Il était minuit. Encore habillé d’un short et d’un t-shirt, allongé sur son sac de couchage, Valentin repassait dans sa tête les évènements de la journée quand un grattement sur le sommet de sa tente attira son attention.
— Tu dors Valentin ? chuchota une voix.
— C’est toi, Inge ? Non, je ne dors pas.
— Je peux venir dans ta tente ?
— Pourquoi faire ?
— Juste discuter.
Valentin dézippa la fermeture en arc de cercle de sa Quetchua.
— Entre, dit-il en aspirant ses paroles.
La jeune Danoise vêtue d’un t-shirt et d’un bas de maillot se faufila et s’allongea sur le dos près de son ami. Elle croisa les mains derrière sa tête. Après quelques secondes de silence, elle prononça :
— Nous avons bien joué n’est-ce pas ?
— J’étais en train d’y penser quand tu as gratté. Oui, c’était pas mal.
— Le match que j’ai préféré, c’était le premier, contre les Amazones.
— Personnellement, j’ai mieux aimé les deux derniers, contre les Amateurs parce que le match était très serré et contre les Allemands parce qu’on a gagné un match international.
— Les Allemands étaient trop grossiers.
— Tu comprenais ce qu’ils disaient ?
— Oui, tout.
— Je ne savais pas que tu parlais l’allemand, lui dit Valentin admiratif.
— Le Danemark est un petit pays qui touche à l’Allemagne. Apprendre leur langue est presque une obligation chez nous.
— Donc tu parles le danois, l’anglais, l’allemand et le français.
— Le français pas bien encore mais ici avec vous je fais beaucoup de progrès.
— Tu peux me traduire ce que les allemands ont dit pendant le match ?
— Je veux bien mais ce n’est pas très joli.
— Dis toujours.
— Ils ont souvent dit « merde ». Nous trois, ils nous ont traités de « connards de français ». Pour toi c’était « trou du cul » et pour Olivier « face de cul. »
— Un peu focalisés sur le pôle sud ! Et toi, tu as eu droit à quoi comme mot gentil ?
— Tout simplement « salope ».
— Ce sont de vrais grands sportifs, respectueux de leurs adversaires, se moqua Valentin.
— Ils pensaient nous avoir facilement après notre début calamiteux, dans leurs têtes ils étaient mauvais de se faire battre.
— Comme quoi, en dépit de ce que l’on dit en France, à la fin, ce ne sont pas toujours les Allemands qui gagnent.
Inge changea de position et s’allongea tête vers l’ouverture de la tente.
— Mets-toi comme moi, regarde Valentin, on voit des éclairs au loin, il y a un orage en mer.
— Tu veux que nous allions voir sur la plage ?
— Oh oui, ça me plairait bien. Je vais prendre mes tennis.
— Veux-tu que je demande à Olivier ?
Des ronflements s’échappaient de la tente bleue voisine. Les deux adolescents se regardèrent à la faveur du rougeoiement d’un nuage allumé par un éclair d’altitude.
— Laissons-le dormir, il s’est plus dépensé que nous aujourd’hui, murmura Valentin.
Un air chaud et lourd pesait sur la nature, le moindre bruit paraissait amplifié, les pommes de pins craquaient, les sauterelles noctambules crissaient, autour des lampadaires du camping vrombissaient quelques hannetons des sables. Inge et Valentin passèrent la barrière d’entrée et s’engagèrent sur la petite route déserte. Sur le parking de la plage stationnaient encore une dizaine de voitures et quelques motos. Ils descendirent l’escalier de la plage pour aller s’assoir sur le sable tiède. Les nuages sur l’océan s’éclairaient de partout faisant rougeoyer le sombre de l’eau, le grondement continu du tonnerre était à peine couvert par les énormes vagues s’écrasant sur le sable phosphorescent d’écume.
— C’est beau mais ça fait un peu peur, non ? dit Inge en se serrant contre le garçon.
