PETITS CONTES ÉCOLOGIQUES

17. LA BONNE IDÉE DE MONSIEUR LE PARVENU

onsieur Le Parvenu était heureux : il était persuadé d'avoir acheté la meilleure parcelle de terrain du lotissement de la colline, la plus grande et la mieux placée !
Pensez donc : juste en bordure de la zone verte inconstructible.
Pas de voisin direct pour lui gâcher la vue sur la mer Méditerranée qui scintillait dans le lointain et pas de grande route à proximité pour troubler la tranquillité des lieux.
Monsieur Le Parvenu était très fier de son mas provençal tout neuf avec son toit de tuiles romaines à quatre décrochements et ses murs crépis à l'ancienne, aux agréables teintes chaudes.


Mais ce qui le rendait le plus heureux, c'était la piscine que les ouvriers venaient tout juste d'achever : une jolie piscine en forme de haricot, carrelée de céramique bleue et jaune, avec un plongeoir et, s'il vous plaît, deux échelles de remontée !
Bon, il n'y avait pas encore d'eau dedans, puisque les ouvriers avaient dit : « Pas avant huit jours surtout ! »
Mais monsieur Le Parvenu s'y voyait déjà, barbotant, s'ébrouant, faisant la planche au soleil.
Comme ses nombreux amis allaient l'envier !


Avant d'inviter ceux-ci à la pendaison de crémaillère, il voulait que sa propriété soit définitivement achevée et, pour ce faire, il lui fallait encore s'attaquer aux buissons et aux herbes sèches qui défiguraient la belle ordonnance de son terrain.
Monsieur Le Parvenu avait l'intention de s'y mettre dès le lendemain.
Lui-même...
Sans l'aide d'une entreprise paysagiste !
Il avait sa petite idée sur la meilleure technique à employer pour y parvenir rapidement... et sans bourse délier !
Le terrain avait en effet un aspect encore bien sauvage avec les épineux buissons de ronces, de cistes et de salsepareilles qui poussaient dans les herbes sèches du dernier hiver.


Mais ce que ne voyait pas le bienheureux homme, c'est l'importante faune de locataires qu'il abritait bien malgré lui dans sa propriété et la vie intense qui régnait dans ses taillis : fourmis, sauterelles, carabes dorés et cétoines vertes, des coccinelles, des araignées, un inoffensif scorpion d'Europe, d'innombrables escargots plats, quelques loches voisinant avec les vers de terre, des musaraignes, une vipère, un lézard vert et même, vivant non loin de là, un couple de tortues des Maures, sans compter les mésanges, pinsons et chardonnerets qui nichaient alentour, seuls habitants que monsieur Le Parvenu aurait pu entendre et apercevoir s'il avait été plus matinal.


Le lendemain matin, les prémices d'une petite bise rafraîchissaient agréablement l'air provençal, ajoutant à la luminosité du printemps.


Monsieur le Parvenu prit la faux toute neuve qu'il venait d'acheter, passa et repassa la pierre à affûter mouillée sur le tranchant de l'outil, comme il l'avait vu faire par un paysan lors d'un pique-nique à la campagne, et commença le fauchage des herbes de sa propriété.
Il ne se doutait pas de la terreur que son travail déclenchait parmi les occupants de ces lieux.
Les seuls animaux qu'il put distinguer furent les escargots collés sur les tiges d'asphodèles qui tombaient en même temps que les buissons qu'il fauchait.
Monsieur Le Parvenu travailla toute la matinée, de dix heures à midi.
Quand vint l'heure du repas, les reins, le dos et les bras douloureux, la nuque raide, monsieur le Parvenu contempla néanmoins avec satisfaction l'énorme accumulation de végétaux coupés, fruit de son labeur.
Il regarda ensuite avec une petite grimace la paume de ses mains que gonflaient les soufflettes de ses premières ampoules prolétariennes.
Sa grimace s'accentua en observant sur le sol les dures et rampantes salsepareilles griffues qui voisinaient encore avec les ronces et l'herbe dure du coteau.
Le fil de la faux était émoussé par les tiges ligneuses des buissons de cistes qu'il avait éradiqués, et peut-être aussi par les cailloux que, malgré toute son adresse, il n'avait pu éviter.


