VALENTIN EN VACANCES

6. LES GENDARMES

La Mégane de la gendarmerie de Saint Thomas du Lac s’arrêta devant l’entrée du magasin en faisant crisser les pneus. Les brigadiers Guimard et Dufournet en sortirent.
— Que se passe-t-il ici ? demanda le premier à la vendeuse qui était venue à leur rencontre.
— Nous avons surpris des voleurs à l’étalage, monsieur le…
— Conduisez-nous, fit Guimard en passant quand même devant la jeune femme.
— Où est-il votre voleur ? poursuivit le brigadier Guimard qui sem-blait avoir pris l'ascendant sur son collègue. C'est lui ? continua-t-il en désignant Quentin.
— Lui et celui-là qui continue son cinéma au sol dans l'espoir de nous apitoyer, précisa le patron qui attendait, mains sur les hanches.
— Où est le fruit du larcin, que vous ont-ils volé ?
— Ils n'ont pas voulu se déshabiller pour qu'on vérifie mais on les a pris sur le fait avec un badge antivol démonté et un puissant aimant dans la poche.
— Qui avait quoi ?
— Celui-ci avait le macaron en main et celui-là le clou et un aimant. Tu peux arrêter tes simagrées, toi, ça ne prend pas non plus avec les gendarmes.
Valentin se releva lentement, trébucha sur deux pas et vint se placer devant le brigadier Guimard en se protégeant toujours l'oreille.
— Valentin ! Tu as volé quelque chose ? Toi ?
Le brigadier Guimard se retourna vers son collègue.
— Je crois qu’il faut appeler l’adjudant-chef, tu es d’accord ?
— Je m’en charge, répondit le brigadier Dufournet en retournant vers la voiture.
— Vous avez un local où nous serions au calme pour interroger ces jeunes gens ?
— Il y a mon bureau, derrière les caisses.
— Parfait. Installez un deux trois quatre cinq, six sièges et fermez le magasin dès que l’adjudant-chef Lemoine sera arrivé.
— Mais… Et mes clients ?
— Il y a d’autres clients ici ?
— Pas encore mais…
— Alors il n’y a aucun problème.

L’adjudant-chef Lemoine entra dans le magasin avec le sérieux commandé par son grade et sa fonction. Il fut introduit directement dans le bureau du directeur par la vendeuse, le brigadier Dufournet restant à la garde des voitures et Guimard dans le magasin.
— Monsieur l’adjudant-chef, commença le patron.
— Je vous demande un instant. Pourquoi ce jeune homme se tient-il l’oreille ? Vous avez mal ? demanda-t-il, vouvoyant volontairement Valentin.
Celui-ci se contenta de hocher affirmativement la tête en grimaçant.
— Voulez-vous voir un médecin ?
Valentin eut un nouveau geste d’acquiescement.
— Guimard, réquisitionnez tout de suite le SAMU, cria-t-il. Bien, maintenant, qui veut m’expliquer ? Monsieur ?
— Et bien ce matin ma vendeuse a repéré ces deux… ces deux jeunes qui naviguaient dans le rayon des…
— Des t-shirts, s’empressa la jeune femme.
— Et vous les avez vu voler quelque chose ?
— Euh, oui et non. Hier soir, en faisant mon petit inventaire, je me suis aperçue qu’il manquait trois habits, reprit la vendeuse. Ce sont des vêtements de qualité, vous comprenez, alors je vérifie toujours. Ce jeune homme était déjà venu hier, et aujourd’hui, il est revenu avec cet autre jeune homme. J’ai eu des soupçons et je les ai bien surveillés. Lui-là a essayé des t-shirts, il a finalement pris un polo puis un poncho et quand ils sont arrivés près des caisses, j’ai vu qu’il montrait à l’autre un macaron antivol. J’ai aussitôt appelé mon patron.
— Et vous avez bien fait, enchaina le directeur. Vous pouvez retourner dans le magasin, mademoiselle. Nous pouvons le rouvrir maintenant n’est-ce pas ? Je vais vous raconter la suite.
— C’est moi qui décide, restez là mademoiselle. Alors monsieur, ce vol ?
— Je leur ai demandé de se déshabiller pour constater le larcin, mais ils ont refusé.
— À juste titre, vous n’avez pas autorité pour exiger cela. Ensuite ?
— Euh, je leur ai aussi demandé de vider leurs poches, ce qu’ils ont fait et cet individu avait le clou correspondant au macaron antivol et possédait un puissant aimant. C’est une technique…
— Je connais les techniques des voleurs, ensuite ?
— Et bien je leur ai intimé de rester là en attendant votre arrivée.
— Pourquoi cet enfant a-t-il mal à l’oreille ?
— Je voulais le faire assoir sur la banquette derrière les caisses et en me résistant il est tombé.
