VALENTIN ET SES COPAINS

17. MONSIEUR CHEVRIL

La cloche du petit portail d'entrée tinta vers quatorze heures en ce dimanche du mois de Mai. Derrière la fenêtre de sa chambre, dissimulé par un rideau blanc, Valentin observa la rencontre entre son grand-père et l’arrivant qui tenait à la main une caisse à outils. Une brève conversation polie s’engagea :
— Monsieur Valmont ?
— Oui. Vous êtes monsieur Chevril je présume ?
— En personne. Il s’agit d’une tondeuse à gazon à réviser, c’est bien ça ?
— Exact, venez, elle se trouve dans mon garage.
Les deux hommes disparurent à la vue de Valentin mais il put suivre le reste de la conversation.
— Je prends quinze euros de l’heure, si j’obtiens un résultat.
— Cela me semble correct.
Le bruit caractéristique du système de lancement à enrouleur du moteur retentit plusieurs fois sans que le moteur démarre.
— Vous utilisez du mélange tout fait ?
— Non, je le prépare moi-même.
— Quel type d’huile utilisez-vous ?
— De la synthétique.
— Quel pourcentage ?
— Cinq pour cent environ.
— C’est beaucoup trop ! Deux pour cent, trois pour les vieilles tondeuses, c’est amplement suffisant, sinon vous encrassez votre carburateur et là je pense que c’est le cas. Il faut que je le démonte et le nettoie complètement. Avez-vous déjà changé la bougie ?
— Non, elle est d’origine mais j’en ai une neuve en réserve.
— Je vous la changerai également. Faut-il affûter les lames ?
— Faites-lui la totale !
— Bon, j’attaque. Vous pouvez regarder si vous voulez.
— Je vous fais confiance, monsieur Chevril, bon courage.
Valentin entendit le bruit des outils entrechoqués mêlé au sifflotement du mécano.
« Je crois que la gaîté revient » pensa-t-il en sortant dans le jardin et en se dirigeant vers le garage.
Le mécano avait déjà ôté le carénage, désolidarisé le carburateur du carter et s’employait à en démonter les pièces. Ses gestes étaient précis, rapides, professionnels. Valentin observait sans rien dire l’homme qui lui tournait le dos. Il fallut plusieurs minutes au père de Margot pour qu’il prenne conscience d’une présence. Il sursauta.
— Hein, c’est toi Valentin ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Bonjour monsieur, vous êtes en train de travailler sur la tondeuse de mon grand-père. Vous êtes chez moi en quelque sorte. Tout se passe bien ?
— Oui, je vais bien la réparer, elle sera comme neuve.
— Très bien et plus généralement ?
— Ton idée était géniale. J’ai encore reçu deux demandes d’intervention pour demain.
— Vous avez pu ouvrir un compte en banque pour votre future entreprise ?
— Je m’en occupe dès mardi matin, j’aurai déjà fait sept ou huit dépannages, je pourrai mettre huit fois quinze, cent vingt euros sur le compte.
— Non monsieur Chevril. Si je peux me permettre un conseil, ne mettez pas tous vos gains sur le compte, gardez-en un tiers pour améliorer votre vie et celle de Margot. Une heure de travail égale dix euros sur le compte et cinq pour la vie courante, qu’en pensez-vous ?
— Tu es vraiment de bon conseil pour un garçon de ton âge.
— Puis-je vous demander autre chose ?
— Tout ce que tu voudras Valentin.
— J’ai besoin d’être au courant de toutes les sommes que vous allez mettre sur votre compte d’entreprise. Ce n’est pas pour vous contrôler, c’est... pour informer mes amis qui vont faire des petits boulots pour vous aider.
— Vous êtes tous adorables, Margot a de la chance d’avoir des copains comme vous.
— C’est bien son tour d’avoir de la chance, non ? Je vous téléphone lundi soir.

