Les onze copains attendaient l'arrivée de Valentin pour continuer leur recherche d'idées. Bouboule, Quentin, Olivier et Florian arboraient un sourire de satisfaction que ne pouvaient comprendre les autres. Leur ami commun arriva en se gardant d'éventuelles bousculades involontaires. Quand il eut rejoint le groupe, il s'adossa contre le tronc du peuplier le plus proche.
— Viens sur le banc, Val, proposa Gilles assis sur le sommet du dossier comme à son habitude...
— J'ai encore un peu mal, je préfère rester debout.
— Comme tu veux. Bon, les amis, nous avons dix minutes pour décider de la punition des deux voyous qui ont tabassé Valentin. Commençons par Enzo, qui a une idée ?
Florian, l'homme d'action décida de prendre la parole.
— C'est fait !
— Qu'est-ce qui est fait ?
— La punition d'Enzo. Nous avions décidé de nous servir de ses points faibles selon le conseil de Valentin. Ceux d'Enzo sont sa mob et son goût pour le tabac, alors Olive et moi avons eu une idée. Olive lui a téléphoné. Il lui a proposé une affaire : cinq cartouches de cigarettes pour cinquante euros.
— C'est quoi un cartouche ? demanda la naïve Eva.
— Une cartouche, c'est un paquet de dix paquets, expliqua Olivier.
— Il a marché ?
— Tu veux dire qu'il a couru ou plutôt roulé à toute vitesse jusqu'au village.
— Vous l'avez vu ? s'étonna Lucie.
— Non, nous l'avons appâté avec notre proposition et lui avons donné rendez-vous dans le bois derrière la passerelle couverte, vers là où Val s'est fait cogner. Comme le chemin est trop étroit pour entrer dans le bois avec une mobylette, il a été obligé de la laisser et de continuer à pied. Et là, j'ai bouché son pot d'échappement avec ça, dit Florian en sortant une pomme de terre de sa poche.
— Ça a fait quoi ta patate ? Des frites ? s'amusa Amandine.
— Non ma belle, répondit Florian avec quand même un petit sourire, avec son pot d'échappement bouché, un moteur à essence ne peut plus fonctionner, il s'étouffe et cale.
— Il peut même exploser, enfin casser, compléta Valentin.
— Cette patate d'Enzo n'a pas vu qu'il avait une patate au pot ? dit finement Gilles.
— Attends, pas si bête, j'ai enfoncé la pomme de terre qui s'est découpée comme on découpe le trognon d'une pomme avec un outil spécial, bien sûr j'ai jeté le reste, il ne pouvait rien voir. J'ai même doublé le bouchon avec une autre. Le système à bien fonctionné, il n'a pas pu démarrer et il a dû se payer dix bornes à pinces.
— Ça lui a fait les pieds, approuva Pauline au milieu des sourires.
— Bon, ben bien joué Flo, conclut Gilles, maintenant...
— Attends, ce n'est pas fini ! Olivier venait de prendre la parole. Flo ne vous a pas dit le plus beau, enfin beau, ça dépend des goûts... Comme son second point faible, c'est la clope, on a eu pitié de lui, surtout qu'on lui en avait promis. Flo et moi avons passé la journée à récupérer tous les mégots qu'on a pu trouver, au moins une cartouche ! On a tout mis dans son casque et Florian les a arrosés pour qu'ils collent bien.
— Avec l'eau de la rivière ? demanda Pauline.
— Non, pas de l'eau !
Olivier se tut pour laisser sa réplique passer dans les esprits pendant que le visage de Florian s'empourprait. Valentin crispait ses lèvres pour ne pas rire.
— Je ne comprends pas, comment il a fait ? questionna Lucie.
— Comme tu ne pourras jamais faire : debout !
Un à un les visages s'éclairèrent pendant que Gilles murmurait à l'oreille de sa copine : « il a pissé dedans ! »
— Oh ! fit Lucie avant de se mettre à rire franchement, rire qui gagna l'ensemble des copains.
Gilles finit par se reprendre :
— Comment a-t-il réagit ?
— Il a triplé son vocabulaire, non seulement il a gueulé « connard », mais il a ajouté « putain, et merde ! » surtout quand il a essayé de mettre son casque sans regarder, il avait le visage qui dégoulinait jaune marron !
Valentin hurla de rire et de douleur, rire qui pendant une minute secoua la totalité du groupe. Quand le calme revint, Mathilde observa :
— Une fois arrivé chez lui, il a dû finir par se rendre compte, il n'est tout de même pas demeuré à ce point !
— Ça dépend, si les patates ont séché, sa brêle peut redémarrer et expulser le bouchon. Dans ce cas là il se posera des questions toute sa vie.
— Super bien joué les gars mais c'est déjà l'heure d'aller en anglais, on pensera à s'occuper du Thomas à la récré d'avant la cantine, conclut Gilles. J'espère qu'on va trouver la bonne idée pour l'autre brute.
— Flo, Olive, vous ne vous êtes pas occupé du Thomas pendant que vous y étiez ? demanda Gilles quand tous furent à nouveau réunis.
— Non, pas eux, dit tranquillement Bouboule.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Ben il n'y a pas qu'eux qui ont eu une idée.
— Quoi ? Tu veux dire que tu...
— Je et il, compléta Pascal en désignant Quentin du doigt.
