Le portable de Valentin vibra. Un rapide coup d’œil à l’écran lui indiqua l’arrivée d’un nouveau message. Valentin toucha la bulle verte et le message s’afficha :
« slt valent1, g qq chose a t dir rdv tt 2 suite o por. j tatan »
Machinalement, il regarda l'heure d'expédition : 18 heures 33. Perplexe, Valentin se gratta la tête. Étrange que Gilles lui envoie un message au lieu de l'appeler directement comme d'habitude. Le langage SMS n'était pas trop son genre non plus. S'il avait simplement quelque chose à lui dire, les messages étaient là pour ça donc pourquoi ce rendez-vous au port et si tard, c'est à dire presque de nuit. Même en langage SMS, Gilles n'aurait pas fait de faute grossière comme « por pour port » ou « j tatan pour je t’attends ». Et puis Gilles ne l'appelait pas Valentin mais Val.
Son premier réflexe fut d'appeler directement le numéro de son copain mais il se ravisa. Un SMS appelait toujours une réponse SMS.
Et si ce n'était pas Gilles qui lui avait écrit ? Le message émanait bien de son téléphone pourtant…
Son smartphone vibra de nouveau, une nouvelle bulle verte s'afficha à la suite de la précédente : « tu vi 1 ou pa ? c 1 portan ».
— Il se passe quelque chose de bizarre... imagina Valentin. J'appelle Florian.
— Allô, Florian ? Oui ça va, enfin oui et non, écoute, je reçois des SMS étranges du téléphone de Gilles. Est-ce que tu peux l'appeler pour lui demander... n'importe quoi, par exemple de t'apporter un manga. Écoute bien la réponse et appelle-moi aussitôt pour me dire ce que tu en penses ? OK ? Merci, j'attends.
— Allô, oui Florian. Il a simplement dit « ouais demain, salut » ? Il avait une drôle de voix ? C'est lui qui a coupé ? Merci Florian, je te raconterai demain.
Valentin relança son application Messages. À la suite du second SMS, il tapa : « Je n'ai pas bien le temps, je ne peux pas aller jusqu'au port, mais viens derrière le vieux cimetière, j'y serai dans un quart d'heure ».
La réponse arriva presque immédiatement : « j vi1 tt2 suite ».
Valentin enfila un pantalon noir, mit un vieil anorak sombre appartenant à son grand-père, coiffa sa casquette bleue et sortit. Rapidement il gagna le vieux cimetière qu'il traversait quelquefois pour se rendre au collège et se dirigea dans la quasi obscurité jusqu'au mur du fond. Il grimpa sur la stèle la plus haute puis sur le mur d'enceinte et de là put atteindre la solide branche d'un pin qui poussait à l'extérieur. Après un rétablissement, il s'éleva dans l'échelle naturelle du branchage, se cala du mieux possible, releva son col, enfonça sa casquette au maximum, mit ses mains dans les poches de l'anorak et ne bougea plus.
Cinq longues minutes après, le bruit d'un échappement libre pollua le silence de la nuit maintenant établie. Puis une silhouette s'avança lentement. Valentin força son regard vers le visage de l'arrivant qui tournait la tête en tous sens mais impossible de reconnaître qui que ce soit dans l'obscurité.
« De toute façon, ce n'est pas Gilles, ce type est bien trop grand » constata-t-il.
La silhouette vint s'adosser au tronc du pin. Valentin contrôla sa respiration pour éviter le moindre souffle pouvant le faire repérer. Au bout de plusieurs minutes, sous lui, la personne sortit un objet de sa poche, un petit rectangle de lumière souligna la silhouette mais la position surplombante de Valentin l'empêcha de voir le visage. « Il vient de regarder l'heure sur son téléphone », se dit-il.
— Ho, Kevin, t'as vu quelqu'un ?
La voix fortement chuchotée venait de l'angle à l'extérieur du cimetière.
