Valentin ouvrit un à un les tiroirs de son bureau secrétaire. Sur les conseils de sa grand-mère, il avait décidé de faire un tri dans ses affaires et de se débarrasser de tout ce qui lui était inutile.
Du tiroir du bas, il extirpa une collection de bandes dessinées.
« Je vais les donner à Florian, il adore ça ».
De celui d'au-dessus, il sortit sa collection de mangas.
« J'ai tout lu et relu, je ne vais pas les garder, ces bouquins feront plaisir à Bouboule.
»
Il passa ensuite aux petits tiroirs du haut ; quand il eut fini de les vider, après avoir jeté à la corbeille un grand nombre de papiers inutiles, des feutres desséchés, des crayons à bille vides de leur encre, il observa pensivement une boussole de course d'orientation, sa montre bracelet qu'il ne mettait plus et son iPod nano.
« Ces objets ont encore une certaine valeur mais avec les applications de mon iPhone, ils ne me sont plus utiles » pensa-t-il « inutile de conserver tout cela, je vais demander aux copains qui veut la montre et la boussole ».
Il fut plus perplexe quant au sort à réserver à son iPod. Cet objet avait tout de même coûté deux cents dollars australiens à ses parents il y a trois ans de cela, à peu près cent cinquante euros. Le vendre ? Oui, mais qui en voudrait ? Avec les smartphones modernes, ces objets étaient devenus obsolètes.
« Et si je passais une petite annonce ? Non, plusieurs annonces pour multiplier les chances. Voyons, il y a le panneau du collège réservé aux élèves, le panneau du supermarché et celui de la boulangerie. Si avec ces trois là je n'ai pas de résultat, j'essaierai internet. Combien puis-je en demander raisonnablement ? » Il sortit sa tablette et fit une recherche sur le web. Le prix moyen lui sembla être une trentaine d'euros.
Décision prise, il découpa trois rectangles de carton blanc et rédigea :
Vends iPod nano5 couleur bleue 8 go
Excellent état, nombreux mp3
Prix 20 euros tel 0662xxyyzz
Le lendemain, Valentin punaisa ses trois affichettes. « Je verrai bien, pensa-t-il. Si je vends, tant mieux, sinon je le donnerai à une œuvre charitable ».
C'était un lundi matin, le ciel lumineux de ce début de mois de juin incitait plus à une sortie nature qu'à rester assis pendant quatre heures. La première, celle d'histoire et géographie l'intéressa mais le cours de math qui suivit passa bien lentement, difficile de se passionner pour les abstractions de l'algèbre.
Arriva l'heure de français. Madame Véronique Blanchin fit entrer les élèves et, à leur suite, se dirigea vers le bureau sur lequel elle posa son porte-documents.
— Sortez votre livre et ouvrez-le à la page quatre vingt cinq. Lisez le texte en lecture silencieuse.
Elle ouvrit son porte-documents et sortit le même livre. Fronçant les sourcils, elle examina l'intérieur du petit cartable, fouilla à nouveau, recommença et finit par tout sortir sur le bureau. Un air de panique se dessina sur son visage. Se reprenant, elle commença quand même l'explication de texte prévue mais Valentin remarqua son air soucieux. Au bout de la première demi heure, elle dit à la classe :
— Faites le premier exercice qui suit le texte, je m'absente quelques minutes.
Un brouhaha s'installa dans la classe sans toutefois aller jusqu'au chahut. Quand madame Blanchin revint, elle avait l'air encore plus préoccupé. À la fin de l'heure, Gilles fit remarquer à son ami Valentin :
— Elle est bizarre aujourd'hui Verblanc, tu ne trouves pas ?
— Ah, tu as remarqué toi aussi ! À sa façon de fouiller son sac, je crois qu'elle a perdu quelque chose.
L'heure suivante terminée, Valentin reçut un SMS succinct : ipod tj dispo ?
— Ah, j'ai une touche, se dit-il. Il répondit aussitôt un laconique : Oui.
La réponse arriva immédiatement : « j reserv rdv 4h sortie. »
À seize heures, à la sortie du collège, Valentin examina les visages de tous ceux qui stationnaient, discutaient en attendant leur car de ramassage.
