VALENTIN ET SES COPAINS

5. ACTION

« J'y vais le premier, file-moi ton volley et cinq ou six gros clous, Val. »
Florian, en jeune footballeur doué qu'il était, franchit le portail, lança le ballon devant lui, le releva par une habile roulette et s'engagea en jonglant vers l'entrée de l'impasse des crocus. Arrivé au carrefour, alternant jongles et dribbles, il emprunta la rue vers la droite et devint d'un coup plus malhabile, une fois, deux fois le ballon lui échappa. Arrivé à quelques mètres de la BMW, il sembla reprendre une certaine adresse : pied gauche, pied droit, genou droit, genou gauche, pied droit, tête. Soudain le ballon lui échappa et roula sous la voiture.
Sans un regard pour les deux occupants, tout en pestant, Florian se mit à plat-ventre et se glissa sous la caisse. Aussi prestement que lui permit son inconfortable position il sortit de sa poche quatre clous d'une quinzaine de centimètres et les cala en oblique contre la roue arrière près du trottoir, pointes contre le caoutchouc, deux devant et deux derrière le pneu. Entendant une portière s'ouvrir, il saisit prestement la balle, roula sur lui-même pour sortir de son inconfortable position.
— Qu'est-ce que tu fais là le mioche ? dit d'une voix rude l'homme qui venait de sortir.
— Ben tu vois machin, je récupère mon ballon.
— Dégage d'ici !
— J'suis dans ma rue et j'reste tant que j'veux...
La gifle arriva si vite que Florian ne put l'esquiver. Il hurla plus fort que sa douleur. Avant de prendre la fuite, il donna un violent coup de talon sur les orteils de l'homme qui hurla à son tour.
— Sale voyou de français, fit l'homme en tentant de le rattraper mais la douleur l'en empêcha. Il sautilla sur son pied valide, regagna la portière chauffeur et reprit place derrière le volant.

Dans l'impasse, un par un, deux par deux, les amis de Valentin sortaient du jardin de la villa. Cinq minutes s'écoulèrent avant que l'homme en gris ne s'engage dans l'impasse des crocus. Arrivé au portail de la villa, il s'arrêta, regarda derrière lui puis sonna, ouvrit le petit portail et entra dans le jardin désert. Valentin déverrouilla la porte d'entrée et s'avança, l'air interrogateur.
— Tu es Valentin Valmont ?
— Oui c'est moi, bonjour monsieur, que désirez-vous ?
— Tes grands-parents ont eu un léger accident de voiture à quelques kilomètres d'ici. Il m'ont demandé de te dire de ne pas t'inquiéter, ce n'est pas grave mais ils sont bloqués en attendant la dépanneuse. Je leur ai proposé de passer te prendre et de t'emmener vers eux, tu veux bien ?
« Pas très logique, se dit Valentin, il aurait pu trouver mieux. »
— Oui, je veux bien, merci, je vous suis, répondit-il en prenant son air le plus naïf. Il mit une main dans son dos, leva le pouce à l'intention de Bouboule qui masqué par la porte du garage à peine entrebâillée arrêta de filmer et expédia le SMS multiple qu'il avait préparé : « Action ». Quelques secondes plus tard, six appels téléphoniques convergèrent vers le 112.
L'homme qui marchait à côté de Valentin sortit son portable, appuya sur une touche et le rangea aussitôt. Les amis de Valentin dispersés ça et là, trop loin de la BMW n'eurent pas le temps de réagir. La puissante berline, après un léger recul qui enfonça deux clous dans le pneu, démarra rapidement faisant pénétrer profondément les deux autres dans le caoutchouc. Elle roula dix mètres avec un bruit de chaîne sur le goudron de la chaussée.
— Merde ! hurla le chauffeur sorti du véhicule, c'est ce petit voyou qui nous a joué un sale tour. On ne va pas pouvoir rouler comme ça. Va au devant de Wilhem, dit-il à sa voisine et dis-lui qu'on prend la Mercedes. Gilles avait entendu, il prit les devants, petit seau de peinture dans une main, rameutant ses copains par de grands gestes de l'autre bras. Tout courant, il arriva le premier vers l'autre grosse cylindrée stationnée à quarante mètres en amont du carrefour. Il ouvrit le couvercle du seau qu'il avait eu la précaution de dessertir préalablement, en versa le contenu sur le pare-brise côté chauffeur, jeta le bidon dégoulinant sous les roues et s'esquiva. L'homme au complet gris et la femme arrivèrent en tenant chacun Valentin par un bras.
— Mais lâchez-moi, lâchez-moi, qu'est-ce que vous me voulez ? criait-il en se débattant. Prenez des photos, filmez ! hurla-t-il à ses amis. Arrivés en même temps devant la Mercedes au pare-brise maculé de peinture jaune, les trois malfrats marquèrent un temps d'hésitation.
— Ces petits salauds nous ont piégés, on s'évacue, ordonna l'homme en gris.
Ils lâchèrent Valentin en lui adressant une gifle majuscule et prirent la fuite en direction de l'église.
— Suivez-les à distance, ne les perdez pas de vue, ne prenez pas de risques et appelez-moi ! hurla encore Valentin en frottant son oreille endolorie.

