Douche prise, sous-vêtements changés, pendant que le grand-père de Valentin à son tour faisait ses ablutions, Quentin et Valentin étaient retournés s’installer à leur table sur la terrasse.
— Qu’est-ce que tu veux boire maintenant ? C’est moi qui régale !
— Obligé, je n’ai plus d’argent, plus rien. Je veux bien un coca.
— Je vais te chercher ça au bar. Surveille le mec et suis-le mine de rien s’il s’en va.
— Ça joue.
Un groupe de randonneurs venait d’arriver, le bar était encombré et cela prit cinq minutes à Valentin pour se faire servir. Quand, après un regard vers le parasol rouge, il eut rejoint Quentin il énonça, certain de la réponse :
— Rien de nouveau à ce que je vois.
— Détrompe-toi, il est arrivé un groupe de randonneurs…
— Oui, j’ai vu, c’est même pour ça que j’ai mis si longtemps.
— J’ai remarqué que le barbu crado observait les arrivants, puis il a sorti son téléphone, a dit deux mots pas plus et il a quitté sa table en laissant sa corde de montagne dessus. Il est parti avec son sac à dos sur le chemin, direction Pralognan. Je l’ai suivi, oh, pas loin. Il n’a fait que deux cents mètres à peu près. Il marchait comme s’il était monté sur élastiques, vachement souple, sans bruit au sol et rapidement, je te prie de me croire. Une voiture était arrêtée sur le bas-côté de la route. Il s’est arrêté, a discuté trente secondes côté conducteur, glissé son sac dedans à l’intérieur puis il l’a récupéré et il est revenu. J’ai vite fait demi-tour pour revenir m’assoir ici. La voiture, une Fiesta grise, est passée sur la route en bas en l’auberge peu de temps après, je crois que le chauffeur était habillé en vert. Voilà ! Peux-tu enfin me dire à quoi tu penses ?
— As-tu bien regardé les photos-reportage que tu as prises depuis celle de la benne du téléphérique ? Je parle des images où l’on voit des personnages.
— Oui, mais comme ça, sans vraiment détailler, pourquoi ?
— Sur presque toutes on aperçoit cet homme, de face dans la cabine du téléphérique, de dos sur le passage du lac des vaches, à la table du fond dans le réfectoire du refuge. Dans le camping, on l’aperçoit de loin, enfin aux habits, je suppose que c’est lui.
— Il nous suit, tu crois ?
— Non, je ne pense pas. Mais il y a des coïncidences bizarres : au refuge du col, un couple se fait voler la sacoche que tu as retrouvée près du ruisseau, au camping, notre chambre a été visitée et nous avons aussi été volés. Et il n’y a peut-être pas que nous. De plus il y a autre chose qui me titille. Tu n’as rien remarqué ?
Quentin se concentra un instant.
— J’ai remarqué sa démarche, il est souple comme un chat.
— Ici, maintenant.
— Il boit une bière…
— Regarde son sac à dos.
— Il est bleu, il a remis la corde dessus, c’est un sac de montagne, quoi !
— Compare avec ton sac, celui de Jean-Claude, celui des montagnards.
— Excuse, mais je ne vois pas.
— Les sacs à dos des randonneurs, tout comme ceux des montagnards, sont bourrés jusqu’à déborder, le sien ne contient presque rien.
— Et alors ?
— Alors ce mec n’est ni un randonneur, ni un montagnard et pourtant on le retrouve déjà dans trois lieux où ceux qui font vraiment de la randonnée ou des ascensions font étape. Pourquoi me diras-tu ? Parce que les gens qui partent pour plusieurs jours emportent évidemment de quoi payer plusieurs hébergements et aussi de quoi communiquer comme…
— Comme ton téléphone !
— Tout juste.
— Donc il a peut-être ton téléphone dans son sac.
— J’y ai pensé, mais non, d’après ce que tu m’as décrit tout à l’heure, il a un ou une complice à qui il a dû remettre ce qu’il a volé. Mais on sait qu’ils ont une voiture et peut-être même changent-ils de rôle te temps en temps. Un indice de plus, au début son sac à dos était rouge, donc il en a plusieurs qu'il intervertit.
— Comment peut-on faire pour les coincer ?
— Pour l’instant nous n’avons aucune preuve, juste des présomptions. De plus aucun de nous trois, si je mets mon grand-père au courant, n’aura le pouvoir de l’obliger à ouvrir son sac, et d’ailleurs maintenant, il est probablement vide.
— Qu’est-ce qu’on fait alors ?
— Continuons à le surveiller sans nous faire remarquer. Si demain il s’avère qu’il y a eu un nouveau vol dans cette auberge, mes soupçons se transformeront en une quasi-certitude. Je vais réfléchir cette nuit à un moyen de le coincer éventuellement. Tu n’aurais pas pensé à prendre la voiture en photo par hasard ?
— Non, mais j’ai remarqué le numéro du département : 2B.
— Cela ne veut rien dire en soi, beaucoup de gens adoptent ce type de terminaison de plaque parce que la réputation des corses fait un peu peur, mais ça peut rendre la voiture plus facile à retrouver. Elle se dirigeait par-là ? demanda Valentin en tendant le bras en direction opposée à celle du village.
— Affirmatif, comme dirait Lemoine. À propos, tu ne pourrais pas le faire intervenir ?
— Je ne suis pas sûr qu’il ait le pouvoir de perquisitionner un sac ou un coffre de voiture sans le mandat d’un juge. Et puis ce n’est pas sa zone d’intervention.
— Donc c’est cuit pour ton téléphone et mes cinquante euros…
— Attendons demain. Je crois qu’au repas de ce soir il y a des lazagnes.
— Ouais, j’adore !
La première partie de la nuit fut calme. Valentin, fatigué par deux nuits trop courtes, sans parler des longues marches en montagne, dormait à poings fermés. Il devait être quatre heures du matin quand il fut réveillé par un cri strident suivi d’un choc mat.
— Qu’est-ce que c’est ? s’écria Quentin réveillé lui aussi.
— Cela vient de la chambre à côté de la nôtre, répondit Jean-Claude, je vais aux nouvelles.
Simplement habillé d’un slip et d’un t-shirt, il alla frapper à la porte voisine en demandant :
— Un problème messieurs-dames ? Vous avez besoin d’aide ?
Une voix d’homme répondit.
— Merci mais ça va. Mon épouse a cru voir quelqu’un entrer dans notre chambre et s’est cogné la tête contre une poutre du plafond en se redressant. À mon avis bien trop près de la couchette supérieure ces poutres. Elle a probablement rêvé.
— Je n’ai pas rêvé ! dit une voix féminine, il y avait quelqu’un dans la pièce !
— Tu as dû faire un cauchemar ma belle, c’est l’altitude qui fait ça, reprit l’homme.
— Bon, je vous laisse, conclut Jean-Claude.
— Oui, merci monsieur.
Complètement éveillé maintenant, Valentin, conforté dans ses suspicions, commença à élaborer son plan.