— Tu cherches quelqu'un Val ? lui demanda Gilles.
— Oui, je dois... Attends un instant, j'ai un appel. « Oui, c'est pourquoi ? Pour l'iPod ? d'accord. Comment je te reconnais ? Tu agites le bras, ah, OK, je te vois ». Excuse-moi Gilles, j'en ai pour cinq minutes.
Valentin se dirigea vers un élève qu'il avait déjà aperçu dans un groupe de troisièmes sans y prêter grande attention.
— Salut, c'est toi qui veut m'acheter l'iPod ?
— Ouais, tu l'as sur toi ?
— Non, mais je peux te le donner demain à huit heures.
— Il marche bien ? Il a les écouteurs ?
— Il y a tout et tout est d'origine. Il fonctionne très bien.
— Alors pourquoi tu le vends ?
Valentin ressortit son smartphone et l'agita de la main.
— J'ai ceci maintenant.
— Combien on peut mettre de chansons dedans ?
— Huit gigaoctets correspondent en gros à deux mille chansons mais je n'en ai mis que quatre cents à peu près. J'ai effacé les photos et les petites vidéos. Tu veux que j'efface aussi la musique ?
— Non, tu peux la laisser. Je peux te payer en deux fois ?
— Si tu veux.
— Demain matin huit heures, j'te donne un petit chèque qu'on m'a fait. Le reste demain après-midi, j'attends encore de l'argent, d'accord ?
— OK, à demain matin.
Quand l'acheteur potentiel de l'iPod de Valentin se fut éloigné, Gilles, qui avait suivit de loin l'entretien sans en comprendre les aboutissants se rapprocha de son ami.
— Qu'est-ce que tu trafiques avec ce type ? lui demanda-t-il.
— Je vends mon vieil iPod, il fait double emploi avec mon iPhone, j'ai mis des annonces.
— Tu as eu beaucoup d'appels ?
— Non, c'est le seul.
— À ta place, j'attendrai. Tu en auras peut-être d'autres.
— Je lui ai dit OK, je ne reviens pas sur ma parole.
— Pense à te faire payer, ce mec n'a pas très bonne réputation.
— Je ne lui ai pas encore donné l'appareil, je le vois demain matin.
— C'est toi qui décides, mais fais gaffe.
À la rentrée de huit heures le lendemain, le grand de troisième qui attendait sous l'abribus aborda Valentin dès son arrivée.
— Salut mec, t'as l'engin ?
Valentin sortit une boite cartonnée de son sac à dos.
— Voilà, dans son emballage d'origine.
— Donne !
— Paye !
— Tiens, le chèque qu'on m'a fait, y a pas de nom. T'auras le reste plus tard.
— Tu as dit cet après-midi.
— Euh, ouais, je vais essayer.
— Cet après-midi à quatorze heures, j'y compte ! Cet iPod vaut cent cinquante euros normalement, tu es largement gagnant !
— Ouais, j't'ai dit.
Valentin entra dans la cour du collège avec un vague sentiment de malaise. Il regarda le chèque que le grand lui avait donné. « Crédit Agricole, Huit euros et cinquante centimes, Monsieur et Madame François Chainaz ». Il était signé. Valentin mit le chèque dans son portefeuille en toile et se dirigea vers le point de rassemblement de sa classe.
Après un cours de mathématiques de huit à neuf puis un autre de Sciences de la vie et de la terre, la troisième séance de la matinée se passait encore avec madame Blanchin. Elle avait un inhabituel air grave mais fit son cours normalement. Le cours d'anglais qui suivit, matière dans laquelle il excellait, lui changea un peu les idées et l'incita à l'optimisme.
À la rentrée de quatorze heures, Valentin posté devant le grille attendit, avec un peu d'impatience, la venue de son acheteur mais rien ! Il patienta jusqu'au dernier moment avant de rejoindre son rang dans la cour sans voir l'individu.
« Je crois bien que je me suis fait arnaquer, se dit-il avec amertume, Gilles avait raison, ce type est bizarre. » Il réfléchit au meilleur moyen de recouvrer son restant dû.
