale en France et peut être punie de cinq ans de prison et de soixante quinze mille euros d'amende !
— Ohhh ! fut le cri d'étonnement quasi unanime.
— Ils ne sont jamais pris, ils ont des guetteurs, lança la voix muée d'un garçon.
— Tous les jours des dealers et des guetteurs sont arrêtés par la police ou la gendarmerie, jeune homme et les autres sont repérés. J'ajoute que le simple consommateur de cette drogue est passible d'un an de prison et de trois mille sept cent cinquante euros d'amende.
— Pourquoi il y en a qui fument du cannabis si c'est interdit, m'sieur ? Mon prénom c'est Anaé.
— Ceux qui en consomment disent que ça leur procure une sensation de bien-être et d'euphorie.
— Pourquoi c'est interdit alors ? fit un garçon déluré.
— Parce que cette drogue, comme toutes les autres qu'on verra après, crée une dépendance, c'est à dire qu'on a de plus en plus de mal à s'en passer et qu'il en faut de plus en plus. Elle a des effets nocifs sur la mémoire, les performances du cerveau, les réflexes qui sont ralentis. De plus, elle est longtemps détectable dans l'urine, ce qui donne un contrôle de dopage positif pour les sportifs en compétition et pour les chauffeurs qui ont un accident, avec de graves conséquences dans les deux cas. J'ajoute qu'on a calculé que fumer un joint par jour revient à cent trente euros par mois. Des questions ?
— Est-ce qu'on peut essayer une fois et s'arrêter ? Heu je m'appelle Damien, demanda intelligemment un garçon.
— Est-ce que tu connais des fumeurs de cigarettes ?
— Oui, mon père.
— Est-ce qu'il a déjà essayé de s'arrêter de fumer ?
— Euh, oui, souvent.
— Et il n'a pas réussi, n'est-ce pas ?
— Non, pas encore...
— Et bien avec le cannabis, c'est encore plus difficile ! La meilleure façon d'arrêter crois-moi, c'est de ne pas commencer. Méfiez-vous de ceux qui vous diront « Tiens essaye, tire une bouif, tu verras, c'est vachement bon » etc. C'est comme ça qu'on commence, puis un jour, on veut essayer autre chose, une drogue qui fait plus d'effet donc une drogue plus dure, par exemple : connaissez-vous le coquelicot ?
— Ben oui, oui bien sûr, tout le monde connaît, oui, ben oui… C'est pas une drogue !
— Le coquelicot appartient à une famille de plantes appelée « papavéracées » ou famille des pavots. Une espèce de cette famille, le pavot somnifère est une plante à fleur qui est cultivée principalement en Orient. Regardez voici une photo de pavot somnifère bleu. Il est en réalité plutôt rose violet. La capsule qui contient les graines produit aussi une sève qu'on appelle l'opium.
De l'opium, par des procédés chimiques, on extrait principalement deux substances, la codéine et la morphine qui sont des médicaments capables de soulager les grandes douleurs de certains malades.
— Moi c'est Paul. C'est un bon produit alors !
— Oui et non car la morphine est une drogue et de cette drogue il est possible d'extraire une autre drogue qui s'appelle l'héroïne. Les dealers l'appelle la blanche car elle ressemble à de la poudre blanche. Brigadier, montrez-leur un sachet d'héroïne. Cette drogue s'utilise dissoute puis injectée dans le sang par une piqûre.
— Aïe, ça fait mal une piqûre ! Pourquoi ils font ça ? Ils sont fous ! frissonna une petite.
— Cette saloperie d'héroïne engourdit le cerveau, donne une sensation d'apaisement puis d'extase et d'euphorie souvent suivie de vertiges et parfois de nausées. Le problème, c'est qu'on est rapidement dépendant et qu'il faut sans cesse augmenter la dose pour obtenir les mêmes phénomènes. Si on arrête d'en prendre, on a une très désagréable sensation de manque et si on en prend trop, c'est la surdose, l'overdose qui entraîne la perte de connaissance et parfois la mort.
Un silence absolu fit suite aux paroles de l'adjudant. Le mot qui fait peur avait été prononcé. L'adjudant laissa volontairement le silence se prolonger afin que ses paroles marquent bien les jeunes esprits de son auditoire.
— Autre drogue végétale : la cocaïne. Regardez cette image, c'est un arbuste appelé cocaïer. À partir des feuilles de cocaïer ou coca, on extrait une substance qui se présente sous la forme d'une poudre blanche ressemblant à de la farine.
