Vers le vingt juillet, quinze jours après l’appel téléphonique d’Adrien à mademoiselle Nadège Valet, il n’avait toujours rien reçu des documents d’enquête.
Inquiet pour l’établissement de la défense de son beau-père, énervé par l’indolence du juge Baujour, il imagina plusieurs façons d’accélérer l’envoi des procès-verbaux concernant l’affaire mais il finit par conclure que des réclamations tous azimuts ne serviraient qu’à irriter davantage le juge et probablement retarder encore l’envoi espéré. Il décida finalement d’envoyer un MMS en privé à la greffière et jolie secrétaire.
Il fit une recherche sur internet, captura une photo libre de droits représentant une touffe de myosotis et l’expédia au numéro de mademoiselle Valet avec en signature : Adrien Lacourt, Defence Lawyer.
« Elle est fine, elle va comprendre » sourit-il.
En réponse, il reçut vers midi et demie ce même jour une jolie pensée marron et jaune ainsi qu’une balsamine rose mais aucun texte ni document en accompagnement. « Bien sûr qu’elle a compris le sens de mon message mais que veut-elle me dire ? »
Une rapide recherche internet sur le langage des fleurs l’éclaira : J’y pense pour la pensée et soyez patient pour la balsamine.
Une semaine après leur poétique échange, il reçu en recommandé une épaisse lettre en papier kraft contenant la documentation demandée. Il expédia aussitôt la photo d’un champ de tulipes à Nadège Valet avec en texte : Bonnes vacances.
Pendant une semaine il se pencha sur les procès-verbaux, les commentaires et les conclusions des experts.
Il examina à la loupe les photos accompagnants les comptes-rendus, compara celles-ci à ses propres photos.
Méthodiquement, il réalisa des dossiers traitant les divers aspects de la défense qu’il voulait établir.
Procès-verbaux de la gendarmerie de Saint Jorioz, procès-verbaux de la gendarmerie de Guignicourt, compte-rendu d’expertise balistique, compte-rendu d’autopsie, rapport des psychiatres ayant examiné Brigitte Depierre, rapport établissant la pleine responsabilité de Yannick Lefevre, témoignages de voisins le jour des faits, témoignages de moralité sur le docteur Depierre.
Il plaça dans un dossier spécial la décision de mise en accusation de Yannick Lefevre prise par la chambre de l'instruction à la suite de son appel contre la décision du juge Baujour ainsi que sa convocation au palais de justice de Laon, le procès devant débuter le lundi dix-neuf septembre et durer toute la semaine.
Au fur et à mesure qu’il relisait les pièces du dossier, sa stratégie de défense s’affinait. Il avait maintenant l’absolue certitude de l’innocence de son beau-père et envisageait sérieusement une victoire totale.
Prévoir un procès à six cents kilomètres de chez soi quand viennent les vacances scolaires et qu’on ne connait personne sur place n’est pas chose évidente.
— Flora, quand as-tu prévu de prendre tes congés d’été ?
— Je peux les caler sur tes obligations.
— J’aimerais que tu sois à Laon avec moi au moment du procès. C’est important pour ton père de se sentir soutenu et aussi pour moi car j’aurai beaucoup de travail et j’aurai du mal à m’occuper de l’intendance. Personnellement, il faudra que je sois sur place au moins une semaine avant pour recevoir la liste des témoins que le ministère public va présenter ainsi que les noms des experts appelés à rendre compte des examens techniques. Il faudrait aussi que je puisse produire une liste de témoins de la défense mais je n’en ai aucun à présenter. Ne t’inquiète pas, ton papa n’en aura pas besoin.
— Rappelle-moi les dates du procès.
— Pour nous, sauf coup de théâtre, du dimanche dix-huit septembre au dimanche vingt-cinq et pour moi une semaine avant.
— Le mieux serait de louer un petit appartement meublé à partir du dix septembre jusqu’à la fin du mois. Tu veux que je m’en occupe ?
— Tu es adorable. Si tu peux trouver quelque chose dans la ville haute, ce serait top.