« Aller le trouver en récréation et exiger son argent ? Oui mais s'il refusait ! » Valentin n'avait aucune preuve de la transaction. Et puis ce type était plus grand et de toute évidence plus fort que lui, impossible de le convaincre par le force, à moins que…
« Ce que l'on ne peut pas faire seul, il faut le faire à plusieurs » lui avait dit un jour son grand-père.
Valentin décida de mettre ses quatre bons copains au courant et de demander leur aide. Un type entouré de cinq personnes, même plus petites et plus jeunes que lui, était loin d'être d'avoir gagné. Surtout si Florian et Olivier, les deux plus costauds, prenaient leur air menaçant.
« Nous allons l'attendre à quatre heures à la porte du collège », avait répondu Florian sollicité, les autres seront d'accord, pas de souci, tu seras payé.
— Ho, hé machin, tu me dois quelque chose, tu te rappelles ? Je t'ai attendu à quatorze heures, tu avais promis.
— Ouais, ben j'ai oublié.
— Maintenant que nous sommes là tous les deux, tu peux payer, je ne te compterai pas d'indemnités de retard.
— J'ai pas assez de fric sur moi. On verra demain.
— Non, tout de suite, sinon j'annule tout.
— Qu'est-ce que tu comptes faire, le reprendre de force ton truc avec tes chansons débiles, à toi tout seul ?
— Tout seul non, mais à deux. Et Valentin fit signe à Bouboule de s'approcher.
— Ah ah ah, tu crois que ton binoclard va me faire peur ?
— Bon, à trois alors continua Valentin en jetant un regard complice à Gilles qui s'approcha.
— Vous ne faites pas le poids les minots, cassez-vous si vous ne voulez pas en ramasser une.
— Et avec un de mieux ?
Olivier s'avança, sourcils froncés, mâchoires serrées.
— J'te paierai plus tard, j't'ai dit.
— Plus un pour voir la couleur de ton argent ?
Florian, roulant des épaules vint se placer devant l'individu pendant que les trois autres se plaçaient derrière lui.
— Tu veux que je fasse venir le reste ? bluffa Valentin.
— Bon, ça va, tiens, v'la un aut' chèque.
Valentin jeta un rapide coup d’œil à la somme : huit euros et cinquante centimes.
— Deux fois huit cinquante font dix sept, le compte n'y est pas !J'attends.
— Tiens, v'la encore deux euros.
— Tu n'es pas bon en calcul toi ! Encore un et tu peux partir.
— Toi tu me gonfles, la v'la ta monnaie.
— Merci les gars, vous avez été impressionnants.
— Pourquoi il te paye avec des chèques ? Comment tu vas faire pour les toucher ? s'inquiéta Bouboule.
— Je demanderai à mon grand-père de les encaisser et il me donnera l'argent correspondant.
— Montre ton bout de papier, dit Gilles méfiant. « Banque Populaire, Huit euros et cinquante centimes, Madame Monique Duparc ». Il s'appelle Duparc ton acheteur ?
— Attends, sur le chèque qu'il m'a donné ce matin, c'était marqué François Chainaz. Ce n'est pas clair du tout cette histoire.
— Je t'avais dit de te méfier, appuya Gilles. Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ?
— Tirer cette affaire au clair. Attendez, je consulte les pages blanches, dit Valentin en tapotant sur son smartphone. Voyons, Duparc Daniel, Duparc Henri, Duparc Michel, Duparc Monique...
C'est probablement elle, je l'appelle !
« Allô, madame Duparc ? Oui bonjour madame, je vous appelle parce que ce matin, en allant au collège, j'ai trouvé un chèque dans la rue, il porte votre nom. Oui, il est signé. Oui, il y a un montant indiqué : huit euros cinquante. Non, il n'y a pas de bénéficiaire. Ce chèque est important pour vous ? Je peux vous le ramener si vous voulez. À quoi devait-il servir ? Ah bon ! Et votre fille devait le donner à qui ? D'accord. Écoutez, je vais le lui donner directement, c'est aussi ma professeure, cela sera beaucoup plus simple. Au revoir madame. Non, de rien, au revoir. »
— Alors tu racontes ? pressa Bouboule toujours curieux.