— Le coca comme le Coca-Cola ? questionna spontanément un garçon. Moi c'est Thomas.
— Exactement Thomas. D'ailleurs cette boisson fut inventée par un ancien combattant de la guerre de Sécession aux États Unis pour soigner ses douleurs. À l'origine le Coca-Cola c'était des feuilles de coca et des noix de cola macérées dans du vin. Cette boisson contenait la cocaïne des feuilles de coca, la caféine des noix de cola et l'alcool du vin. Par la suite l'alcool puis la cocaïne furent supprimés et le taux de caféine fortement diminué, mais il en reste un peu dans le Coca-Cola que vous buvez.
Je continue : la poudre blanche que le brigadier Guimard vient de vous montrer, la cocaïne est une drogue puissante qui s'aspire par le nez. Elle procure une euphorie, une impression de puissance, supprime la fatigue et la douleur mais aussi cause des délires, des hallucinations et des troubles cardiaques. Quand la drogue s'élimine du corps, la sensation de toute puissance n'existe plus mais est suivie par une impression de vide, de manque, d'anxiété qui incite à en prendre toujours plus et ainsi la dépendance s'installe. Un drogué dépendant ferait n'importe quoi pour se procurer à nouveau son poison.
— Clara. Mais m'sieur, pourquoi il y a des gens qui en vendent ?
— Pour l'argent Clara. Ce commerce interdit rapporte beaucoup d'argent aux trafiquants. Ceux-ci en arrivent à se battre et même à s'entre-tuer pour conserver leur marché et leur zone de vente. De la même façon, certains drogués n'hésitent pas à commettre des vols ou des braquages pour se procurez l'argent nécessaire à leurs achats.
Je vous ai parlé des principales drogues issues des végétaux, il y en a d'autres, par exemple certains champignons hallucinogènes. Le tabac et l'alcool peuvent également être considérés comme des drogues car leurs consommateurs ont beaucoup de mal à s'arrêter d'en consommer comme on l'a vu il y a un instant.
— Je m'appelle Nathan. Comment ça se passe la première fois ? Je veux dire qui est-ce qui vient nous en vendre ?
— La plupart du temps, c'est un copain qui vous en donne pour essayer et si vous acceptez, vous êtes pris dans un engrenage infernal. En fait ce soit-disant copain ne cherche pas à vous faire plaisir, il cherche à vous rendre dépendant pour pouvoir vous en vendre toujours plus et ainsi augmenter ses bénéfices.
Bon, je passe aux drogues chimiques de synthèse. Tout d'abord, le crack. C'est de la cocaïne mélangée à du bicarbonate et de l'éther. Séché, ça ressemble à du sucre. Les consommateurs le font chauffer et respirent les vapeurs. Ça agit comme de la cocaïne suractivée mais l'effet dure moins longtemps. Cette saloperie vous rend extrêmement dépendant et les conséquences sont terribles : comportement violent, délire, idées de suicide et j'en passe !
L'Ecstasy maintenant. Montrez-leur le sachet de cachets, Guimard. Comme vous le voyez, cette drogue se présente sous forme de comprimés à avaler. C'est un stimulant et un hallucinogène.
— Ça veut dire quoi hallucinogène, m'sieur ? Moi c'est Lucie.
— Hallucinogène veut dire qui donne des hallucinations, autrement dit voir des choses qui n'existent pas, comme dans un rêve ou plutôt un cauchemar, tu comprends ?
Lucie acquiesça de la tête.
— La consommation de crack entraîne tout un tas d'effets désagréables sur le corps et la surdose peut conduire à la crise cardiaque.
Le LSD maintenant. C'est un autre hallucinogène encore plus puissant qui est vendu sous la forme de petits morceaux de sucre ou de papier buvard imprégné du produit. Le LSD provoque des hallucinations hyper colorées, les couleurs dégénèrent en sons et les sons en saveurs mais il entraîne aussi des sensations physiques désagréables : froid, crampes, perte de sensibilité. Ce qu'il y a de plus étrange avec cette drogue, c'est que vous pouvez avoir d'autres crises d'hallucinations plusieurs mois après avoir arrêté complètement d'en prendre.
Je ne vais pas vous parler des amphétamines, du crystal et de certains médicaments. Des drogues, il y en a des tas. Toutes procurent des sensations étranges, toutes ont des effets secondaires graves, toutes provoquent une dépendance, toutes vous plongent dans un tourbillon qui vous entraîne vers le fond.
