VALENTIN EN VACANCES

17. PARTIE DE PÊCHE

Il était dix heures du matin ce dimanche quand Valentin, cheveux en bataille et petits yeux, dézippa l’entrée de sa tente.
— Déjà réveillé ! se moqua Damien.
— J’ai dormi comme une armée de loirs, répondit Valentin. Hum, ça sent bon la sève de pin. Olivier n’est pas réveillé ?
— Si si, répondit celui-ci en passant une tête tout aussi hirsute par l’ouverture de sa Quetchua. C’est l’heure de déjeuner ?
— Il est déjà bien tard, dit Aude. Que veux-tu prendre Valentin ? Du chocolat, du thé, un jus de fruit ?
— Un verre de jus de fruit me suffira, merci Aude.
— Pareil pour moi, ajouta Olivier. Notre voisine est déjà levée ?
— Levée, lavée, elle a même fait la vaisselle de leur petit déjeuner, je crois qu’elle révise son travail scolaire en vous attendant.
— Bon, et bien allons-y, décida-t-il en absorbant d’un trait son verre de jus d’orange.
— Et la toilette ?
— Nous prendrons la douche après le bain cet après-midi, s’amusa Olivier. Je crois que c’est marée basse, nous allons courir sur le sable dur. We will run on the beach, you come with us Inge ? (Nous allons courir sur la plage, tu viens avec nous Inge ?)
Valentin siffla d’admiration.
— Olive ! C’est la plus longue phrase que tu aies jamais dite en anglais ! se moqua-t-il.
— I come ! fit la voix riante de la jeune fille qui sortit du van de ses parents.
Sans aucune fausse honte, elle reprit par la main les deux garçons et une nouvelle fois, ils prirent le chemin de la plage.
Le parking était encore à moitié vide. Une Peugeot 3008 blanche avec 73 en fin de plaque d’immatriculation se garait suivie de près par une Renault Clio grise.
— Tiens des savoyards, fit remarquer Valentin.
— Les gens commencent à arriver, remarqua Olivier.
Sur la plage, les maitres-nageurs mettaient en place les fanions limitant de baignade surveillée. Quelques parasols multicolores décoraient déjà le blond du sable sec et, sur le sable humide ocre jaune de la dernière marée, des baïnes finissaient d’écouler leur eau résiduelle.
— Nous courrons ? proposa la petite danoise.
— Allez, un petit kilomètre pour se mettre en jambes, acquiesça Olivier.
— Que veut-il dire ? demanda-t-elle à Valentin.
— Il est d’accord, il dit que la course c’est bon pour la forme, traduisit très approximativement Valentin.
À la limite de l’eau, leurs semelles sonnant mat sur le sable dur, les trois amis avançaient de front. Une légère brise de terre mêlait l’odeur de la pinède aux senteurs iodées de l’eau de mer. De temps en temps des coquillages échoués craquaient sous les pieds des coureurs. Pendant cinq minutes ils allèrent ainsi en direction du sud.
Devant eux, à quelques dizaines de mètres, au niveau des vagues mourantes, se précisa une silhouette. La personne semblait trépigner puis se penchait en avant et enfin se redressait pour passer une main dans son dos. Les adolescents stoppèrent leur course à une dizaine de mètre d’un homme apparemment très âgé, habillé d’un pantalon aux bas de jambes roulés sur ses maigres mollets, d’une veste de grosse toile bleue serrée à la taille par une ceinture de cuir tenant un panier de pêcheur dans son dos. Il portait sur la tête un béret noir duquel s’échappaient des mèches de crins blancs. Une paire d’espadrilles nouées par leurs lacets passés derrière le cou pendait sur sa poitrine. Intrigué autant par l’homme que par l’étrange activité à laquelle il se livrait, Valentin s’avança un peu plus, ôta brièvement sa casquette américaine et demanda poliment :
— Bonjour monsieur, ce que vous faites nous semble étrange, pouvons-nous savoir de quoi il s’agit ?
L’homme tourna la tête, examina successivement les trois jeunes, repoussa vers l’arrière son béret, découvrant une partie blanche sur son front bronzé avant de prononcer :
— Ce que je fais ? Je pêche.
— Nous n’avons jamais vu pêcher comme ça, continua Olivier, qu’est-ce que vous attrapez ?
— Lagagnons.
— Des lavagnons, qu’est-ce que c’est ?
— Coquillages.
— Ah… Comment faites-vous ?
— Regarde.
L’homme s’avança de deux mètres dans le crépitement d’une vague mourante, fit pivoter ses talons à droite et à gauche, l’eau en se retirant entraina sable et graviers. L’homme se pencha, picora d’une main deux ou trois coquillages ressemblant à de petites moules aplaties striées de couleurs variées.
— Lagagnons, fit-il en se redressant et en présentant sa main ouverte aux trois amis.
— Pretty little shells. (Jolis petits coquillages.) apprécia Inge.
— Ils sont beaux ces coquillages, traduisit Valentin, qu’en faites-vous ?
— Mange à l’apéritif, très bon !