— C’est faux ! s’écria Quentin. Il a d’abord donné une violente gifle à mon copain.
— Comment t’appelles-tu et quelle est ta version des faits ?
— Je me nomme Quentin Ouvrard et je venais acheter quelques affaires pour partir en randonnée avec mon ami. J’ai essayé deux polos en cabine et j’en ai retenu un.
— Celui que tu as sur toi ?
— Non, celui-là c’est un vieux et je n’ai rien en dessous, compléta Quentin en soulevant son vêtement. Le nouveau se trouve sur la banque des caisses avec le poncho que je voulais également acheter. Dans la cabine d’essayage, j’ai trouvé une rondelle d’antivol en plastique blanc et je voulais tout simplement la remettre à la caisse au moment de payer.
— Le SAMU arrive mon adjudant-chef, dit le brigadier Guimard après avoir toqué puis entrebâillé la porte.
— Allez ouvrir mademoiselle et refermez juste après. Trouvez un lieu où ce jeune homme puisse être examiné au calme. Allez-y, dit-il en s’adressant à Valentin. Revenons à notre affaire, monsieur, vous maintenez n’avoir aucunement molesté ce jeune homme ?
— Absolument et pourtant ces petits voleurs mériteraient bien chacun une bonne correction.
— C’est faux, cria encore Quentin. Il a tiré violemment Valentin par le bras puis il lui a mis une énorme baffe sur l’oreille.
— Petit menteur !
— Mademoiselle, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
— Heu, je ne sais pas, je devais bloquer la porte pour éviter leur fuite…
— Valentin n’est pas un voleur et moi non plus ! insista Quentin.
— La parole d’un honnête commerçant vaut plus que celles de ces…
— Toutes les paroles se valent si elles disent la vérité, coupa l’adjudant-chef. Décrivez-moi les objets volés.
— Il faudrait fouiller l’autre.
— Je vais vérifier tout ça. Ah, docteur, vos conclusions à propos du garçon que vous venez d’examiner ?
— Il a reçu un choc violent sur le pavillon de l’oreille droite, le lobe est tuméfié et je soupçonne une petite lésion de l’oreille moyenne au niveau du tympan.
— Cela a-t-il pu être provoqué par une chute sur le sol du magasin ?
— Pour le traumatisme externe, peut-être, mais pour la lésion interne, sûrement pas. Il y a eu une surpression violente qui a ouvert un peu la membrane acoustique et provoqué un petit saignement.
— Cela a-t-il pu être provoqué par une gifle ?
— Oui, sans conteste.
— Pouvez-vous dater l’action ?
— Il y a moins d’une heure, c’est tout ce que je peux dire.
— Va-t-il y avoir des séquelles ?
— À son âge, tout se guérit mais il risque d’avoir des acouphènes pendant un certain temps.
— Je vous remercie docteur. Envoyez dès que possible votre rapport à la gendarmerie de Saint Thomas. Valentin, venez ici. Pouvez-vous lever votre t-shirt ?
Sans répondre, Valentin s’avança, ôta complètement son vêtement et parut torse nu.
— Donc apparemment ces jeunes n’ont rien volé et vous monsieur lui avez donné une violente gifle sans raison.
— Mais non, il a très bien pu prendre un coup sur l’oreille avant d’entrer dans le magasin !
— Mademoiselle, votre témoignage ?
— Pour la gifle, je ne sais pas, je n’ai rien vu puisque j’étais en train de fermer le magasin pour les empêcher de sortir.
— Rien entendu non plus ?
— J’ai entendu crier mais je ne sais pas pourquoi.
— Valentin, niez-vous avoir été en possession d’un aimant pouvant servir à désolidariser les deux pièces d’un antivol ?
— Absolument pas monsieur, heu, mon adjudant-chef, l’aimant ou plutôt ce double aimant est bien à moi. Je l’ai récupéré en étudiant la composition d’un vieux disque dur que j’ai démonté hier après-midi. Il vous sera possible de vérifier l’heure en questionnant mes grands-parents.
— Et le clou-punaise en ta possession, hein ? accusa encore le patron du magasin.
— Oui, et bien je crois qu’il vient effectivement de chez vous. Hier, dans la cabine au moment où j’essayais mes t-shirts, j’ai senti que je marchais sur quelque chose mais je n’ai pas su sur quoi car je n’ai rien vu à ce moment-là. Ce n’est qu’une fois arrivé à la maison que j’ai senti que quelque chose me piquait le pied et c’était cette espèce de clou.
Valentin se déchaussa prestement et montra sa plante de pied meur-trie d’un petit trou auréolé de rouge.
— Vous monsieur, vous nous avez agressé sans preuve et vous m’avez frappé sur l’oreille alors que je n’avais rien fait !