— Ce chèque était destiné à payer un petit bouquin : « les annales du brevet » et sa fille devait le remettre à madame Blanchin pour une commande groupée. Elle pense que sa fille a dû le perdre en route.
— Mais alors, le second chèque ? Tu as dit qu'il était du même montant ? questionna Gilles.
— Oui, et c'est cela le plus étrange. Vous connaissez un dénommé Chainaz dans le collège ? demanda Valentin.
Ce fut Olivier qui répondit :
— Oui, je sais qu'il y a un nom comme ça dans les troisièmes mais je ne le connais pas personnellement.
— Il aurait perdu son chèque lui aussi ? Ce n'est vraiment pas clair cette histoire, pensa tout haut Florian. Deux chèques du même montant, trouvés tous les deux et par le même mec, je n'y crois pas.
— Attendez, vous avez remarqué vous aussi comme la prof de français avait l'air catastrophé hier et même encore un peu aujourd'hui ? fit remarquer Gilles.
— C'est peut-être elle qui a perdu les chèques ! en déduisit Olivier.
— Et ce serait ce type là, ton acheteur qui les aurait trouvés ? Je suis d'accord avec Flo, je n'y crois pas ! affirma Bouboule.
— Écoutez, les gars, j'ai envie de contacter madame Blanchin et de lui demander. Quand avons-nous le prochain cours de français ?
— Jeudi à huit heures, affirma Gilles.
— Trop long. Quelqu'un aurait-il son numéro de téléphone ? Sinon comment faire pour l'avoir ?
— Demander au secrétariat, suggéra Olivier.
— Oui, mais il va falloir trouver une bonne raison car je pense que la secrétaire ne va pas divulguer le numéro d'un professeur à des élèves, répondit Gilles. Je crois que les profs se mettent tous sur la liste rouge pour ne pas être embêtés par des canulars téléphoniques ou se faire réveiller la nuit par des élèves mécontents.
— Tu n'as qu'à la faire appeler par la secrétaire et lui demander ensuite de te passer le téléphone, imagina Bouboule.
— Mais c'est qu'il y a beaucoup de choses dans cette petite tête, félicita Valentin. Excellente suggestion, c'est ce que je vais faire. Je vous remercie les gars, je m'occupe du reste et je vous tiendrai au courant.
Laissé seul après le départ de ses amis, Valentin contempla un instant la porte de sortie des élèves maintenant close. Nullement découragé, il fit le tour des terrains de sport à l'extérieur des grillages et se présenta à l'entrée des professeurs et du personnel. Personne ne jugea utile de lui demander quoi que ce soit et il put rapidement se présenter au secrétariat de direction. Il frappa discrètement puis poussa la porte en verre dépoli du bureau de la secrétaire.
— Bonsoir madame, excusez-moi de vous importuner, je sais que votre journée de travail est terminée mais il faut absolument que je contacte ma professeure de français madame Blanchin. Je sais que vous ne communiquez pas les numéros de téléphone des professeurs, pouvez-vous l'appeler pour moi et me laisser ensuite lui parler ?
— Il faut que ce soit vraiment important pour déranger un professeur chez lui.
— C'est important et je pense que ma professeure de français sera contente de mon appel.
— Bon, je vais le faire mais il est possible qu'elle soit absente. « Allô madame Blanchin ? Secrétariat de monsieur le Principal. Un élève insiste beaucoup pour vous parler... Son nom ? »
— Valentin Valmont cinquième C, souffla Valentin.
— Valentin Valmont. À quel sujet ? Je lui demande...
— C'est confidentiel.
— Il ne veut parler qu'à vous. Oui, oui, je le lui dis, oui j'ai votre adresse. Au revoir madame, à demain. S'adressant à Valentin : madame Blanchin préfère que tu passes la voir chez elle, je vais te donner son adresse que tu ne dois communiquer à personne.
— C'est promis, merci madame, excusez-moi de vous avoir retardée.
Madame Blanchin habitait à un demi-kilomètre du collège, Valentin y fut en cinq minutes. La porte s'ouvrit aussitôt son coup de sonnette.
— Bonsoir Valentin, dit-elle avec un air franchement interrogateur. Qu'y a-t-il de si important ?
