VALENTIN ET COMPAGNIE

10. CONFRONTATION

Il était dix sept heures ce même jour quand une voiture de gendarmerie s’arrêta devant la maison des grands-parents de Valentin. Isabelle était en train de couper les roses fanées de son parterre.
— Bonjour madame Valmont, Valentin est-il là ? demanda le brigadier Guimard par sa fenêtre de portière.
— Oui, il vient de monter dans sa chambre, vous désirez lui parler ?
— C’est l’adjudant-chef Lemoine qui a besoin de le voir.
— Valentin a fait quelque chose de mal ?
— Étant donné le sourire de l’adjudant chef quand il m’a donné l’ordre, je pense qu’il s’agit de quelque chose d’anodin.
— Tout de même, il envoie une voiture officielle pour le chercher, il faut que nous l’accompagnions ?
— Comme vous voulez madame mais l’adjudant-chef a dit que ce n’est pas nécessaire.
— Bon, je vous l’appelle. Valentin ?
— Oui Za ?
— Monsieur Lemoine veut te voir.
— Je descends.
« Il n’a pas été bien long pour me retrouver et porter plainte, l’animal » pensa Valentin, « il doit-être vraiment en colère ». Il sortit son petit sac à dos d’un placard, y fourra son smartphone, une clé USB, deux tirages photographiques sur papier, un autre papier plié en deux et descendit quatre à quatre l’escalier.
— Ah, bonjour brigadier Guimard, l’adjudant se trouve face à une enquête difficile et il a besoin de moi ? plaisanta-t-il.
— Il a rendez-vous avec un monsieur de la « Haute » et il veut que tu sois là, répondit sérieusement le brigadier.
— Bon, et bien allons-y. À tout à l’heure Za.

Dès leur arrivée, le brigadier Guimard introduisit Valentin dans le bureau de l’adjudant chef. Face à celui-ci, à l’étroit sur une chaise, se trouvait l’irascible nouveau propriétaire de la belle villa du bord du lac.
— Bonjour mon adjudant-chef, émit Valentin avec son plus franc sourire.
— Bonsoir Valentin. Je te présente monsieur Marceau Dubois de la Capelle mais peut-être vous connaissez-vous déjà ?
— Bonsoir monsieur, je m’appelle Valentin Valmont, compléta Valentin avec un autre sourire, un peu ironique cette fois.
— Monsieur Dubois de la Capelle a à se plaindre de toi et de tes amis, Valentin. Surtout de toi. Nous vous écoutons monsieur Dubois de la Capelle.
— Et bien monsieur le... , cet individu non seulement s’est rendu coupable de violation de propriété privée, de ma propriété, mais aussi d’insultes à mon égard ainsi qu’au reste de ma famille. Il s’est également amusé avec ses amis à projeter massivement de l’eau du lac sur ma personne.
— Valentin ?
— Rien de tout ceci n’est vrai, mon adjudant-chef.
— Hum, bon, oui... nous allons devoir procéder par ordre. Monsieur Marceau Dubois de la Capelle t’accuse de violation de propriété privée en l’occurrence d’un ponton sis sur le lac face à son domicile, est-ce exact ?
— Tout à fait exact en ce qui concerne ma présence et celle de mes amis sur ce ponton.
— Ce ponton est-il marqué privé, Valentin ?
— Absolument et plutôt deux fois qu’une !
— Vous voyez monsieur le... , il reconnaît les faits.
— L’accès à ce ponton est-il barré par un portail ou une chaîne ?
— Il y a bien une chaîne rouillée mais elle est inopérante puisqu’elle n’a pas de second point d’attache. Elle pend à un piquet qui porte aussi la pancarte « ponton privé ». Tenez voici une photo que j’ai prise hier matin, compléta-t-il en tendant une épreuve d’imprimante à jet d’encre, elle montre bien les deux inscriptions, le ponton ainsi qu’une bouée jaune que Anne-Sophie, la fille de monsieur, a affirmé leur appartenir.
— Est-ce bien votre ponton monsieur ?
— Absolument, mon ponton et ma bouée d’amarrage.
— C’est que c’est très ennuyeux monsieur Dubois de la Capelle, voyez-vous, ces indications « privé » ainsi que la présence de cette bouée ne sont pas légales, nouvelle réglementation du 7 juin deux mille seize.
— Comment pas légales ?