— Explique voyons !
— Le point faible de ce sale type, c'est le cannabis, le nez d'Eva me l'a confirmé, hein Eva ?
Celle-ci hocha vigoureusement la tête, heureuse d'être mise en avant.
— Donc, Quentin et moi avons eu une idée pour le piéger. Nous nous sommes renseignés sur le prix de vente du shit et nous lui en avons proposé à un prix irrésistible en nous faisant passer pour un pote de son dealer habituel.
— Il n'a pas eu de soupçons ?
— Aucun à mon avis. Dans ce type de transaction, on utilise des planques, on ne dit jamais les noms. Quentin l'a contacté en changeant sa voix avec un bout de chiffon posé sur le micro de son smartphone. Avec moi, ça n'aurait pas marché, j'ai la voix trop aiguë. Donc nous lui avons proposé vingt grammes de shit pour cinquante euros. C'est carrément du moitié prix, nous nous sommes renseignés sur internet, alors bien sûr il a été tout de suite vachement intéressé. Nous lui avons monté tout un scenario, il devait déposer son billet enroulé enveloppé dans du papier tenu par un élastique dans une souche au début du chemin du Golet à sept heures précises et récupérer sa marchandise dans une boite d'allumettes emballée dans un sac en papier mis dans une poubelle publique à l'autre bout du chemin.
— Respire Bouboule, dit Amandine.
— Oui, merci. Il a bien déposé son billet, ce nul !
— Donc en fait vous l'avez arnaqué de cinquante euros, c'est ça ?
— Non car il est bien venu récupérer la boite d'allumettes.
— Une boite d'allumettes vide pour cinquante euros, c'est pas une arnaque ? dit encore Amandine.
— Non car la boite était pleine.
— Pleine de quoi ? De shit ?
— Absolument certifia Bouboule hilare.
— Comment t'as fait pour t'en procurer ?
— J'en fabrique naturellement. Quand il a voulu vérifier, quand il a ouvert la boite pour sentir le produit qui sentait très fort, je le confirme, je suis sorti de ma planque à toute vitesse, j'ai tapé dans sa main en remontant et il en a pris plein le nez, plein la bouche et aussi sur le visage.
— Je ne comprends pas bien Pascal, dit Eva sourcils froncés, qu'est ce qu'il a pris sur le nez ?
Bouboule regarda son amie avec une expression sardonique sur le visage. Soudain elle murmura :
— Non... non... Son expression passa de l'incompréhension à la suffocation puis à un rire inextinguible. Jamais ses amis ne l'avaient vu rire ainsi. Eva, la douce et timide Eva... Un à un les visages des autres s'éclairèrent et un rire homérique gagna l'assemblée, tous avaient compris. Florian se roulait par terre, Olivier était plié en deux, Gilles se tapait sur les cuisses, les filles s'esclaffaient, Valentin contre son peuplier pleurait de douleur et de joie.
Quand tous eurent retrouvé un peu de calme, Gilles demanda :
— Il ne t'a pas reconnu quand même ?
— Non, je me suis recaché aussitôt et comme il avait la tête baissée et de la m... dans les yeux aussi... Vous comprenez, j'avais mangé des prunes la veille alors...
Le formidable rire repris, attisé par l'allusion de Bouboule. Tous imaginaient la scène.
— Qu'est ce qu'il a fait ensuite ? rigola encore Gilles.
— Il a enlevé le plus gros avec ses mains et les a frottées dans l'herbe pour les nettoyer. Après, il a remonté le chemin en courant, je laisse Quentin vous dire la suite.
— Moi, j'ai d'abord vérifié qu'il avait bien payé. Il y avait un beau billet de cinquante bien craquant et bien emballé dans la souche. Mais je ne l'ai pas pris, nous ne sommes pas des voleurs. J'ai ramassé un cadeau, je l'ai enroulé dans le billet, remis le papier et l'élastique autour, un peu malaxé l'ensemble et tout remis en place. Quand il est arrivé, il bougonnait des insultes. À qui, je ne sais pas. Bref il a glissé sa main dans la souche et il a poussé un soupir de soulagement quand il a retrouvé le rouleau, il l'a mis dans sa poche et il est reparti en descendant à nouveau le chemin du Golet, peut-être pour aller vers la fontaine de la place de l'église. Je vous laisse imaginer la tête qu'il a faite en dépliant son billet. Il ne pourra plus dire que l'argent n'a pas d'odeur !
— Mais Quentin, qu'est-ce que tu as mis dans le billet ? demanda Lucie.
— Tu sais Lucie, il y a des propriétaires de chiens qui sont vraiment dégueulasses, ils laissent les autres ramasser à leur place.
Un nouveau rire homérique secoua l'assemblée, certains en pleuraient, « j'ai fait pipi dans ma culotte » dit Margot, « je n'en peux plus » émit Mathilde entre deux quintes, Eva et Lucie, mains devant leur bouche, tressautaient des épaules, Pauline se pliait en deux, Amandine toute rouge claqua un baiser sur la joue de Bouboule et celle de Quentin avant de s'esclaffer à nouveau. Gilles le premier reprit ses esprits.
— Où vas-tu Valentin ? dit-il.
— Vous êtes des salauds, répondit celui-ci en se tenant les côtes du côté gauche et en pleurant de joie.