VALENTIN EN VACANCES

38. PLUIE DU MATIN

Une pluie battante tambourinant le toit du mazot les réveilla au milieu de la nuit. Gilles alluma son smartphone : « trois heures quatorze » indiqua l’écran.
— Pétard ! s’exclama-t-il, trois heures ! Quel raffut ! J’ai besoin de dormir, moi !
— Tu peux constater que mes prévisions et celles du véto étaient exactes, répondit Valentin, réveillé lui-aussi.
— La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin, dit ma mère, ça va s’arrêter.
— Et si la pluie ne s’arrête pas ?
— Dans ce cas, je me demande bien ce que nous allons pouvoir faire. On ne peut même pas abréger le séjour car faire quarante-cinq kilomètres sous la pluie, merci bien. Waouh, quel déluge !
— Nous verrons ce qu’Emily va nous proposer. Après tout, c’est elle qui reçoit.
— S’il avait fait beau, on aurait pu faire une chasse au trésor.
— Explique !
— Le Chinaillon Grand Bornand, c’est une station de ski réputée qui possède une dizaine de télésièges. As-tu déjà essayé de fouiller dans tes poches quand tu es assis dans un télésiège ? Tu es encombré avec tes bâtons, tes gants ou tes moufles et souvent engourdi par le froid. En plus tu es serré par tes voisins de siège et tu deviens gauche et maladroit. C’est alors que tu laisses tomber des objets : bâtons, gants, pièces de monnaie, même téléphone portable ou portefeuille. En tombant de haut, ces objets s’enfoncent dans la neige et sont à peu près impossibles à retrouver, surtout s’il floconne ou s’il y a du brouillard. Quand la neige a disparu, au milieu du printemps, il y a des gens qui cherchent fortune en grimpant la pente sous les remontées mécaniques.
— Donc fin août, tout est ramassé.
— Tu te rappelles ce que je t’ai dit un jour à propos de la cueillette des champignons ? Quand on n’est pas le premier à passer, il faut chercher mieux que les autres. Là, c’est pareil. Il faut chercher dans les creux de rochers, là ou la pente est très forte.
— Oui, mais il pleut, donc nous n’inventerons pas de trésor aujourd’hui.
— Inventer ?
— Celui qui trouve un trésor s’appelle son inventeur. C’est Lemoine qui m’a expliqué cela, un jour que Olivier et moi, cherchions des trésors dans le sol à l’aide d’un détecteur de métaux.
— Bizarre autant qu’étrange cette façon de parler.
À cet instant, les petites fenêtres du mazot s’illuminèrent et un énorme coup de tonnerre fit instantanément trembler la structure du minuscule chalet. La pluie devint diluvienne sur le toit de bardot.
— Moins d’une seconde, la foudre a frappé tout près de nous. C’est le troisième gros orage que je subis depuis le début des vacances, un au refuge de la Vanoise, un à Mixelit au bord de la mer et celui-ci.
L’écho du tonnerre n’avait pas cessé que le vacarme redoubla sur le toit.
— Je crois qu’il grêle maintenant, diagnostiqua Gilles.
Valentin s’était levé et regardait par une des petites fenêtres. Il n’y avait plus aucune lumière dans le hameau mais à la faveur des éclairs qui maintenant se succédaient presque sans interruption, il put confirmer l’avis de Gilles.
— Tu as raison ! Il tombe des balles de ping-pong, le sol est déjà tout blanc.
— On est mieux ici au chaud qu’à bivouaquer en montagne. Dis donc, on n’a pas mis nos vélos à l’abri.
— Sous le toit du chalet ils ne craignent pas la grêle. Les as-tu attachés par un antivol ?
— Ben non, Je ne l’ai pas emmené. Mais par ce temps, personne ne s’aventurera dehors pour venir nous les voler, rassure-toi. Si on dormait maintenant ?
— Essayons. Bonne fin de nuit, Gilles.

Il était neuf heures passées quand Emily frappa à la porte du mazot. Elle dut même recommencer avant d’obtenir le premier grognement.
— Qu’est-ce que c’est encore ?
— C’est l’heure du jus de fruit matinal, il est neuf heures un quart.
— OK, merci, nous arrivons, bonjour Emily, dit poliment Valentin.
— Bonjour les garçons.
— Est-ce qu’il pleut encore ? demanda Gilles.
— Oui, mais moins fort que cette nuit. Il reste encore des endroits couverts de grêlons et il ne fait pas chaud.