Les premières sirènes deux tons se firent entendre cinq minutes après. Une Renault Mégane de la gendarmerie arriva en trombe dans l'impasse des crocus. Elle freina brutalement en avisant Valentin qui se tenait au carrefour. Deux portières s'ouvrirent à la volée.
— C'est toi qui a appelé le 112 ? apostropha l'un des gendarmes.
— Non, mais c'est moi qui ait failli être enlevé. Je m'appelle Valentin Valmont.
— Où, quand, comment, par qui ?
— Au bout de l'impasse, il y a dix minutes, dans une BMW ou une Mercedes, par des trafiquants de pierres précieuses.
— Oulà ! Où sont-ils ?
— Je vais vous le dire, j'attends un coup de téléphone, répondit Valentin en se penchant vers sa chaussette pour en extraire son smartphone qui se mit précisément à vibrer. C'était Gilles. Valentin activa le haut-parleur.
« Derrière l'église, le chemin qui suit le ruisseau du Golet... Ils sont tous les trois ensemble »
— OK, merci Gilles. Vous avez entendu ? dit-il aux policiers. Ils sont trois, ils sont à pied car leurs véhicules sont temporairement hors d'usage mais ils ont probablement entendu vos sirènes et vont sûrement bientôt se séparer. Mes amis les suivent à distance et me tiennent au courant. Vous pouvez coordonner vos collègues par radio ?
— Est-ce qu'ils sont armés ?
— Je ne crois pas mais n'en suis pas sûr.
— Dis tout de suite à tes amis de cesser de les suivre, c'est hyper dangereux.
— Dans mon intérêt, il ne faut pas qu'ils s'échappent. Si vous pouviez mettre une voiture au niveau de la passerelle piétonne qui termine ce chemin et une autre dans le parking de l'église à son départ, ils seraient piégés, il n'y a pas d'autres sortie.
— Monte avec nous et guide-nous vers ta passerelle, nous allons mettre tout de suite une autre voiture pour bloquer le départ et ainsi éviter tout retour en arrière.
— Attendez, j'ai un autre appel, dit Valentin en sentant son smartphone vibrer. Oui Mathilde ? Ils sont tous les trois à mi-chemin ? Il semble que la femme se soit tordu une cheville ? Un homme qui boite également ? Merci Mathilde. Ils sont coincés cette fois. Valentin coupa la communication et s'adressa aux gendarmes :
— Il faut foncer maintenant, ordonna-t-il. Pouvez-vous contacter l'adjudant-chef Lemoine de la brigade du village et lui demander de se rendre chez mes grands-parents, monsieur et madame Valmont ? Vous verrez, il acceptera tout de suite, même s'il n'est pas d'astreinte aujourd'hui. Quand vous aurez cueilli ces trois malfaisants, je vous expliquerai tout.
— Affirmatif, le centre opérationnel de la gendarmerie va tout de suite s'en occuper.
La Mégane, pneus hurlants, fonça, tourna route de l'église, avala quatre cents mètres de bitume, dérapa au rond-point et sur la gauche vint bloquer la sortie du chemin du Golet. Une voix nasillarde sortit de la radio du véhicule de la gendarmerie : « Véhicule numéro deux en position parking de l'église, véhicules trois et quatre en attente. »
— Bien reçu. À toute l'équipe d'intervention, on double les effectifs. Deux véhicules à chaque poste, deux hommes pour remonter le chemin et deux pour le descendre. Ordre d'intercepter trois adultes, deux hommes et une femme. Attention, ils sont possiblement armés.
S'adressant à Valentin, le gradé ordonna :
— Toi, tu rappelles tous tes amis et tu leur intimes de cesser toute action, rassemble-les dans un endroit non dangereux, dans ta rue par exemple.
— À vos ordres, j'envoie le SMS : « Action terminée, tout le monde chez moi. »
La radio de la voiture se remit à nasiller : « Contact visuel établi, allons procéder à l'interception. »
— Bien reçu, sortez vos armes, ne prenez aucun risque.
« Les cibles lèvent les mains, contact physique établi, procédons à l'arrestation. »
— Bravo aux intervenants. Rassemblement de tous au parking de l'église pour suite des instructions. Terminé.
« Bien reçu, terminé. »