Valentin ne répondit pas mais accepta le contact contre son flanc. Une brise chaude de sud-ouest atténua un instant la lourdeur de l’air. Un éclair bien distinct fendit le pourpre noir de l’air au-dessus de l’océan. Instinctivement Valentin compta. Cinq secondes après, un fort coup de tonnerre suivi par un long roulement ébranla l’atmosphère.
— Un kilomètre et demi, annonça-t-il, l’orage se rapproche.
Il avait à peine dit ces mots qu’une violente bourrasque souleva le sable sec, piquant les visages, bras et jambes nus. Presque aussitôt gigantesque flash élimina la nuit, simultanément un énorme coup de canon les assourdit. Inge cria.
— Viens Valentin, il faut rentrer.
Ils reçurent les premières gouttes grosses comme des pièces de monnaie quand ils montaient l’escalier de la plage. Arrivés au niveau du parking, un rideau de pluie à l’horizontale les trempa instantanément. Ruisselants, ils coururent sur la route, la grêle les rattrapa à mi-chemin du camping, les grêlons gros comme des billes matraquèrent leurs têtes nues. Inge ôta son t-shirt pour protéger se protéger, libérant sans aucune gêne ses jeunes seins. Valentin fit de même et tint son t-shirt tendu au-dessus de son crâne. Les glaçons rebondissaient dans les grands pins, faisaient tomber les aiguilles mortes, déchiquetaient les feuilles des chênes verts, meurtrissaient les bras et les mains des deux amis. Au moment où ils entraient dans le camping, une boule de feu frappa la ligne électrique longeant la route. Tous les lampadaires ainsi que les lampes du bloc sanitaire s’éteignirent. Le camp fut plongé dans le noir absolu qui suit l’extinction de la lumière. Dans le bloc sanitaire le plus près de l’entrée un enfant cria. Valentin suivit d’Inge se précipita au jugé, faillit tomber en butant sur la première marche d’accès.
— Quel imbécile je suis de ne pas avoir pris mon smartphone, jura-t-il.
L’enfant qui semblait être un jeune garçon cria encore.
— Je ne peux pas sortir ! Je veux sortir ! Maman, maman !
— Du calme, nous allons t’aider. C’est l’orage qui a coupé la lumière, ce n’est pas grave, rassura Valentin d’une voix forte. Inge, s’il te plait, reste là et réponds-moi pour me guider quand je te le demanderai. Où es-tu mon garçon ? Parle-moi ! Où es-tu ? Parle fort !
— Ici ! cria la voix du jeune garçon.
Valentin fit quelques pas dans la direction de la voix.
— Comment t’appelles-tu ?
— Nathan.
— Plus fort, je t’entends mal avec le bruit de la grêle !
— Nathan ! cria le petit.
Valentin, bras en avant fit quelques pas dans le noir absolu du bâtiment, se cogna contre une cloison.
— Tu as quel âge, Nathan ?
— Neuf ans et demi.
Valentin obliqua vers la voix. Un nouvel éclair dessina la silhouette d’Inge dans la large entrée du bloc. Grace à la fugace clarté émise, il devina l’entrée du coin WC et s’y dirigea rapidement.
— Je suis tout près de toi maintenant Nathan. Tu m’entends ?
— Oui.
— Viens vers moi pendant que je te parle.
— Je peux pas, je suis enfermé.
— Dans un cabinet ?
— Oui.
— Mets tes mains devant toi, avance et touche la porte. Ça y est ?
— Oui.
— Maintenant tends ton bras vers ta gauche, tu sens la paroi ?
— Oui, je la touche.
— Bon, fais glisser ta main entre la porte et la paroi, du haut vers le bas, tu vas toucher la fermeture et ouvrir.
— Je peux pas, c’est coincé.
— Mais non, il faut simplement tirer un peu la poignée ronde vers toi et tourner la petite molette vers la droite. Tu as compris, Nathan ?
— Oui, ah, ça y est. Qu’est-ce que je fais ?
— Mets tes bras en avant et fais trois pas pour sortir. C’est fait ?