— Vous l’ignoriez ?
— Tout à fait !
— Seul un panneau blanc de dix sept centimètres sur onze, portant les mentions « AOT numéro tant, usage privatif » vissé au sol au début du ponton est autorisé. Sachez aussi que cette autorisation n’est pas restrictive : sauf motif professionnel ou de sécurité, vous ne pouvez pas interdire l’accès du public au ponton. J’ajoute que cette bouée de mouillage devra être retirée dans les plus brefs délais au profit d’une de forme et de couleur réglementaires dûment enregistrée en AOT, si toutefois cette autorisation est accordée.
— C’est à dire que je viens seulement de prendre possession de ma nouvelle villa et du ponton qui va avec, vous comprenez.
— Le ponton étant sur le domaine public, il appartient au domaine public. Il peut et doit être démonté sur simple décision administrative. Donc ces jeunes gens étaient parfaitement dans leur droit en occupant temporairement ce ponton dans un but de baignade puisqu’il n’y a aucune interdiction légale à ce sujet à cet endroit là.
— Admettons que je n’étais pas au courant des dernières modalités de cette loi sur le domaine public, il n’en reste pas moins que ces jeunes nous ont insultés, moi et ma famille.
— Est-ce vrai Valentin ?
— Absolument pas. Hier quand j’ai vu le fils de monsieur, Charles-Henri je crois, je l’ai invité à nager avec moi, il m’a traité d’ahuri et de complètement bouché. De même, ce matin, la fille de monsieur, heu Anne-Sophie a été conviée par mes amis et moi à nager avec nous, elle m’a traité de gogol. Quant à moi, je n’ai usé d’aucun mot grossier ou ordurier à l’encontre de qui que ce soit.
— Vous persistez monsieur ? questionna l’adjudant-chef.
— Parfaitement, ils m’ont traité de vieux con, de nouveau riche, d’égoïste, de bibendum et de raciste anti jeune.
— Valentin ?
— Tout est faux !
— J’espère adjudant que vous n’allez pas comparer ma parole avec celle de ce...
— Adjudant-chef ! De ce quoi ?
— De ce... jeune homme. Dommage que ma famille ne puisse témoigner, elle était trop loin pour entendre.
— Et toi Valentin ?
— Mes copains et copines peuvent témoigner ! Tenez, je vous en ai fait la liste avec adresses et numéros de téléphone, dit-il en tendant un papier plié en deux à l’adjudant chef. Ceci dit, la famille de monsieur était bien présente sur ce ponton. Regardez plutôt, voici une photo de mes copines sur le ponton. Sur ce tirage on voit parfaitement la famille de monsieur. Elle était bien présente pour tenter de nous faire partir.
— Ça ne change rien au fait que tu m’as insulté, petit menteur, tous des menteurs...
— Attention à ce que vous allez déclarer, monsieur Dubois de la Capelle, vous parlez devant un représentant de l’ordre !
— Mon adjudant-chef ?
— Tu as quelque chose à ajouter Valentin ?
— Oui. Ce matin après avoir pris la photo que je viens de vous montrer, en rangeant l’appareil dans mon sac, j’ai accidentellement activé l’application dictaphone et l’appareil a enregistré toute la conversation. Voici mon smartphone pour vérifier, mon adjudant-chef. Comme les paroles sont difficilement audibles, j’ai repiqué toute la conversation sur le PC de mon grand-père et à l’aide d’un logiciel de traitement du son, j’ai pu normaliser l’intensité sonore. Voici une clé USB sur laquelle j’ai recopié cette conversation, audible cette fois. Elle est au format .mp3, n’importe quel lecteur moderne peut la diffuser.
— Fort bien, écoutons cela ensemble, dit l’adjudant-chef Lemoine en introduisant la clé dans un port de son ordinateur.
Au fur et à mesure que se déroulait la conversation enregistrée, l’homme remuait sur son siège, son visage virait au rouge, ses mains s’agitaient, ses lèvres se pinçaient.
— Reconnaissez-vous cet enregistrement comme authentique, monsieur Dubois de la Capelle ? questionna l’adjudant chef à la fin de la diffusion.
— Cet enregistrement est un faux grossier, jamais je n’ai dit ceci. Ce... jeune est un faussaire, un manipulateur doué certes mais un fieffé menteur.