Quand Valentin accompagné du chef d'intervention, arriva à la villa de ses grands-parents, l'adjudant-chef Lemoine était là et ses grands-parents aussi. Ses amis tout sourire arrivèrent et tous prirent place autour de la table de jardin.
— Merci chef d'être intervenu si vite et si efficacement. Merci mon adjudant-chef d'avoir sacrifié une partie de votre dimanche. Vous n'avez certainement pas encore eu ma lettre ? Bon, je pense que je vous dois à tous des explications, alors voici...
Valentin avec une remarquable concision relata toute son aventure, son voyage, sa découverte, sa fouille à la douane, son plan de défense, l'action déterminante de ses amis, la neutralisation des deux véhicules des malfrats, l'enlèvement, le 112, se régalant des expressions ravies de ses amis, de l'étonnement grandissant de ses grands-parents et des représentants de l'autorité.
Quand il eut fini, l'adjudant-chef Lemoine questionna :
— Et ces pierres, finalement, où sont-elles ?
Valentin alla chercher son VTT, ôta une poignée caoutchoutée de son guidon et sortit le sachet. Avec un couteau il fit sauter l’agrafe qui le fermait et fit rouler dans sa main les pierres roses. Tout le monde voulant les voir de près, les toucher, les soupeser, il les posa sur une assiette qu'il fit circuler.
— C'est ces cailloux qui valent cent mille euros ? questionna Bouboule déçu.
— Ces cailloux comme tu dis proviennent de la mine d'Argyle en Australie. Ce sont des diamants roses, les plus chers, les plus recherchés. Là, ils sont bruts et ne font pas beaucoup d'effet, mais une fois taillés, cela donne des pierres superbes. Pour continuer mon explication, je pense que nous avons eu affaire à une bande de trafiquants, d'abord un ressortissant de Dubaï négociait à bas prix des pierres probablement détournées ou volées et les cachait dans l'avion, la femme hôtesse de l'air les récupérait et les donnait à un douanier complice, c'est notre deuxième homme, celui qui boite suite au coup de talon de Florian. Le douanier s'arrangeait pour les faire parvenir à un dénommé Wilhem, l'homme au costume gris, ressortissant des Pays-Bas, pays qui, comme chacun ne le sait pas, est l'endroit au monde qui compte le plus d'entreprises lapidaires, c'est à dire de taille des diamants bruts.
Voilà une sacrée aventure qui se termine bien pour nous, à part les gifles que Florian et moi avons reçues.
— Et les voitures ? s'inquiéta Gilles.
— Ah oui, nous avons dû immobiliser leurs autos avec les moyens du bord, il s'agit d'une grosse BMW immatriculée en Hollande et d'une Mercedes à la plaque suisse. L'une est à droite dans la rue avec une roue crevée, l'autre est à gauche avec un pare-brise joliment décoré de jaune, tout cela par nos soins. Peut-être trouverez-vous de nouveaux indices en les examinant.
— Je les ferai enlever dès demain matin, intervint l'adjudant-chef Lemoine. Valentin, tu as le chic pour te fourrer dans des situations invraisemblables...
— Oh, mon adjudant-chef, c'est fini maintenant. Demain c'est la rentrée de Pâques, mes amis et moi allons reprendre notre petit train-train de collégiens sans histoires.
— Sans histoires ? Hum...