Les amis étaient regroupés une fois de plus autour de leur banc quand Valentin, sorti après les bousculades des couloirs, les rejoignit. C'est Gilles qui au nom du groupe prit la parole.
— Val, nous sommes tous d'accord avec le contenu de ta lettre sachant que tu es le premier concerné, mais nous estimons qu'il manque quelque chose.
Valentin leva des sourcils interrogateurs mais ne dit rien, certain qu'il était que le suite allait venir.
— Oui, nous pensons que les deux qui t'ont tabassé méritent une sanction exemplaire. Avoir récupéré l'argent ne suffit pas, il faut les décourager de recommencer, affirma Quentin.
— Je suis pour qu'on leur tombe tous dessus, trancha Florian.
— Non, pas de brutalités, ne devenons pas comme eux, tempéra Mathilde.
— Ils ont quand même démoli notre meilleur copain, on n'a pas le droit de laisser passer ça ! contra Margot.
— Absolument Margot, appuya Gilles.
— Les punir, d'accord mais en restant dans la légalité quand même, limita Pauline.
— Ça serait mieux, accorda Gilles. Commençons par Enzo, pour commencer, il faut savoir où il habite, quelqu'un le sait ? ... Apparemment personne... Ça se complique.
— Son pote Thomas doit le savoir, pensa tout haut Quentin.
— Il doit avoir tout ça dans son portable, au moins son numéro en tout cas, ajouta Olivier.
— Oui, mais comment consulter son répertoire ? objecta Amandine.
— Il faut qu'une d'entre-vous essaye de le séduire, triompha Florian comme s'il venait d'avoir l'idée du siècle.
Un grand sourire illumina le visage de Valentin qui se régalait de voir ses amis se démener pour lui.
— C'est un grand sacrifice que tu demandes là Florian, répondit Mathilde. Personnellement je ne peux pas et Amandine non plus car nous étions au terrain de sport et il nous connaît de vue, il ne marcherait pas.
— Je vais essayer, dit timidement Margot.
— Ne fait pas cette tête là, Olive, tu sais bien que Margot est à fond avec « nous », elle « nous » restera fidèle, dit Quentin en appuyant sur le « nous ». Ça sonne ! Tu essaies quand Margot ?
— Demain à la récré de dix heures, ça me laisse le temps de penser à la façon de m'y prendre, mais il faut me le montrer car je ne le connais pas.
— J'ai son portrait dans mon smartphone, dit Bouboule, je t'envoie la photo par MMS.
Quand Margot arriva au collège ce vendredi-là, ceux qui attendaient près du portail ne purent s'empêcher d'émettre des sifflements d'admiration. Margot avait fait un véritable effort d'habillement et de maquillage discret. Ses cheveux d'un blond très pâle attachés en queue de cheval mettaient en valeur le bleu tirant sur le pervenche de ses yeux, ses lèvres avivées par un rose naturel, ses pommettes rehaussées par un soupçon de blush, un pantalon et un pull de couleur vert jade bien ajustés soulignant sa silhouette de jeune fille, elle n'avait rien négligé. Tout contribuait à faire d'elle une jeune créature de rêve.
— Si j'avais su, je serais tombé amoureux d'elle avant toi, dit Florian à son ami Olivier.
— Il va craquer, l'autre, le Thomas. J'espère qu'elle ne va pas s'attacher à lui !
— Aucune chance, c'est un grand con ! tenta de rassurer Florian.
Pendant les deux heures de cours qui la séparaient de la récréation, Margot fut impeccable en classe, calme et avenante, participant aux cours, volontaire pour tout. Tony et Clément, comme tous les autres garçons de la classe, bouches bées, en bavaient d'admiration. À dix heures, une des premières sorties en cour de récréation, Margot se promena téléphone à la main, apparemment sans lever les yeux de l'appareil, mais en réalité elle surveillait la sortie des autres classes de façon à aborder seule sa proie. Quand la troisième D s'éparpilla, elle repéra le grand Thomas et, comme marchant au hasard, se dirigea vers lui. Elle s’arrêta à environ deux mètres et toujours sans lever les yeux pesta contre son téléphone. « Mais pourquoi il ne veut pas enregistrer mon adresse ce truc ! »
— Je peux t'aider ? demanda Thomas.