— Je ne t’ai pas frappé, juste un peu secoué en te tenant le bras. On ne va pas en faire une histoire.
— Cet homme ment, mon adjudant-chef, intervint Quentin, il a donné une très méchante claque sur l’oreille de Valentin, je l’ai vu.
— C’est toi le menteur !
— Mon adjudant-chef, voici mon téléphone, pouvez-vous regarder la dernière vidéo en date ?
Le gendarme hocha lentement la tête, regarda Valentin qui caressait doucement son oreille avec un petit sourire pincé, puis pianota le smartphone de Quentin. Au bout d’une demi-minute de visionnage, l’adjudant-chef monta le son de l’appareil et on entendit distinctement la voix de Valentin : « Vous n’avez pas le droit de m’insulter ni de me donner d’ordres... » bientôt suivi du bruit sec d’une forte gifle.
L’adjudant-chef Lemoine releva sa tête de baroudeur, regarda sévèrement le directeur du magasin et articula d’un ton glacial :
— Vous avez entendu ? Je vous attends demain matin à la gendarmerie pour une déposition complète. Quentin, je garde ce téléphone pour recopier cette vidéo qui servira de pièce à conviction le cas échéant, vous récupèrerez votre appareil demain matin. Valentin, vous raconterez tout à votre responsable et s’il désire porter plainte pour sévices sur mineur, qu’il se présente également à la gendarmerie. Quentin, si vous désirez toujours votre polo et votre poncho, voyez avec cette demoiselle pour le paiement.
— Ne peut-on pas régler cette affaire au mieux des intérêts de chacun ? tenta le directeur inquiet et mal à l’aise.
— Il fallait y penser avant. Maintenant l’enquête est lancée, elle ne revient pas en arrière. Vous serez probablement inculpé d’accusations calomnieuses, séquestration, coups et blessures. Vous pourrez vous estimer heureux si vous vous en tirez avec seulement une forte amende car si le responsable de ce jeune porte plainte, la prison pour violences volontaires sur mineur n’est pas exclue. Vous allez nous accompagner à la gendarmerie pour que nous établissions le procès-verbal.
Les jeunes, voulez-vous que je vous fasse reconduire ?
— Non merci mon adjudant-chef, nous avons nos VTT, répondit Valentin.

— Quelle histoire ! s’exclama Quentin une fois qu’ils furent sortis. Tu as encore mal à ton oreille ?
— Elle bourdonne encore un peu. J’en ai beaucoup rajouté pour piéger cette brute.
— L’adjudant-chef est bien entré dans le jeu, tu ne trouves pas ?
— Il nous connait, enfin moi surtout et sait bien que je ne suis pas un voleur. Les brigadiers aussi ont bien réagi en appelant Lemoine.
— Je ne comprends pas comment il se fait qu’il y avait un antivol démonté qui trainait dans la cabine.
— La vendeuse a déclaré qu’il y avait eu des vols hier. Je suis presque sûr qu’ils ont eu lieu quand j’étais dans le magasin. J’essayais un habit quand j’ai entendu quelque chose de léger qui rebondissait au sol. Je n’ai pas su de quoi il s’agissait sur le moment mais à la réflexion, c’était probablement la punaise de l’anti-vol. Elle a roulé jusque dans ma cabine d’essayage. J’ai marché dessus et elle s’est plantée dans ma basket. Le voleur devait être dans la cabine juste à côté de la mienne. J’ai ensuite entendu un autre bruit que je n’ai pas pu identifier sur le moment. C’était un bruit comme ça :
Valentin sortit ses aimants de la poche de son bermuda, les désolidarisa avec peine puis les rapprocha. Les pièces en se soudant émirent un petit « clic », le même qu’il avait entendu la veille.
— Donc on peut faire sauter un antivol avec un aimant ?
— Je ne connais pas la technique mais c’est à cause de mes aimants qu’ils nous ont arrêtés, donc, oui, c’est probable.
— Ce qui me semble bizarre, c’est que les portiques détecteurs aux portes du magasin n’aient pas détecté tes aimants, ni ceux des voleurs.
— Peut-être que les deux miens, en étant collés l’un à l’autre, annulent leurs champs magnétiques.
— Et pour le voleur ?
— Deux hypothèses : un, il procède volontairement comme je viens de faire involontairement, ou deux, son aimant est toujours dans le magasin, collé quelque part sur un support métallique, peut-être même dans la cabine d’essayage à côté de celle que j’ai utilisée, d’où le « clic » que j’ai entendu hier.
— Tes grands-parents vont porter plainte ?
— Ma grand-mère va vouloir, moi je ne sais pas. Je préfèrerais qu’une solution amiable soit négociée. Allez mon vieux, pensons plutôt à nos vacances. Nous allons nous régaler.