— Puis-je entrer madame ? J’ai quelque chose à vous montrer.
— Bien sûr, entre. Assieds-toi sur ce canapé. J'étais en train de me faire du thé rouge, même les enfants peuvent en boire, en veux-tu une tasse ?
— Avec plaisir.
— Qu'est-ce qui t'amène, Valentin ?
— Madame, j'ai remarqué que, hier lundi, en cours, vous aviez l'air fortement préoccupée, vous avez même quitté la classe quelques instants.
— Tu as remarqué ça ? En effet, j'ai eu un problème.
— C'est bien ce que j'ai pensé et je crois avoir trouvé la solution à votre problème.
— C'est quoi selon toi ?
— Quelque chose que vous n'arrivez pas à retrouver.
— En effet, j'ai égaré une enveloppe importante pour moi.
— Cette enveloppe contenait des chèques et de l'argent, n'est-ce pas ? Plus de deux cent vingt euros je crois.
— C'est parfaitement exact, mais comment peux-tu savoir cela ?
— Une simple multiplication. Vous êtes certaine de l'avoir égarée ?
— Elle était dans mon porte-documents, je suis absolument certaine de l'y avoir mise. Au cours suivant -c'était avec ta classe-, elle n'y était plus. J'ai refait le trajet entre les deux salles de cours, dérangé un collègue en pleine classe, sans rien trouver.
— Auparavant vous aviez cours avec des troisièmes, n'est-ce pas ? Puis-je demander quel type d'activité vous avez organisé ?
— Il s'agissait d'une séance de travaux en ateliers. Tu peux en venir au but de ta visite ?
— Est-ce que ceci faisait partie de votre enveloppe ? demanda Valentin en posant les deux chèques sur la table basse.
— Montaz, Duparc, huit euros cinquante, en effet, dit la professeure, comment es-tu entré en possession des chèques ?
— Je vais vous raconter.
Valentin exposa tout le processus : l'affiche, la transaction, le premier paiement, les difficultés, le second paiement.
— Je vous dois encore trois euros, ajouta-t-il en posa trois pièces sur la table.
— Qui est ton vendeur ?
— C'est là que j'ai commis une erreur, je ne lui ai pas demandé son nom. Madame, je pense que vous n'avez pas perdu cette enveloppe mais que cet individu vous l'a volée en profitant du va et vient du travail en atelier et se sert des chèques pour payer de petits achats comme mon iPod. C'est tant pis pour moi. Combien y en avait-il en tout ?
— Une douzaine, le reste était en argent liquide.
— Il lui en reste probablement encore dix.
— Attends Valentin, deux choses : il n'est pas juste que tu sois lésé dans ta transaction et il n'est ni juste ni moral que le voleur s'en tire à bon compte. Saurais-tu le reconnaître ?
— Je pense que oui, mais je ne suis pas un dénonciateur, une balance comme disent les copains.
— Écoute Valentin, ce garçon a volé vingt cinq camarades et toi aussi par voie de conséquence, il ne mérite aucun égard. Le protéger, c'est l'encourager à recommencer. J'ajoute que je vais me sentir obligé de payer les livres de ma poche. Deux cent vingt euros, c'est une somme dans le budget d'un professeur.
— Comment puis-je vous aider ?
— Écoute, en début de chaque année, je prends une photo de groupe dans chacune de mes classes et je mets un nom sur chaque visage pour les connaître plus vite. Je vais rechercher la photo de cette classe de troisième.
Madame Blanchin disparut un instant et revint avec une grande photo tirée à l'imprimante sur papier ordinaire.
— L'image n'est pas très bonne. Regarde quand même.
— C'est lui, affirma Valentin en posant l'index sur l'image d'un élève.
— Léo. Tu en est sûr ? Il ne faudrait pas accuser un innocent.
— Tout à fait certain.
— Le plus difficile maintenant va être de réussir à le confondre. Si je te demande de témoigner, tu risques des représailles et de passer pour une balance comme tu dis, donc hors de question.
— Il faut essayer de lui faire acheter autre chose ! Le premier achat s'étant bien passé pour lui, il n'hésitera pas à recommencer, imagina Valentin.
— Peut-être, oui, mais que lui proposer ? Comment procéder ? Je suis bien novice en l’occurrence.