— Allô, monsieur Chevril ? Vous allez bien ? Je veux vous dire que la tondeuse de mon grand-père n’a jamais tourné aussi rond, elle fonctionne à merveille, il est ravi. Et vous, le travail marche bien ? Combien ? Cent euros d’économie ! C’est super. Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? Vous avez reçu du courrier ? Si je sais pourquoi ? Mais oui ! Vous voulez que je passe vous voir pour vous expliquer ? Avec plaisir, à tout de suite.
Monsieur Chevril devait guetter l’arrivée de Valentin car ce dernier n’eut pas besoin de frapper, la porte du locataire des lieux s’ouvrit dès son entrée dans l’immeuble HLM.
— Entre Valentin. Tu veux boire quelque chose ? J’ai acheté du sirop de citron pour Margot.
— Avec plaisir. En attendant pouvez-vous me montrer ces lettres bizarres ?
Valentin prit le paquet d'enveloppes que lui tendit monsieur Chevril. Il regarda les cachets de la poste, sortit soigneusement les contenus. Au fur et à mesure de sa lecture, son sourire s'élargissait.
— Formidable ! C’est bien ce que je pensais, la chaîne de solidarité commence à fonctionner. Dans cette lettre, il y a un billet de cinq euros et ce papier : bon courage, gil60. Dans cette autre un chèque de dix euros pour Les jardins de Margot et un papier disant : de tout cœur avec vous , dad02 et encore une autre lettre avec dix euros et un mot : pour vous aider, pimprenelle.
— Qu’est-ce que ça veut dire, Valentin ?
— Cela veut dire que mon plan fonctionne mieux et plus rapidement que je l’espérais. Vous allez comprendre, ajouta Valentin en sortant sa tablette de son sac à dos. Le temps de me connecter à mon compte Facebook... mon mot de passe... voilà... regardez : voici l’annonce que mes amis et moi avons publiée.
Le père de Margot se pencha au dessus de l'épaule de Valentin pour lire l'annonce. Quand il se releva avec ne drôle d'expression sur le visage, Valentin reprit :
— Ce texte a été lu par au moins cent cinquante personnes dans un premier temps et beaucoup de ces personnes vont le relayer à leurs contacts et ainsi de suite. Parmi tous les gens qui pensent que vous méritez d’être aidé, certaines font un petit geste et vous envoient une petite contribution.
— Extraordinaire ! Mais c’est quoi ces noms bizarres : gil60, dad02, pimprenelle ?
— C’est ce qu’on appelle des pseudos. J’ai promis, et c’est important, de tenir une comptabilité visible sur internet. Regardez, la voici, c’est la page sur laquelle je note les dons. J’indiquerai pour chaque envoi le pseudo du donateur et la somme donnée. Vous devrez me dire également les sommes que vous allez gagner et déposer sur le compte. Il vous faut un pseudo à vous aussi, que choisissez-vous ?
— Je n’ai aucune idée...
— Quel est votre prénom, monsieur Chevril ?
— Robert.
— Je vous suggère bob74, bob comme diminutif de Robert et 74 pour le département, cela vous convient ?
— Si tu le dis, c’est que c’est bien, adopté bob74.
— Donc demain matin, vous ouvrez un compte bancaire au nom de votre future entreprise, Les jardins de Margot, et vous déposez les cent euros que vous avez gagnés, le chèque de dix euros, les cinq plus dix euros que vous avez reçus ainsi que les dix plus cinq euros que des amis m’ont donné pour vous.
— Je peux savoir leurs noms ?
— Oui, papaboule et pepi, répondit Valentin avec un étrange sourire.
— Tu penses vraiment qu’on va y arriver ?
— Vous n’imaginez pas la puissance d’internet et la générosité des gens. La seule chose qu’ils ne supporteraient pas, c’est d’avoir l’impression qu’il se soient fait arnaquer. C’est pour cela que j’ai créé la page de comptes. Tous les donateurs seront inscrits, ils se reconnaîtront par leur pseudo. Dès qu’un achat de matériel sera fait, j’indiquerai le montant dépensé avec une photocopie de la facture. Tout doit être fait dans les règles. Vous allez voir monsieur Chevril...
— Bob !
— Tu vas voir Bob que dans six mois l’affaire sera bouclée. Je pense qu’il faudra d’abord acheter la carriole puis la tondeuse et juste après vous pourrez faire votre déclaration de création d’entreprise. Nous nous chargerons ensemble de la publicité.