— Merci pour la météo. À tout de suite.
Rapidement habillés, les deux amis franchirent en courant les dix mètres les séparant du chalet. Gilles se dirigea vers l’arrière du bâtiment pendant que Valentin s’abritait sous l’importante avancée du toit protégeant l’entrée.
— Où vas-tu ?
— Je vais derrière, je veux vérifier les vélos, je te rejoins tout de suite.
— Oh flûte ! Ils sont tous les deux à plat. Quatre roues dégonflées, qu’est-ce qui a pu faire ça ?
— QUI est-ce, tu veux dire, corrigea Valentin en rejoignant son ami.
— Qu’est-ce qu’on va faire ?
— Aller déjeuner.
— Oui, mais pour nos bécanes ?
— Que pouvons-nous faire dans l’immédiat ? Rien, sinon tenter de les regonfler si nous trouvons une pompe. Allons déjeuner, nous sommes invités.

— Bonjour Emilienne, bonjour Emily. Avez-vous réussi à bien dormir malgré l’orage ?
— Effectivement, la nuit fut agitée, et vous, bien dormi ? demanda à son tour Emilienne.
— Nous avons été réveillés vers trois heures du matin par la pluie, le tonnerre et la grêle, expliqua Gilles, mais ça va.
— Installez-vous et déjeunez.
— Emily, possédez-vous une pompe à vélo ? questionna Gilles.
— Oui, mais pas ici. Faire du vélo en montagne, c’est trop dur pour nous, nous les laissons en bas. Mais je crois que Dad possède un gonfleur à pied pour la voiture, il doit être au grenier. Pourquoi ?
— Je viens d’examiner nos VTT, toutes les roues sont à plat.
— Mais comment cela est-il possible ? s’étonna Emily.
— C’est à l’évidence un acte de malveillance. J’espère d’ailleurs qu’ils ne sont que dégonflés et non pas crevés. S’ils sont simplement dégonflés, comme nos chambres à air sont à grosses valves comme celles des roues de voitures, ce n’est qu’un petit contretemps mais s’il faut réparer, c’est une autre histoire, commenta Valentin.
— Qui a bien pu faire ça ?
— Ici, personne ne me connait, raisonna Gilles, ça ne peut pas être contre moi, je suis une victime collatérale. À moins que le Tony et sa clique soient ici, ce qui m’étonnerait beaucoup.
— Personnellement, je ne suis venu qu’une fois au Chinaillon, en décembre dernier pour faire du ski avec Florian et avec toi Emily. Je ne me suis pas fait d’ennemis… Ah, si peut-être, quand nous étions dans le magasin de location de sport, un mec m’avait bousculé et fait tomber dans le présentoir à ski. Avec Florian, nous nous étions arrangés pour lui rendre la monnaie en l’expédiant dans le rayon des bâtons de ski. Il s’était pris une bonne engueulade par le patron du magasin. Par la suite, sur les pistes, nous nous sommes moqués de sa façon de skier. Il skiait seul, ce qui semble dire qu’il n’a pas d’amis. Mais à la réflexion, il serait étonnant que ce soit lui, ce serait une incroyable coïncidence qu’il soit à nouveau là en même temps que nous. Et toi Emily, est-ce que quelqu’un d’ici t’en veut et cherche à t’ennuyer à travers tes invités ?
— Je n’ai pas d’ennemis. Nous ne venons ici que pendant les vacances.
— Un amoureux déçu, peut-être ? osa Gilles.
Emily rougit fortement avant de prononcer :
— Je n’ai pl… pas d’amoureux.
— Il pourrait y avoir un mec qui aimerait bien sortir avec toi et qui est jaloux de notre présence ici, supposa Gilles, mais nous ne pouvons pas le savoir, qu’en penses-tu ?
— Il y a bien un grand type plus vieux que nous, seize ou dix-sept ans peut-être, des boutons sur la figure, toujours habillé en bleu, qui passe souvent devant le chalet. Il a cherché plusieurs fois à engager la conversation, mais je ne lui ai jamais répondu.
— Habillé en bleu tu dis ? Le mec dont je parlais à l’instant s’habillait aussi de bleu. La probabilité que ce soit lui le dégonfleur vient d’augmenter fortement. Sais-tu où il habite ?
— Je l’ai plusieurs fois aperçu près de l’ascenseur public. Tu veux le retrouver ? Tu ne peux pas être certain que ce soit lui.