— Oui.
— Maintenant, compte tout haut jusqu’à dix.
Guidé par la voix du jeune garçon, Valentin avança dans le noir absolu en faisant des mouvements lents avec ses bras tendus en avant. Il toucha bientôt le dos du jeune garçon complètement désorienté.
— Donne-moi ta main, Nathan. Inge, parle-moi maintenant, cria-t-il.
— Par ici Valentin. Je vois une lumière dans le camp, on dirait une lampe de poche. Oui, c’est ça, et un parapluie. Oh, le vent a retourné le parapluie ! Encore un éclair !
La voix de la jeune fille se perdit dans le fracas du tonnerre mais sa silhouette se redessina dans l’entrée du sanitaire. L’énorme bruit fit trembler la structure du bâtiment. Valentin tirant Nathan fit quelques pas supplémentaires vers la sortie.
— C’est un orage vraiment terrible. Il ne grêle plus mais il pleut très fort maintenant. La lampe de poche s’approche, continua Inge.
— Ça y est, nous voici. Ouf, pas évident. Lui, c’est Nathan.
— Tu as encore peur Nathan ? demanda gentiment Inge.
— Non, mais je ne sais pas où est ma tente.
— Nathan, Nathan, où es-tu ? Nathan, tu es là ? fit la voix de la personne qui tenait la lampe de poche.
— Oui maman, je suis là avec un grand garçon.
— À l’entrée du sanitaire madame. Nathan va bien, il n’a rien, dit Valentin.
La lampe s’approcha, elle éclaira le torse de Valentin puis la poitrine nue d’Inge avant de se poser sur l’enfant qui se précipita contre la dame.
— Oh Nathan, que j’ai eu peur ! Une grosse branche est tombée sur ta tente. J’ai cru que tu étais blessé et que tu étais perdu dans le noir.
— Non, j’avais très mal au ventre alors je suis venu ici.
— Tu aurais dû me réveiller, venir dans la caravane, Nathan. Et vous ? Que faisiez-vous ici ? demanda la femme en éclairant le torse nu d’Inge, vous avez une drôle de tenue.
— Vous avez déjà reçu des grêlons sur la tête, vous ? Il a bien fallu nous protéger ! répondit Valentin d’un ton glacial.
Inge rendit le vêtement de Valentin, leva le sien au-dessus d’elle et dit :
— Comme ça.
— Nous avons entendu votre fils crier, nous sommes venus l’aider, rien d’autre, reprocha Valentin.
— Maman, c’est le garçon qui m’a sauvé. J’étais dans le noir, j’étais enfermé, j’avais peur.
— C’est fini maintenant mon chéri. Oui, je comprends, continua-t-elle en s’adressant à Valentin. Excusez-moi, j’étais affolée. Je vous remercie de votre action. Vous pouvez rentrer dans votre installation.
— Bien difficile dans le noir absolu. Nous attendons le rétablissement de la lumière.
— Oula, ça peut durer longtemps. Lors du dernier orage, l’électricité n’a été rétablie que le lendemain dans la matinée. Vous n’allez pas attendre ici.
— Prêtez-moi votre lampe, je vais chercher mon smartphone et je reviens.
— Tu veux téléphoner à l’EDF ? Ils n’interviennent pas la nuit, tu sais ?
— Les smartphones possèdent une lampe puissante…
— Oui, c’est bien sûr… Prenez ma lampe. Excusez-moi encore.
— Tu viens Inge ?
— Non, je reste avec la dame et Nathan.
— Excusez-moi également mademoiselle, ajouta la femme quand Valentin fut parti, je suis toute chamboulée, je n’ai plus ma tête. Cet orage épouvantable, et en plus le vol de nos papiers… Drôles de vacances.
Cinq minutes plus tard, les deux amis avaient regagné leurs tentes, changé leurs habits détrempés. Valentin se glissa dans son sac de couchage. Il lui fallut encore une demi-heure pour que le sommeil le terrasse.