— Je vais chercher sur les sites de location en ligne. De ton côté, essaie de décider tes parents à venir vivre chez nous pendant cette quinzaine pour s’occuper des enfants.
— Je vais les appeler avant qu’ils programment leur sortie d’automne.
— Tu vas sortir mon père de tout ça, n’est-ce pas ?
— Écoute Flora, je pense avoir repéré quelques détails dans les procès-verbaux qui peuvent vraiment faire la différence.
— Tu vas communiquer tes observations au juge d’instruction ?
— L’instruction est terminée. C’est maintenant le substitut du procureur qui est en charge de rédiger l’acte d’accusation, donc les détails que j’ai repérés, je les garde pour tenter de démolir ce qu’il va présenter comme des preuves pendant le procès. Je m’en servirai lors de l’audition des témoins.
— Nous savons toi et moi que papa n’a pas pu faire ça. Comme ce n’est pas lui, c’est qui ?
— Pour l’instant, je ne peux rien affirmer sinon que je pense qu’il s’agit d’une machination destinée à le faire accuser.
— Pourquoi lui ? Il y a deux mois il ne savait même pas que cette Brigitte dont il n’avait pas de nouvelles depuis cinquante ans et qu’il n’avait pas revue habitait Guignicourt. Je regrette vraiment de l’avoir poussé à s’inscrire sur ce site.
— Tu n’es pas responsable Flora. Personne n’aurait pu prévoir. Yannick était là-bas au mauvais moment.
— Que vas-tu faire maintenant ?
— Je vais essayer de me procurer à l’avance la liste des jurés potentiels pour cette session du tribunal.
— C’est important, ça ?
— Extrêmement. Je veux pouvoir récuser les médecins, les chasseurs, les habitants de Guignicourt et des environs.
— Pourquoi eux ?
— Les habitants de Guignicourt ont vraisemblablement été un jour ou l’autre patients du toubib, leur avis ne sera donc pas forcément impartial. Les collègues et les chasseurs parce qu’ils ont des affinités de pratique avec lui et je ne veux pas d’esprit de corps.
— Combien peux-tu en récuser ?
— Quatre. Le plus compliqué est d’avoir cette liste suffisamment à l’avance pour se renseigner sur ces personnes.
— Comment vas-tu faire ?
— La greffière secrétaire du juge Baujour semble avoir un faible pour moi, je vais lui demander ce qu’elle peut faire. J’ai des doutes car ce n’est plus du domaine de l’instruction.
— Tu as séduit une greffière vieille et poussiéreuse ?
— Elle doit avoir trente ans, elle est jolie, blonde, intelligente et très fine.
— Holà, holà, ce n’est pas un bon plan, ça !
— J’aime quand tu es jalouse, cela prouve que tu tiens à moi. Sois sans crainte ma Flora.
— Hum, oui, bon.
— Maintenant que les dates sont fixées, je vais retourner à Laon pour voir Yannick à la prison, tenter de lui remonter le moral et aussi le briffer sur la manière de se comporter face aux juges et aux jurés. Le président de la cour d’assises, donc le juge qui dirigera les débats, doit procéder à l’interrogatoire de Yannick cinq jours au moins avant l’ouverture du procès. Cela va se passer à la prison avec un greffier mais en dehors de ma présence.
Avant ça, je veux mettre ton papa au courant du déroulement de cet interrogatoire. Bien sûr il devra dire la vérité et signer le procès-verbal.
Il faudra qu’il présente bien vestimentairement pendant le procès. Costume léger, je le verrais bien en gris clair, chemise blanche, cravate unie grenat. Tu penses trouver ça dans sa penderie ?
— S’il n’a pas ce qu’il faut, je lui achète et le fais mettre à sa taille.
— Très bien. Pour monter à Laon, moi je prendrai la BMW. Tu comptes venir en train ou avec ta DS3 ?
— Je crois que je te rejoindrai en train la veille du début du procès. Tu pourras venir me chercher à la gare ?
— Ce serait mieux que tu prennes un taxi. Je compte travailler jusqu’au dernier moment.