— Hein ? T'es qui toi ?
— Je m'appelle Thomas.
— Thomas qui ?
— Thomas Deville. J'suis en troisième D. Qu'est-ce qui se passe avec ton téléphone ?
— Je ne trouve pas où mettre l'adresse des correspondants.
— Attends, c'est facile, il suffit de faire défiler l'écran avec le doigt.
— Montre-moi sur le tien.
— Regarde, je lance mes contacts, je touche le nom que je veux, tu vois, ici c'est moi. Tu entres le nom, Deville, le prénom Thomas, le numéro de mobile, le numéro du fixe s'il y en a un. Tu glisses ton doigt du bas vers le haut sur l'écran et là tu as la ligne pour entrer l'adresse. Tu la touches, tu tapes ce que tu veux et à la fin tu touches « OK » en haut à droite. Pigé ?
— Prête-moi ton truc ! Oui, oui, ah oui, attends, je regarde encore. Oui, oui, voilà j'ai compris, merci, c'est ce qu'il fallait que je sache. Salut, merci.
— Hé, attends, donne-moi au moins ton numéro.
— Donne-moi le tien, j'l'ai pas retenu, je l'enregistre pour m’entraîner et je t’appelle plus tard, comme ça tu auras le mien. Thomas, hein ?
— Oui, mon numéro c'est le 06 63 60 xx yy. Tu m'appelles, hein ?
Margot agita la main comme pour dire au revoir et s'éloigna en tapotant son clavier virtuel. Olivier qui de loin ne l'avait pas perdue de vue respira et sentit son cœur bondir dans sa poitrine quand elle s'approcha de lui en souriant.
— Et voilà le travail, j'ai son portable, son fixe et l'adresse de ses parents.
— Tu es merveilleuse, répondit Olivier, pensant plus à son physique qu'à l'enquête qu'elle venait de mener.
Quand les amis se réunirent à nouveau, ce fut en attendant le service de cantine. Margot, très fière annonça le résultat de son enquête :
— Thomas Deville, portable 06 63 60 xx yy, fixe de sa maison 04 50 68 xx yy, son adresse 138 rue des Acacias et il attend un coup de téléphone de moi.
— Tu ne vas pas le rappeler quand même ? s'alarma Olivier.
— Je ferai ce que le groupe décidera mais tu sais bien Olivier que je n'aime pas les mecs qui se croient irrésistibles et tout permis. Ce n'est pas tout, quand je lui ai pris son téléphone des mains, sans qu'il s'en rende compte j'ai touché le nom d'un dénommé Enzo. J'ai noté son numéro dans ma tête, malheureusement, je n'ai pas mémorisé le dernier chiffre, je suis désolée.
— Pas grave Margot, rassura Pauline, il suffit de passer dix appels pour le repérer.
— Même pas, corrigea Mathilde, il se peut qu'on tombe juste et ça bien avant de faire le dixième appel. C'est quoi ce numéro ?
— Le 06 63 26 05 0 ? et il manque la fin.
— J'essaie, dit Lucie qui composa le numéro en ajoutant un autre zéro au bout.
— Mets le son, suggéra Gilles.
— « Oui ? » fit rapidement une voix féminine.
— «Allô maman, c'est Léa, c'est juste pour te dire que je serai un peu en retard... »
— « Je crois que vous faites erreur mademoiselle, je n'ai pas d'enfant. » reprit la voix un peu amusée.
— « Oh, pardon, excusez-moi ! » fit Lucie en coupant la communication. Une possibilité éliminée ! fit-elle en souriant à l'assemblée des copains.
— Excellent Lucie, félicita Gilles, À moi.
Gilles composa le même numéro avec cette fois le chiffre 1 en terminal. Quand un interlocuteur accepta la communication, Gilles resta muet, mettant même un index devant sa bouche.
— Allô, ALLÔ ! fit une voix masculine. Personne une fois de plus ! Encore un appel robotisé pour de la pub, ras le bol de la pub, bougonna un homme avant de couper l'appel.
Gilles regarda l'assemblée d'un air malin :
— C'est encore plus simple comme ça, non ? À qui le tour ?