— J'ai une idée. Je crois qu'il cherche à acheter des objets high-tech, pas chers et donc faciles à revendre. Voici ce que je vous propose : mettre une petite annonce sur le panneau d'affichage des élèves, par exemple « vends iPhone 5S, excellent état, cause double emploi, cent euros » avec un numéro de portable à appeler. Cent euros pour un tel appareil, ce n'est vraiment pas cher, il va craquer aussitôt.
— Bonne idée, mais il faudra présenter l'objet au moment de la transaction !
— L'objet ? Oui, bien sûr, je mettrais le mien dans son emballage d'origine pour le décider.
— Je ne pourrai pas me présenter pour la transaction, il se méfiera s'il voit un professeur.
— Vous évidemment, moi également, il faut donc que je fasse intervenir un de mes copains.
— Si c'est quelqu'un d'autre qui répond à l'annonce ?
— Ce type m'a répondu par SMS, je pense qu'il fera pareil pour la nouvelle annonce. Je connais son numéro de téléphone maintenant, si ce n'est pas le bon, il suffira de répondre que l'iPhone est déjà vendu. Si c'est lui, il faut prévoir un lieu d'échange sans issue pour lui, les toilettes des garçons à la fin de la récréation par exemple.Voici ce que je vous propose, demain matin...
— Ça y est Valentin, j'ai une réponse à notre annonce, un SMS : « phone tj dispo ? »
— Montre le numéro de l'expéditeur... Oui, c'est lui. Le poisson mord à l'hameçon, Quentin.
— Qu'est-ce que je réponds ?
— Simplement oui. Tu vas voir, il va te faire un retour en te disant qu'il le réserve et il te fixera rendez-vous.
Effectivement, pour donner raison à Valentin, le smartphone de Quentin émit son petit jingle d'arrivée d'un message.
— Qu'est-ce qu'il dit ? demanda-t-il avec un petit sourire sûr de lui.
— Il écrit : « j reserv rdv 4h sortie. » J'accepte ?
— Non, fixe lui rendez-vous à seize heures dans les toilettes des garçons du premier étage.
— S'il refuse ?
— Tu lui diras simplement « tant pis ». Mais il va accepter tout de suite, vas-y écris !
Quentin, obéissant et appliqué, écrivit en tirant un bout de langue :
« rv 16h wc 1et »
La réponse fut quasi immédiate : « OK »
— Maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
— Toi, tu attends la fin des cours sans t'en faire. Tu te rendras dans les toilettes à seize heures et cinq minutes, le temps de laisser tout le monde évacuer. Il sera probablement déjà là. Tu auras la boite blanche à la main, donc il te reconnaîtra. Il te demandera à voir l'iPhone, tu ouvriras la boite mais sans lui donner, c'est le mien qui sera dedans. Tu demanderas à être payé tout de suite. Il te proposera un peu d'argent et des chèques, peut-être une dizaine. Tu feras la grimace, tu discuteras pour avoir le plus possible en argent. Pendant la discussion, tu sortiras mon iPhone comme pour lui montrer et tu appuieras sur l'icône Messages puis sur envoyer. Le SMS sera prêt et les destinataires aussi. Tu assisteras à la suite en spectateur !
Madame Blanchin, nerveuse, attendait dans la salle des professeurs, son téléphone à la main. La vibration de l'engin la fit néanmoins sursauter. Après un rapide coup d’œil à l'écran, elle sortit précipitamment et alla frapper à la porte du bureau du principal.
— Monsieur Tardy vous pouvez venir ? Le piège imaginé par le jeune Valmont semble avoir fonctionné. Ils sont dans les toilettes des garçons et il vaut mieux que ce soit vous qui constatiez le flagrant délit.
— Allons-y, dit le principal en partant à grandes enjambées.
Les toilettes se situaient à l'autre bout du long couloir desservant les salles de classe. Le principal ouvrit brutalement la porte. Avisant Quentin et son acheteur, il gronda :
— Qu'est-ce que vous faites encore ici ? Il y a plus de dix minutes que les cours sont terminés !
— Je ne fais rien de mal monsieur, je lui vendais mon iPhone, il allait me payer.