Maintenant, je vais m'adresser plus particulièrement à vous les filles car je ne voudrais pas terminer mon exposé sans vous parler du GHB. Quand vous absorbez cette vacherie, vous n'avez plus de honte, plus peur de faire des bêtises et en même temps ça vous endors. Comme cette drogue n'a pas d'odeur ni de goût particulier, une personne mal intentionnée peut en verser dans votre boisson pour vous inciter à faire des choses que vous ne voulez pas faire en temps ordinaire et ensuite, vous ne vous souvenez de rien.
— À quoi on peut nous obliger ? demanda Pauline.
— On peut t'inciter à te déshabiller et beaucoup plus encore.
— Mais c'est dégueulasse !
— Absolument. Ce produit, le GHB est encore appelé drogue du violeur. Écoutez bien les filles : il est fort probable que plus tard, un jour, vous soyez invitées à une fête avec des copains, des copines et des gens que vous ne connaissez pas. Dans ce cas, ne laissez jamais votre verre sans surveillance, finissez-le avant de faire autre chose ou jetez son contenu si vous avez le moindre doute. Ne vous fiez pas aveuglément à l'air sympa de certains, c'est pour mieux vous mettre en confiance. Quelqu'un peut verser subrepticement une dose dans votre coca ou toute autre boisson. Après avoir bu, vous serez complètement désinhibée, capable aussi de croire tout ce qu'on vous dit et de suivre n'importe qui avant de plus ou moins vous endormir en oubliant tout ce qui s'est passé. Croyez-moi, certains salopards ne reculent devant rien.
Voilà, nous avons fini. Avez-vous encore des questions ? Oui, toi.
— Arthur. Est-ce que c'est vraiment impossible d'arrêter ? demanda le garçon inquiet.
— Impossible, non, mais extrêmement difficile et au prix de douleurs incroyables dans la tête, les muscles, tout le corps. Le drogué profond vit dans un monde irréel et n'a qu'un seul désir, ne pas s'en sortir, continuer à vivre dans son paradis artificiel, et à la fin mortel.
— Laura de cinquième A. Que dois-je faire si quelqu'un me propose de la drogue ?
— Si c'est un copain, tu refuses gentiment et tu essaies de le convaincre d'arrêter ; si c'est un inconnu, tu dis « Non merci » et tu t'en vas.
— Je suis Julie. Est-ce qu'il faut dénoncer les dealers ?
— Non, ne dénoncez pas. Si le dealer sait que vous l'avez dénoncé, il va vouloir se venger. La seule chose à faire, c'est d'en parler à un adulte de confiance, vos parents par exemple. Une dernière question ?
Valentin leva la main :
— Je m'appelle Valentin. Savez-vous s'il y a du trafic de drogue dans le village et si oui, que faites-vous pour en venir à bout ?
— Nous savons qu'il y a dans le village des petits revendeurs de shit qui vont s'approvisionner à la ville. Nous savons également que de plus gros dealers se donnent rendez-vous au bout de parkings peu fréquentés du village pour faire leurs échanges. En revanche je ne peux pas vous dire ce que nous faisons ou allons faire pour contrer ces trafics, mais nous agissons en collaboration avec la police de la ville. Plus de questions ? Alors vous pouvez sortir dans la cour.
— Au revoir m'sieur… Au revoir m'sieur.

Les cinq amis se retrouvèrent près de leur nouveau banc pour commenter l'exposé de l'adjudant Lemoine.
— Qu'est-ce que vous en pensez ? demanda Olivier.
— Moi, ça me fout la trouille, pas question que je touche à un de ces poisons, affirma Bouboule.
— Je crois qu'on sera tous d'accord là-dessus, appuya Olivier, et qu'est ce vous avez pensé des keufs ?
— Des quoi ? s'étonna Valentin.
— T'es grave toi ! Des keufs, des poulets, des schmitts, des flics quoi !
— Pourquoi ne dis-tu pas gendarmes ? Personnellement, j'ai trouvé l'exposé très intéressant. Ils ont bien fait de nous montrer des échantillons. Avez-vous remarqué qu'ils se sont comportés comme s'ils ne nous connaissaient pas ?
— Ils n'ont pas voulu nous griller auprès des autres. Ils doivent savoir que paraître amis des flics c'est mal vu, en déduisit Gilles.
— Vous croyez que certains ont déjà essayé dans le bahut ? demanda Florian.
— J'en suis sûr, déclara Olivier, y a des grands, des troisièmes qui fument et même qui roulent leurs clopes et qui se les échangent, alors...
— Ça les regarde après tout, conclut Florian, pour moi, pas question de perdre ma forme en touchant à ces vacheries.