— J'essaie dit Pauline en tapant le numéro terminé par un deux. Ils entendirent cinq sonneries avant que se déclenche un répondeur : « Ouais, c'est Enzo, j'suis occupé. » Bip ! Pauline mit fin à son appel sans bien sûr laisser de message.
— Et voilà, nous avons son numéro de portable !
— Mais pas son adresse malheureusement, et il n'y a pas d'annuaire pour les numéros de portables, comment va-t-on faire pour le loger ? s'interrogea Quentin.
— Lui proposer un rendez-vous et ensuite le suivre, suggéra Mathilde.
— Je vois quand même deux inconvénients à ce que tu proposes, intervint Olivier. Qui va aller à un rendez-vous avec ce naze ? Ici ou en ville ? Et ensuite comment suivre sa mob avec nos vélos ?
— Effectivement...
— Comment faire pour leur donner une bonne leçon ? Qu'en penses-tu Val ? Tu as une idée ? demanda Amandine.
Valentin, silencieux mais attentif depuis qu'il avait rejoint ses amis se décida.
— D'abord, j'apprécie beaucoup que vous mettiez tant d'imagination pour me venger de ces deux imbéciles. Pour vaincre un adversaire, il faut connaître ses points faibles et les utiliser. Quels sont leurs points faibles ?
— D'accord, on y arrivera mieux si on connaît leurs points faibles, il faut qu'on trouve, avança Bouboule.
— Je suis aussi d'accord avec Pascal et Valentin, ajouta Eva. Le point faible du grand, heu Thomas je crois, c'est qu'il fume du cannabis.
— Bien vu Eva, félicita Quentin au grand plaisir de Bouboule, il y a là quelque chose à creuser.
— Et l'autre, le Enzo, il aime bien faire du bruit sur sa mobylette pourrie, trouva Lucie.
— Exact, appuya Gilles toujours prêt à soutenir son amie. Il y a aussi le fait que c'est un grand fumeur de cigarettes.
— Donc, pour résumer, on a leurs numéros et les points sur lesquels on peut les attaquer, mais concrètement, comment s'y prendre ? dit Florian à voix haute, puisque Mathilde s'oppose à ce que nous utilisions la force.
— Pour le Thomas, on pourrait lui dire qu'un copain qu'il connaît bien nous a donné son numéro, dit Olivier soucieux de dédouaner Margot, et qu'on a un tuyau pour avoir du « shit » de bonne qualité et pas cher.
— Au fait, ça veut dire quoi le mot shit ? demanda naïvement Lucie.
— C'est anglais, ça se traduit par « de la crotte » ou un synonyme de ton choix, traduisit Mathilde.
— Ça serait marrant de lui vendre un paquet avec de la crotte de chien à l'intérieur, s'amusa Bouboule, ce serait la m... la plus chère du monde !
Tous les amis se mirent à rigoler ainsi que Valentin qui aussitôt fit la grimace.
— Arrête, Bouboule, tu sais bien que je ne dois pas rire ! Pensez à une sanction pour Enzo.
— On peut lui faire miroiter un lot de cartouches de cigarettes à moitié prix et lui donner un rendez-vous pourri, suggéra Quentin.
— Oui, appuya Florian, on lui fixe rendez-vous loin de chez lui, on s'arrange pour qu'il laisse sa brêle un moment et on en profite pour dégonfler ses pneus. Quand il se rendra compte qu'il n'y a personne au rendez-vous, il sera furieux et encore plus quand il se verra obligé de rentrer chez lui à pied en poussant son engin. « Dix kilomètres à pied, ça useuh, ça useuh... »
— Ben dis-donc Florian, tu y vas fort, remarqua Pauline.
— Et lui, tu as vu ce qu'il a fait à notre ami ? riposta Amandine. Pas de pitié pour ce genre de sale type ! Je te soutiens Flo.
— C'est l'heure de la cantine, dit Gilles, pensez à des solutions pratiques, on se retrouve après le repas.
Quand les amis sortirent de la salle à manger du collège, la pluie s'était mise à tomber. Ils durent se replier sous le préau où se bousculaient les demi-pensionnaires du premier service. Trop d'oreilles indiscrètes pouvaient intercepter leurs paroles.
— Continuez à chercher des idées, y a pas le feu, décida Gilles, on se réunit à nouveau lundi, OK ?