8. Retour
Elle était repartie de Laon vers dix-neuf heures la veille. Ils avaient convenu de continuer à correspondre par courriels, admis aussi la possibilité de, pourquoi pas, se revoir ultérieurement si l’occasion se présentait. Elle avait largement dépassé l’horaire qu’elle s’était fixé, elle n’avait pas fait les courses pour lesquelles elle était venue à Laon, mais ne semblait pas s’en soucier.
Après une nuit agitée de rêves dérangeants dans lesquels Agnès et Brigitte à tour de rôle l’attiraient et le repoussaient, Yannick se sentit un peu groggy le lendemain matin au réveil. Un coup de rasoir, une douche fraiche et un bon petit déjeuner plus tard, il s’estima prêt à reprendre la route.
Comme le jour de son arrivée, il opta pour la grande départementale D1044 en direction de Reims. Peu avant Berry au Bac un panneau annonçant le prochain rond-point indiquait, en troisième sortie : D 925 Guignicourt. Il eut envie de connaitre les lieux de vie de son ancienne amie. Sans plus réfléchir, il mit son indicateur de direction à gauche puis, après trois quarts de tour du rond-point, il s’engagea à droite.
Sous le soleil de mai, le village de Guignicourt, niché dans la verdure du bord de l’Aisne, était calme, plutôt agréable. Il sillonna les principales rues du village. La petite église au clocher carré avait le charme de la France d’autrefois, les commerces essentiels étaient là mais…
« Je préfère quand même et de loin mon village de Saint Jorioz » se dit-il.
« Où Brigitte habite-t-elle déjà ?
En fait elle ne me m’a pas indiqué son adresse et celle-ci n’est pas mentionnée dans sa fiche profil. Alors comment… »
Il allait reprendre la route en sens inverse quand une idée lui vint. « Elle m’a dit que son mari est toubib et se nomme heu… Delpierre je crois. Dans un petit bourg comme Guignicourt, il doit être connu, il suffit de demander. »
Yannick gara sa voiture sur le petit parking de la mairie vers laquelle il se dirigea. Un escalier d’une douzaine de marches menait à la porte d’entrée principale mais celle-ci était close. Une simple feuille imprimée scotchée à l’intérieur d’une vitre indiquait les jours et heures de permanence.
Personne pour le renseigner.
Déçu, il avait déjà ouvert la portière chauffeur de sa voiture pour repartir quand il aperçut un homme, serviette de cuir à la main, se diriger vers l’escalier d’entrée de la mairie.
— Pardon monsieur, excusez-moi de vous importuner, j’aurais besoin d’un renseignement.
— Bonjour monsieur, que désirez-vous savoir ?
— Connaissez-vous l’adresse du docteur Delpierre ? Je désire le contacter.
— Delpierre ? Vous voulez dire Depierre.
— Oui, c’est ça.
— Son domicile ou son cabinet ?
— Son domicile.
— Il possède un pavillon au Clos du Château.
— Et pour s’y rendre ?
L’homme jeta un coup d’œil à la plaque minéralogique de la C4, hocha affirmativement la tête en signe de compréhension.
— Vous êtes représentant ?
Yannick souriant eut le même geste affirmatif que son interlocuteur.
— Prenez la rue de la Libération par-là, dit-il en faisant un geste vers l’ouest, passez sous le pont du chemin de fer puis deuxième à droite.
— Mes remerciements monsieur. Bonne journée.
— Merci. Au revoir.
Il redémarra sa C4, s’engagea avec prudence dans la rue indiquée. L’homme s’était montré précis dans ses renseignements, Yannick n’eut aucun mal à trouver l’endroit recherché.
Les maisons du Clos du Château, toutes relativement neuves, étaient de bonne facture, rien à voir avec un simple lotissement. Yannick roula au ralenti dans la première impasse, examina chaque maison. Un rond-point lui permit de facilement faire demi-tour. Il suivit ensuite très lentement la seconde rue desservant le Clos, rue également terminée par un rond-point. Une maison un peu plus importante et plus cossue que les autres attira son attention. Nettement en retrait, on y accédait par un portail ouvrant sur une allée gravillonnée. Une 3008 blanche y stationnait. Yannick stoppa complètement, il déconnecta et sortit le smartphone de la fixation de parebrise et prit une photo de la maison.
Derrière lui, une voiture fit un appel de phares, une Dacia s’impatientait. Il leva une main en signe de compréhension, avança de quelques mètres en serrant le côté et mit son clignotant pour inciter l’autre voiture à le dépasser puis ayant reconnecté le smartphone il repartit vers la sortie du Clos du Château.
Quelques kilomètres plus loin sur la droite de la D925, un panneau indicateur de couleur bleue le renseigna : A26 Reims Laon péage. Il actionna le clignotant et s’engagea sur la bretelle d’accès de l’autoroute des Anglais. Un peu plus loin, un autre panneau informateur indiqua : Lyon 506 km. Il y avait très peu de circulation. Soucieux de ne pas commettre d’infraction, il cala le régulateur de vitesse à 120, alluma le poste de radio sur France Musique et se prépara à un long trajet monotone.
Dans sa tête repassaient les images de la veille. Le soin que Brigitte avait mis à sa toilette, ses vêtements, son maquillage étudié qui lui enlevait dix ans, son parfum rappelant d’odeur du chèvrefeuille, sa façon très douce de toucher d’abord son avant-bras avant de lui poser une question, l’absence de chaleur quand elle avait parlé de son mari.
« Je crois que sa vie n’est pas très heureuse. Elle, la citadine, obligée de résider à la campagne avec un mari pas très empressé qui semblait avoir eu plus besoin d’une secrétaire que d’une compagne. Un malentendu il y a près de cinquante ans et deux vies ont été radicalement changées. » soupira-t-il.