— Je vais examiner les lieux du crime, s’amusa Valentin en rinçant à l’évier son verre vide du jus de fruit de son petit déjeuner. Hier soir les roues de nos vélos étaient encore gonflées, sinon je l’aurais remarqué, donc elles ont été trafiquées cette nuit. Tu n’as pas trop piétiné l’endroit, Gilles ?
— Non, je suis juste allé donner un coup d’œil, je ne me suis même pas approché des bécanes.
— je peux venir avec toi ? demanda Emily.
— Bien sûr, tu es chez toi ma belle.
— J’aime bien quand tu m’appelles comme ça.
Quand ils furent arrivés derrière le chalet, non loin des VTT, Valentin leva une main et dit :
— Stop ! Essayons de trouver des indices. Voyons, Emily, y-a-t-il quelque chose d’anormal, de pas comme d’habitude ?
Emily fit une moue que Valentin trouva charmante, elle attendit plusieurs secondes avant de remarquer :
— Non, rien. À part peut-être cette vieille herse qui est mieux rangée que cela d’habitude.
— OK, je prends des photos, dit-il en sortant son smartphone.
Après avoir enregistré globalement la scène, Valentin avança tout doucement vers les vélos en scrutant le sol. Il s’arrêta à deux reprises pour photographier la terre humide un peu en retrait de l’aplomb du toit puis pulvérulente près du mur de pierres servant d’appui aux madriers du chalet. Ceci fait, il s’intéressa aux dents de la herse appuyée en biais contre la paroi de bois. Un peu plus haut que son genou, sur un picot de l’outil agricole, il remarqua un minuscule bout de fil blanc-bleu qu’il photographia en gros plan. Ensuite, il s’éloigna du chalet et examina la terre mouillée par l’orage.
— Aurais-tu un mètre où de quoi mesurer, Emily ?
— Ma mère a son mètre de couturière. Tu en as besoin ? Je vais le chercher.
Quand Emily fut revenue, il lui demanda de tendre le ruban gradué près d’une empreinte de semelle bien marquée entre deux touffes d’herbes.
— Je prends un autre cliché.
— Qu’est-ce que tu comptes faire avec toutes ces photos ? demanda Gilles curieux.
— Te rappelles-tu notre enquête quand nous avons recherché l’ancien propriétaire de ton chien Zoreille ? Nous avions réussi à déterminer sa pointure grâce à une empreinte de semelle. Le mètre de couturière noud donne la longueur de la semelle de la personne qui s’est occupée de nos VTT. Regarde : vingt-huit centimètres. Divise vingt-huit par la dimension d’une pointure et tu auras la taille du pied. Si tu ne te souviens pas, l’unité de pointure c’est zéro virgule soixante-six centimètres.
— Bon, je sors la calculette de mon téléphone. Attends, voilà, heu : quarante-deux virgule quarante-deux.
— OK, quarante-deux et demi. Nous pouvons déjà être sûrs qu’il s’agit d’un mec qui porte un vêtement bleu, probablement un jean et qui chausse du quarante-deux ou quarante-trois.
— Pourquoi un jean ? demanda Emily.
— Regarde cette dent de la herse, un petit bout de fil bleu y est resté accroché. Par rapport au sol, cette dent se situe plus haut que mon genou mais plus bas que ma hanche, donc le gars a probablement accroché une jambe de son pantalon, peut-être même s’est-il fait un accroc sur le côté extérieur de sa cuisse. Les pantalons de couleur bleue sont surtout des jeans.
— Pour la place de l’accroc, si accroc il y a, tu n’en sais rien, objecta Gilles.
— Essaie donc de frotter l’intérieur de ta jambe contre ce picot, se moqua Valentin, si tu y arrives, tu es contorsionniste !
— Sur l’avant ou sur l’arrière, c’est possible.
— Oui mais dans ce cas, il faut le faire exprès et je ne pense pas que ce soit le cas. Le gars a dû raser le mur, se frotter involontairement contre la herse et se dirigeant vers nos vélos.
— Pourquoi as-tu pris l’empreinte en photo puisque tu as réussi à calculer la pointure du gars ? continua Emily.
— Pour deux raisons. La première c’est pour garder une preuve et la seconde pour avoir le dessin de la semelle et ainsi déterminer quelle chaussure il porte.
— Mission impossible, déclara Gilles.
— Qu’est-ce que tu portes comme chaussures ?
— Des baskets comme toi, et comme Emily, tu vois bien.