— Bon, paye-le vite et partez !
— J'le paierai dehors. J'sors !
— Non, tout de suite, je veux mon argent, trépigna Quentin.
Léo sortit quelques billets de cinq euros de sa poche et une poignée de pièces.
— Il n'y a pas assez, tu as dit que tu me donnerais des chèques pour compléter.
— J'ai jamais dit ça !
— Si tu l'as dit. Moi je veux être payé.
— Qu'est-ce que c'est que cette histoire de chèques ? intervint le principal, montre un peu ce que tu as dans tes poches !
— Vous n'avez pas le droit...
— Ah je n'ai pas le droit ! Dans mon bureau tous les deux, tout de suite ! tonna le principal.
Une fois dans le bureau, monsieur Tardy appela madame Blanchin.
— Pouvez-vous venir madame ? J'ai besoin d'un témoin.
— J'arrive tout de suite.
— Videz vos poches tous les deux et retournez-les.
Quentin sereinement et Léo piteusement s’exécutèrent. Outre les billets et la monnaie, ce dernier déposa des clés, un iPod et une série de chèques quelque peu froissés. Madame Blanchin frappa et entra dans le bureau.
— Ah, madame Blanchin, je crois que j'ai retrouvé vos chèques. Peux-tu me dire comment ils sont entrés en ta possession, continua monsieur Tardy en pointant Léo du doigt.
— J'les ai trouvés dans la rue !
— Impossible, répliqua madame Blanchin, lorsque je me suis aperçue de la disparition de mon enveloppe, je n'avais pas encore quitté le collège. Tu as profité de l'heure de travaux dirigés pour fouiller mon porte-document !
Léo baissa la tête puis se ressaisit :
— C'est même pas vrai ! L'enveloppe était par terre dans la classe.
— Bon, je crois que tout est clair ! Madame, voulez-vous compter les chèques et l'argent et me dire ce qu'il manque ?
— Voyons il y a dix chèques donc il en manque deux et... quatre vingt dix euros donc il manque heu... vingt neuf euros.
— Où son passés ces chèques et l'argent qui manque ? tonna de nouveau le principal.
Léo resta muet. Monsieur Tardy saisit son téléphone et articula :
— Puisque tu ne veux pas reconnaître ta faute, j'appelle la gendarmerie. Il commença à taper sur les touches de son appareil.
— Non m'sieur, non, j'vais vous dire, avec c'qui manque, j'ai acheté c'iPod.
— À qui ?
— J'sais pas son nom.
— Je trouverai. Le baladeur iPod est confisqué. Voici ce que tu vas faire Léo. Tu vas signer un papier reconnaissant que tu as volé des chèques et et de l'argent dans une enveloppe appartenant à un de tes professeurs. Tu vas t'engager à rembourser l'argent qui manque, à travailler en classe et à avoir une conduite exemplaire jusqu'à la fin de l'année. Si tout se passe bien, le trente juin, je déchirerai ce papier. Nous sommes d'accord ?
Léo acquiesça d'un hochement de tête.
— Nous sommes d'accord ? répéta plus fort monsieur Tardy.
— Oui m'sieur... répondit Léo d'une voix étouffée.
— Oui, monsieur le Principal !
— Oui monsieur le Principal, répéta Léo.
— Et toi, tu peux t'en aller. Reprends ton téléphone et évite de faire du commerce dans ce collège, compris ? fit-il d'une voix forte en adressant un léger clin d’œil à Quentin.
— Bien, monsieur le Principal.
— Alors ? dit Valentin qui attendait son nouveau copain à la porte du collège.
— Alors il a avoué. Le principal l'a coincé et l'a obligé à signer un papier. Je crois que tu vas pouvoir récupérer ton iPod. Verblanc a récupéré ses chèques et une partie de l'argent, normalement elle sera remboursée, expliqua Quentin. Tiens, voilà ton iPhone et je pense que tu vas pouvoir récupérer aussi ton baladeur.
— Il t'intéresse cet iPod ?
— Oui mais...
— Il est à toi, je te le donne. Bienvenue dans le cercle de mes amis, Quentin. Viens, allons raconter tout cela aux copains !