— Y a personne ! répondit le nommé Kevin.
— Y viendra plus maintenant, y nous a baisé. Allez viens, on se casse !
— D'ac Dylan, j'arrive, mais c'est moi qui conduit le Slide maintenant.
— OK, à toi.
Valentin attendit d'entendre l'échappement du deux roues avant d'étirer un à un ses membres ankylosés. « Kevin et Dylan… J'ai quand même appris quelque chose ce soir. La suite demain matin. Ouh, je suis tout raide et on n'y voit vraiment plus rien. Il faut que j'assure bien mes prises pour descendre ».
— Salut Gilles. Hou là, tu n'as pas l'air en forme ce matin !
— Ça ne va pas fort : comme Lucie l'autre jour, je me suis fait piquer mon téléphone, ou alors je l'ai perdu, je ne sais pas. Je n'en ai pas dormi de la nuit.
— Tu t'en es aperçu quand ?
— Hier après les cours, en rentrant chez moi.
— Tu peux préciser l'heure à laquelle tu as constaté la perte ou le vol ?
— Vers dix sept heures trente.
— Je vois… Si tu veux, on en reparle à la récré de dix heures.
— Gilles, ohé Gilles, cria une voix.
— Hein ? C'est toi qui m'appelle Antoine ?
— Oui, t'as rien perdu en gym hier ? Regarde ce que m'a donné le gardien du gymnase quand je suis arrivé à sept heures et demie ce matin !
— Oh mince ! Mon iPhone ! Je l'ai cherché partout, je croyais qu'on me l'avait volé. Tu me sauves la vie Antoine.
— Je n'y suis pour rien, c'est le gardien qui l'a trouvé ce matin en faisant le ménage du vestiaire. Je l'ai allumé et j'ai vu ton nom, alors le voilà.
— J'ai dû le laisser tomber en remballant mes affaires de gym. Merci, t'es un frère !
— De rien, salut.
— C'est qui Antoine ? demanda Valentin.
— Tu ne le situe pas ? Antoine Girard, Il est en cinquième D, super cool comme mec. Il est avec nous en gym.
— OK. Donc tu avais perdu ton portable…
— Ben oui.
— À cinq heures ?
— Oui, dans le vestiaire.
— Tu peux me le prêter une minute ?
— Pas de problème, Val.
— Je peux regarder tes SMS ?
— Je n'ai pas de secret pour toi, vas-y. Qu'est-ce que tu penses trouver ?
— Le message que tu m'as envoyé à six heures et demie hier soir.
— Tu sais bien que je n'ai pas pu t'écrire puisque je n'avais plus mon iPhone !
— Donc ton iPhone m'a écrit tout seul ! Attends, je vérifie… Non, rien de récent…
Pourtant… Tiens, je te prête le mien, regarde les derniers messages.
— « j vi1 tt2 suite », qu'est-ce que ça veut dire ?
— Attends, je lance ton journal d'appel... Bingo ! Un appel de Florian à dix huit heures quarante cinq ! C'est moi qui lui ai demandé de t'appeler.
— Mais pourquoi ? C'est quoi cette embrouille ?
— Florian, Florian, viens ! Je vous explique : hier, à six heures et demie, je reçois un message de toi, Gilles…
— Mais…
— Attends ! Dans ce message, tu me donnais rendez-vous au port. Bien sûr, j'ai trouvé cela bizarre. Pourquoi au port ? Comme je traînais pour répondre, tu m'en a envoyé un autre, plus pressant. Vérifie sur mon téléphone. J'ai alors contacté Florian pour qu'il t'appelle, n'est-ce pas Florian ?
— Oui, je t'ai appelé pour te demander de me prêter un manga et tu as répondu plutôt sèchement avec une drôle de voix plus grave que la tienne. J'ai aussitôt rappelé Valentin pour lui dire.
— J'ai alors compris que ce n'étais pas toi et qu'il s'agissait d'un guet-apens.