— Et comme tous les jeunes. Mais nous n’avons pas forcément la même marque, ni le même modèle, donc je vais me rendre au magasin de sport en centre hameau et grâce à cette photo, je vais pouvoir comparer les semelles. Si j’ai de la chance, je trouverai ce que le mec met à ses pieds.
— Et ensuite, que pourrons-nous faire ?
— Comme me l’a annoncé Gilles cette nuit, la pluie est en train de s’arrêter et il y a un peu de bleu dans le ciel vers l’ouest, donc, après être passé par le magasin de sport, nous allons faire une promenade dans le village pour tenter de repérer un type qui correspond à nos déductions.
— C’est l’histoire de l’aiguille et de la botte de foin, ton affaire.
— Réfléchis, Gilles, pourquoi quelqu’un s’amuse-t-il à, par exemple, dégonfler les pneus de vélos ?
— Pour embêter le monde, et je reste poli.
— Mets-toi à sa place, qu’est-ce qui t’amuserait le plus en pareil cas ?
— Voir la tête que font les victimes.
— Tout juste ! Je ne serais pas étonné qu’il soit en train de nous surveiller en ce moment.
Gilles fit lentement un tour sur lui-même et tenta sans succès de repérer une silhouette, un mouvement qui conforte la supposition de Valentin.
— Désolé, je ne vois rien de suspect.
— De l’autre côté de la vallée, je vois quelqu’un sur un balcon d’immeuble, dit Emily. J’ai l’impression qu’il regarde vers nous mais il est trop loin pour en être sûr. C’est vers l’ascenseur public, un peu en amont sur la route.
— Nous irons fureter un peu par là tout à l’heure.
— Emily, tu nous as dit qu’un jeune avait essayé plusieurs fois de t’aborder, un mec habillé en bleu, c’est ça ? rappela Gilles.
— C’est exact, pourquoi ?
— Juste une supposition, ce mec pourrait-il se venger de ton indifférence en agressant tes invités ?
— C’est un peu tordu, non ?
— Pourquoi alors s’attaquer à nous, on n’est pas connu ici.
— Si c’est l’individu auquel je pense, il peut m’en vouloir de cet hiver, répondit Valentin. Mais m’a-t-il reconnu ? Après tout c’est possible. Emily, as-tu des habits bleus ?
— J’ai un jean bleu clair et un t-shirt bleu marine.
— Est-ce que tu peux les mettre pour aller dans le hameau ?
— Ça te ferait plaisir ?
— Euh, oui, mais ce serait surtout un miroir aux alouettes. Il semble que l’individu qui nous intéresse soit fasciné par la couleur bleue. Donc s’il nous surveille, s’il nous voit aller vers les commerces, si on te laisse un peu seule vers l’immeuble où il est supposé habiter, il va peut-être chercher à t’aborder. Si c’est le cas, réponds-lui gentiment, discute avec lui, souris-lui, laisse entendre que les deux qui sont avec toi ne sont pas intéressants, qu’ils t’énervent et que tu as hâte qu’ils partent. Peut-être ainsi pourras-tu apprendre quelque chose. Avec Gilles et moi nous allons nous rendre dans le magasin de sport. Si nous repérons des baskets correspondant à l’empreinte qui est là, je fais une photo et te l’expédie en MMS. Si tu es abordée et si tout correspond, réponds-moi simplement OK. Ensuite nous aviserons.

Emily déambulait dans la rue commerçante du hameau sous un soleil revenu. Elle faisait semblant d’être absorbée par l’écran de son smartphone mais, sous prétexte de choisir son chemin, jetait un œil scrutateur sur tous les gens qu’elle croisait. Elle venait de dépasser l’ascenseur public quand elle se fit interpeler.
— Bonjour beauté, tu es en vacances ici ?
Emily, tête bien droite, regarda d’abord l’importun d’un air froid puis elle inclina légèrement la tête à droite et esquissa un sourire vite refermé.
— Bonjour.
— Tu habites au Chinaillon ? Cela fait plusieurs fois que je te remarque par ici.
— J’y passe quelques jours.
— On fait quelques pas ensemble ? Comment tu t’appelles ? Moi c’est Maxime.
— Je n’ai pas le pouvoir d’interdire aux gens de marcher. Tu as de belles baskets Maxime.
— Ce ne sont pas des baskets mais des trekkings Salomon ultra pro.
— C’est quoi la différence ?
— Le confort, la semelle ultra grip et la couleur me plait bien.
— Tu aimes le bleu toi aussi ?