— On peut pêcher avec vous ? demanda Olivier.
— La plage est à tout le monde. Mais ne ramassez pas les petits, ils doivent grandir. Toi, montre-moi ta main.
Surpris, Olivier néanmoins s’exécuta et présenta sa paume au regard de l’homme.
— La largeur de ton pouce, c’est la bonne dimension.
— Compris monsieur.
Les trois adolescents se déchaussèrent, lancèrent leurs baskets sur la plage hors d’atteinte des vagues. Les deux garçons avancèrent dans la faible profondeur de l’eau qui crépitait en s’enfonçant dans le sable. Inge se mit à quatre pattes devant eux.
— Move your feet, I collect the shells. Yes, one, two, three ! It’s nice ! What I do with it, Valentin ? (Bougez vos pieds, je ramasse les coquillages. Oui, un, deux, trois ! C’est chouette ! Qu’est-ce que j’en fais Valentin ?)
— Donne-les au monsieur, répondit celui-ci en français.
— Of course ! For you sir. (Bien sûr ! Pour vous monsieur.)
Pendant dix minutes, trois paires de pieds fouillèrent le sable. Inge tout excitée ramassait les petits mollusques avant que le reflux de l’eau les emporte. Elle se relevait périodiquement pour glisser sa récolte dans le trou du panier de pêche du vieil homme qui finit par dire :
— Merci les jeunes, j’en ai largement assez maintenant. C’était très gentil de votre part.
— Oula ! s’exclama Olivier, ça fait du bien d’arrêter, heureusement que l’eau est fraiche, j’ai les pieds qui chauffent et les talons à vif !
— Le sable, c’est du papier de verre mon gars. Avec ça, pas besoin de pierre ponce pour enlever les peaux mortes, rigola le vieux pêcheur.
— Comment faites-vous pour préparer ces… lagagnons ? demanda Valentin.
— Tu les fais ouvrir dans une casserole à feu vif, c’est tout et c’est très bon. Allez, au revoir les petits, vous avez été très polis, surtout vos pieds ! Hi hi hi !
Content de son astuce, l’homme retourna vers le sable sec, s’assis sur un tronc d’arbre échoué laissé là par la dernière grande marée. Il se rechaussa, baissa les jambes de son pantalon et, après un bref signe de la main, disparut par un passage dans la dune.
— Et bien, nous avons appris quelque chose d’intéressant, conclut Olivier. Des lagagnons, Je n’avais jamais entendu parler de ce coquillage auparavant, et vous ?
— Moi non plus, avoua Valentin, c’est sûrement un nom local. Nous pourrons peut-être revenir en ramasser pour faire une surprise à tes parents.
— Si tu veux bien, j’attendrai que la peau de mes pieds ait repoussé.
— Bon, il ne doit pas être loin de midi, c’est l’heure de rentrer, si nous essayons le passage que le pêcheur vient de prendre dans la dune, il doit bien y avoir un chemin de retour.
— Dans la forêt nous n’aurons plus de repères si le chemin fait des détours ou s’il y a des croisements sans indications, objecta Olivier.
— Bah, la côte landaise est rectiligne et orientée nord-sud. Il nous suffira de toujours aller vers le nord.
Dans la grande forêt de pins maritimes mêlée de chênes verts, au sol tapissé d’aiguilles sèches, de bruyère et de mousse, la sente qui faisait suite au passage emprunté par le pêcheur dans la dune aboutissait à un étrange chemin composé de longues dalles de ciment de plusieurs mètres de longueur et larges d’une soixantaine de centimètres. Valentin tourna le dos au soleil et se mit à marcher vers le nord. Ici et là, des buissons de genets ou d’ajoncs fleuris rompaient la monotonie des troncs rectilignes des grands pins au sommet desquels murmurait le vent de la mer.
— C’est quand même étrange ce chemin de dalles. Il doit y avoir une explication, en rentrant, nous demanderons à tes parents s’ils la connaissent.
— Pas sûr, nous ne sommes jamais venus dans cette région. Alors Inge, cette promenade te plait ?
— Beaucoup. Très jolies les petites fleurs violettes. J’aime mer, forêt, et aussi montagne et campagne en France.
— Il faudra venir en vacances chez nous en Haute-Savoie. Il y a un grand lac, des plages, des belles montagnes, des forêts. On peut nager, marcher, escalader, faire du vélo. Il y a beaucoup de campings, expliqua Olivier.
— Cela me plairait beaucoup. Je dirai à mes parents.
— Nous arrivons à une petite route goudronnée, je crois qu’elle aboutit à celle de la plage, nous sommes presque arrivés, dit à son tour Valentin. Que désires-tu faire cet après-midi Inge ?
— Je veux nager, baigner, sauter dans les vagues.
— La mer sera haute vers seize heures, c’est parfait !
— Moi j’ai mon stage de surf qui commence à quinze heures.
— Nous irons t’admirer, grand sportif !
— J’aime mieux pas. Au début je vais boire bouillon sur bouillon. Allez plutôt nager.