— Comment on a pu utiliser mon iPhone sans connaître mon code.
— Un code à 4 chiffres n'est pas très difficile à craquer, surtout quand on en connaît l'auteur : année de naissance, initiales plus code du département, début du nom de ton chien ou de ton chat, prénom de ta petite amie, suite de chiffres etc… Pour toi, j'essaierai 2-4-4-5.
— T'es sorcier où quoi ? C'est exactement ça. Comment t'as fait ? s'émerveilla Gilles.
— Ton surnom : agil ! Mais je continue : vraisemblablement on cherchait à m’attirer vers le port. Probablement parce qu'à cette heure là il n'y a plus personne. Comme il vaut toujours mieux affronter un adversaire sur un terrain que l'on connaît, j'ai retourné le piège en « te » donnant rendez-vous derrière le cimetière. À la tombée de la nuit c'est également un endroit désert, ça a marché.
— T'as pas eu peur de traverser le cimetière à cette heure là ?
— Pourquoi avoir peur ? C'est l'endroit le plus tranquille qui soit. Les morts vivants, ça n'existe que dans les films débiles ! Donc j'ai grimpé sur le mur puis dans le grand pin derrière le mur et j'ai attendu, bien dissimulé. Cinq minutes après deux types sont arrivés sur une espèce de mobylette. Ils ont attendu une dizaine de minutes, puis ils sont partis. Je suppose qu'ils étaient là pour moi.
Gilles interloqué, bouche béante ouvrait de grands yeux. Florian demanda :
— Tu sais qui c'est, tu as pu voir leurs visages ?
— Non, il faisait complètement nuit à ce moment là, j'ai entrevu la silhouette de l'un des deux, il était plus grand que toi, Gilles, donc ce n'était pas toi !
— Ben évidemment que ce n'était pas moi !
— Donc on ne peut pas savoir qui c'est ? reprit Florian.
— Le premier s'appelle Kevin et le second Dylan et leur mobylette est un Slide.
— Comment tu le sais ? demanda Gilles encore abasourdi.
En souriant, des deux index, Valentin tapota ses oreilles :
— Quand les yeux ne suffisent pas, il faut se servir de ça ! Est-ce que ces noms vous disent quelque chose ?
— Heu, n… non, bredouilla Gilles.
— Donc Gilles, quelqu'un t'a volé ton portable dans le vestiaire de gym pour me piéger et s'est arrangé pour le remettre, soit hier soir, soit de bonne heure ce matin.
— Mais le gymnase est fermé après la classe, objecta Gilles.
— Non, il rouvre le soir pour les entraînements de club, affirma Florian, le voleur a pu se faufiler vite fait dans le vestiaire et le planquer sous un banc. Savez-vous qui sont les dénommés Dylan et Kevin.
— Personnellement je ne connais pas encore grand monde, dit Valentin, donc non. Et toi Gilles ?
— Heu… je ne vois pas…
— Les frères de Thénardier ! intervint Florian. Et Kevin, celui qui est en troisième, possède un Slider Yamaha. Pas de doute possible. Je crois que tu as échappé à une bonne dérouillée, Valentin. Le Tony a dû demander à ses frères de le venger après le coup de la semaine dernière avec le porte-monnaie de Lucie.
— Oui, il va falloir que je fasse très attention maintenant. Pendant les vacances de Toussaint, je vais réfléchir à un moyen de les décourager. Vous êtes avec moi tous les deux ?
— Bien sûr, dit Florian pendant que Gilles opinait de la tête, et aussi Olivier et sûrement Bouboule si on lui demande.
— Bouboule ?
— Pascal Boulot. C'est le petit gros qui est assis derrière Mathilde Marchand. Il n'en a pas l'air mais il est très malin et vachement sympa quand on le connait et qu'on est son copain.
— Pour moi le physique des gens ne compte pas. Si Pascal veut être avec nous, il est le bienvenu.