— C’est ma couleur fétiche. Ça te dirait de faire un tour en scoot jusqu’à la Colombière ? Mon scoot est là sur le petit parking. C’est quoi déjà ton prénom ?
— Attends, mon téléphone vibre, je dois répondre.
Emily s’éloigna de quelques pas, ressortit le smartphone qu’elle avait rangé dans une poche arrière de son jean, fit semblant de lire puis tapota : « treckkings salomon ultra pro bleus. Scooter bleu sur parking près supermarché » puis elle revint vers le grand adolescent.
— Je dois partir. Salut.
Gilles et Valentin étaient toujours dans le magasin de sport. Ils examinaient une à une les chaussures dépareillées disposées sur le présentoir.
— Je peux vous aider ? demanda le vendeur soupçonneux.
— On regarde les baskets de montagne, nos parents veulent bien nous en acheter alors on se renseigne, répondit Gilles avec son plus innocent sourire.
— C’est des trekkings que vous voulez. Ils sont en bout de présentoir à droite.
— Bien, merci monsieur.
C’est à ce moment que le smartphone de Valentin vibra. Rapidement renseigné par le SMS d’Emily, il repéra la chaussure indiquée et en photographia la semelle.
— C’est bon, allons-y, dit-il à Gilles. Au revoir monsieur.
— Au revoir, à bientôt, répondit l’homme avec son plus beau sourire commercial.

— Alors ? fit Gilles quand ils furent dehors.
— Tout concorde. Regarde le message que m’a envoyé Emily quand nous étions dans le magasin.
— Il a un aussi scooter bleu, tiens tiens. Ça roule moins bien un scoot avec deux roues dégonflées, non ?
— Certes mais impossible de faire ça en plein jour sur un parking public.
— On ne va tout de même pas le laisser s’en tirer sans rien faire… Attends… Tu te rappelles quand tu t’es fait envoyer à l’hosto ? Oui, bien sûr. Florian t’avait alors vengé du dénommé Enzo en bouchant le pot d’échappement de son vélomoteur, ce qui l’avait obligé à faire dix bornes à pied en poussant son engin. Et il l’avait bouché avec des pommes de terre crues enfoncées de force. Comme par hasard, nous sommes près du supermarché ! J’en achète un kilo et je lui enfonce la totalité. Je ferai semblant de renouer mes lacets et hop, hop, hop, hop, je transforme son engin en friteuse. Il ne va rien comprendre le bleu !
— Voilà Emily qui nous rejoint, remarqua Gilles quand ils sortirent de la supérette. Bien joué Emily, nous avons maintenant la certitude que c’est ce mec qui a trafiqué nos vélos.
— Ce n’était pas difficile de le faire parler. Que faites-vous ici ?
— Nous venons de faire les courses, répondit Valentin en levant le filet de pommes de terre.
— Qu’allez-vous faire avec ça ?
—Nous allons lui rendre la monnaie de sa pièce en immobilisant son scooter avec ça, répondit Gilles en pointant le filet. Je vais boucher son pot d’échappement. Son moteur ne pourra plus évacuer les gaz brûlés et va s’étouffer. Est-ce que tu peux t’arranger pour l’éloigner de son scooter ?
— Cela sera facile de l’attirer mais plus difficile de le larguer. Il est scotch comme gars, hyper collant.
— Quand nous aurons fini, Valentin t’appellera au téléphone, comme si c’était ton père qui te commande de rentrer, d’ac ? Allez, vas-y, éloigne-le plus possible du parking.

— Dis-donc Val, tu as vu comme elle l’a vite harponné le bleuâtre ?
— C’est facile pour une jolie fille.
— C’est bien vrai qu’elle est jolie Emily.
— Elle l’entraine vers le magasin de sport semble-t-il. Elle a dû lui demander des conseils, je parierai qu’elle lui a demandé des conseils sur les chaussures de montagne, Elle est assez fine pour faire ça.
— Bon, allons-y. En arrivant près du scooter, je ferai semblant de me tordre une cheville pour donner le change à d’éventuels témoins. Tu te positionneras près de moi pour me masquer et hop, hop, hop, j’en mets le plus possible. Après ça, son engin n’aura plus la pêche !
— Il aura la patate ! rigola Valentin.
Il était près de midi quand Gilles, d’un coup de paume de la main, poussa une cinquième pomme de terre dans l’orifice d’échappement du scooter. Le tubercule se découpa en un cylindre qui vint pousser les précédents et une pomme de terre trouée que Valentin récupéra discrètement.