Monsieur Le Parvenu haussa avec découragement ses épaules courbatues et alla s'installer dans une chaise longue au bord de sa piscine sans eau.
En faisant travailler son intelligence, il allait bien trouver une solution moins fatigante...
Dans un louable souci d'intégration aux mœurs provençales, il but avec délice un verre d'apéritif anisé, après quoi il dévora d'un féroce appétit de travailleur manuel le repas que son épouse lui avait amoureusement préparé.
Au loin, tout là-bas, le bleu outremer de la Méditerranée commençait à se ponctuer de petits moutons blancs mais, à flanc de coteau, on ne pouvait percevoir qu'une rafraîchissante petite brise.
Après le repas de midi, bien installé sous son parasol publicitaire, il s'octroya une petite sieste reconstituante pendant laquelle lui vint la bonne idée : l'écobuage !


Monsieur Le Parvenu gratta une allumette dans les herbes sèches et suivit d'un œil satisfait la progression des petites flammes qui mangeaient petit à petit l'indésirable végétation, consumant les épineuses tiges tordues des ronces et des salsepareilles.
Les premières victimes de monsieur Le Parvenu furent les araignées et les insectes rampants dont les petites pattes se recroquevillaient sous l'action des flammes ; les escargots résistaient un peu plus longtemps avant d'expirer dans l'étuve de leur bave mousseuse.


Quelques sauterelles réussirent bien à s'échapper mais la plupart, comme les autres insectes volants, retombaient dans les flammes, ailes grillées. Monsieur Le Parvenu ne vit pas non plus le scorpion qui, vite rentré au plus profond de sa galerie souterraine sut résister à la chaleur, mais il eut un soubresaut de peur et de dégoût en observant la vipère dévalant la pente de son terrain.

« Sale bête ! J'aurais pu me faire piquer et en mourir ! J'ai vraiment bien fait de mettre le feu » se dit le nouveau propriétaire.
C'est la combustion d'une touffe d'herbes un peu plus importante qui fit s'envoler une brindille enflammée que la brise poussa vers le tas de végétaux coupés. La flammèche rougeoya un instant puis sembla s'éteindre.


Satisfait de son travail, déshydraté par la chaleur dégagée, monsieur Le Parvenu rentra dans sa maison chercher une boîte de bière pour étancher sa soif. Il ne vit pas le mince filet de fumée bleutée s'élever du tas de cistes accumulés.
Quand il ressortit, les flammes montaient déjà à plus de deux mètres. Les étincelles, emportées par le mistral naissant, s'envolaient de plus en plus haut, de plus en plus loin. Un autre foyer s'alluma dans le maquis de la zone verte, cuisant dans leurs carapaces les trop peu rapides tortues des Maures, rattrapant et rôtissant les pourtant véloces musaraignes.
Ce second foyer en déclencha un troisième à l'orée du bois. Il ne fallut pas plus de dix minutes pour que les premiers pins parasols centenaires se transforment en gigantesques torches qui grillèrent les cigales sur les troncs et les oiseaux surpris au nid en pleine couvaison.


Courageusement, monsieur Le Parvenu, visage en sueur noirci par la fumée, courait partout avec son tuyau d'arrosage trop court et aspergeait de petites giclées anémiques les buissons incandescents.
Les hydravions bombardiers d'eau des pompiers de Provence, prévenus par... Dieu sait qui, car monsieur Le Parvenu, trop occupé par son action de sauveteur bénévole n'y avait pas pensé, commencèrent leur ronde salvatrice.
Cependant, gênés par les énormes volutes de fumée et le mistral soufflant en altitude, par deux fois les héroïques pilotes manquèrent leur cible infernale et larguèrent l'eau salée de leur soute au-dessus de la piscine de monsieur Le Parvenu avant de réussir, tard dans l'après-midi, à éteindre l'incendie.


Face à la mer bleu outremer qui scintillait dans le lointain, Monsieur Le Parvenu, visage et mains noirs comme le sol de son terrain, avait de quoi être content, il avait fait d'une pierre trois coups : il n'y avait plus une seule herbe sauvage dans toute sa propriété, plus aucun animal nuisible n'allait de longtemps troubler la sérénité de ses journées et il possédait désormais la seule piscine d'eau de mer de toute la colline !