— Attention à ce que vous dites, monsieur, vous venez encore d’accuser et d’insulter ce jeune homme. Le laboratoire de la gendarmerie a des experts capables de vérifier et certifier la véracité et la sincérité du contenu de cette clé USB par comparaison avec le contenu du smartphone, appareil qu’il est possible de localiser a posteriori. Persistez-vous dans vos accusations ?
— Si même la gendarmerie se met du côté des voyous, je préfère partir. Vous entendrez parler de moi, adjudant !
— Adjudant-chef. Veuillez rester ici, monsieur, tonna Lemoine, reprenez votre siège et reprenez-vous. Je vous accuse de méconnaissance de la loi, que ce jeune homme vous a pourtant patiemment expliquée, d’occupation abusive du domaine public, de tentative d’abus de pouvoir, d’intimidation et insultes et de déclarations mensongères à un représentant de l’ordre. Les tuteurs légaux de ce jeune homme sont en droit de porter plainte contre vous. Que décidez-vous ?
L’homme jeta un regard mauvais à Valentin mais ne répondit rien.
— Alors ? insista Lemoine.
— Cette histoire va vous coûter très cher ! siffla l’homme acculé, je dispose de nombreux appuis haut placés.
— Vous désirez que j’ajoute à vos mensonges une tentative d’intimidation à l’encontre des forces de l’ordre ?
— ...
— OK, je prends donc votre silence comme un aveu. Nous allons tout reprendre au départ et établir un procès-verbal de vos déclarations. Guimard ! cria-t-il, venez taper un PV.

« En conclusion, ... je reconnais que les jeunes baigneurs n’avaient pas à être chassés du ponton...
... je reconnais que le jeune Valentin Valmont m’avait informé des dernières dispositions réglementaires concernant l’usage public des pontons et leur marquage obligatoire...
... je reconnais n’avoir aucunement été insulté par aucun membre de l’équipe de jeunes...
... je m’engage à me mettre en conformité avec les règlements et à laisser le libre accès à ce ponton...
... je présente mes excuses à monsieur Valentin Valmont et à ses amis... »
Monsieur Marceau Dubois de la Capelle, veuillez relire et signer cet exemplaire du procès-verbal pour nos archives. Bien, voici le vôtre et voici le tien Valentin. As-tu quelque chose à ajouter ?
Valentin se leva, vint se placer devant l’homme maté et confus, le regarda droit dans les yeux et déclara après un silence :
— Mon grand-père m’a dit qu’en France, le temps des privilèges est terminé depuis la nuit du quatre août 1789, vous ne le saviez pas ?
— C’est tout Valentin ? Vous pouvez disposer, monsieur, dit l’adjudant chef Lemoine en hochant la tête. Reste un instant Valentin.
— Oui mon adjudant-chef ? fit Valentin avec un sourire complice dès que l’homme fut sorti.
— J’ai comme l’impression que tu as encore tout bien anticipé dans cette affaire. Dictaphone déclenché accidentellement, hein ? J’ai apprécié à sa juste valeur ta façon de laisser s’enferrer Mossieur Marceau Dubois de la Capelle pour mieux lui sortir tes preuves sous le nez immédiatement après.
— Mon grand-père dit toujours : « diriger, c’est prévoir » et je crois toujours ce qu’il me dit. Je me suis mis à la place de cet homme qui n’a pas l’habitude qu’on lui résiste et j’ai essayé de prévoir ses réactions. Il y a cependant encore une question que je me pose, comment a-t-il fait pour découvrir mon nom aussi rapidement ? Il ne connaissait que mon prénom comme vous avez pu l’entendre dans l’enregistrement.
— Il a dû envoyer quelqu’un se renseigner à l’état civil à la mairie. Des Valentin de ton âge, il n’y en a qu’un dans le village.
— Merci mon adjudant chef d’avoir été juste avec moi, c’est rare que l’on croie les déclarations d’un jeune opposé à un adulte.
— La gendarmerie est un auxiliaire de la justice. À propos, il y a eu quatre mises en examen dans l’affaire de Châtel Morgins : le moniteur, son correspondant et deux complices. J’ajoute que l’enquête est toujours en cours et qu’on prévoit d’autres placements en garde à vue.
— Super ! N’oubliez pas que tout le mérite en revient au flair de Boub... à Pascal Boulot et à Eva Lacourt.
— Et bien sûr, toi et Florian, ton copain sportif, vous n’y êtes pour rien ?