— C’est bon, je ne peux plus en mettre, sauvons-nous maintenant, commanda Gilles. Dès qu’on repère une poubelle, on jette le reste.
— OK, j’appelle Emily.
Il rappela le précédent SMS de leur amie et composa le numéro d’expédition.
— Oui ? répondit-elle presque immédiatement, dévoilant son impatience a être libérée de son travail de séduction.
— Allo, c’est papa, s’amusa Valentin.
— Oh, yes, je rentre tout de suite au chalet Dad !

Les trois amis, sous un soleil revenu, étaient réunis sur un banc près du mazot. Emily raconta aux deux garçons la suffisance et la vantardise du grand Maxime.
— Comment ? Il n’a pas réussi à te séduire ? ironisa Gilles.
— Ce n’est pas en parlant de soi qu’on intéresse une fille, expliqua Emily.
À cet instant, quasi simultanément, les trois smartphones des adolescents émirent chacun leur jingle d’arrivée d’une notification.
— J’ai un message de Charly, fit Gilles le plus rapide à dégainer.
— Moi aussi, ajouta Emily.
— Pareil pour moi, compléta Valentin, il propose une réunion de prérentrée à sa villa mercredi prochain à quatorze heures. Tu pourras venir Emily ?
— Ça te ferait plaisir ? demanda la jeune fille.
— Cela me ferait très plaisir de me retrouver avec tous mes amis.
— Il est prévu que nous redescendions à Saint Thomas dès lundi, donc j’y serai. Qu’est-ce qu’on fait à cette prérentrée, on révise ?
— Oui, absolument, se moqua Gilles. On révise notre style de natation dans le lac, notre façon de raconter nos vacances et celle de boire du coca, ça te va ?

Il était dix heures du matin le lendemain quand les deux garçons enfourchèrent leurs VTT regonflés.
— Merci pour votre accueil, madame Gilmore, dit poliment Gilles, au revoir Emily, à mercredi.
— Au revoir et merci pour tout Emilienne ajouta Valentin en écho, nous avons passé un bien intéressant séjour. Salut Emily. Allez Gilles, en route, passe devant.
— Quarante-cinq bornes mais que des descentes et du plat, c’est du gâteau. Si on passait devant le parking au scooter, ajouta-t-il quand ils eurent donné quelques coups de pédales. Je me demande où il en est le bleuet.
— Pas d’objection, mais dans ce cas il faut d’abord se payer la montée vers la rue commerçante. Tu vois, c’est ce que je disais hier, le plaisir d’une blague ou d’une vacherie, c’est de voir la tête de la victime. Nous n’échappons pas à la règle, surtout toi d’ailleurs !
Sur le parking, debout près de son engin sur béquille, le Maxime se grattait l’arrière du crâne. Gilles murmura à l’intention de Valentin :
— Continue puisqu’il te connait de vue, moi je m’arrête un instant pour déguster.
Il bloqua ses freins, fit un changement de direction sur place en soulevant par secousses orientées l’avant de son VTT puis, sans mettre pied à terre il redémarra en direction du scooter bleu près duquel il stoppa net, réussissant à tenir quelques secondes en équilibre avant de descendre de son vélo.
— Salut mec, qu’est-ce qui t’arrive ?
Maxime dévisagea un instant son vis-à-vis avant de consentir à répondre.
— J’en sais rien. Y n’veut plus démarrer.
— Pourtant cette marque-là d’habitude elle a la niaque, la pêche, la frite, la patate.
— D’hab oui mais maintenant ma batterie est nase.
— Tu as essayé de faire partir ton scoot sur la route en descente ?
— Ah non. Super idée. J’vais essayer.
— Bon, ben bonne bourre, salut ! s’amusa Gilles, pince sans rire.

— Qu’est-ce que tu lui as dit, questionna Valentin quand il fut rejoint par son ami.
— Je lui ai conseillé de le faire démarrer dans la pente, rigola Gilles.
— Là, tu en as rajouté une couche. Non seulement son engin ne démarrera pas mais il sera obligé de le pousser dans la montée pour revenir.
— Il n’a eu que ce qu’il méritait ce nul, oublions-le. Il nous reste une semaine de vacances, tu as prévu quelque chose ?
— Courir le long de la rivière, faire du vélo, me promener en forêt, nager dans le lac, organiser la rentrée…
— J’oublie ta dernière proposition, sinon le reste me va.