Le lendemain après-midi Valentin se réessaya au VTT avec une petite appréhension mais il se rendit vite compte que tout allait bien. Aucune douleur au flanc gauche, sa jambe droite cicatrisée tournait sans mal. Pour une première reprise, il décida de se contenter d'effectuer son circuit favori. : la sente couverte de feuilles tombées des deux petits bois, le chemin blanc, la passerelle de la plage, l'esplanade, le port puis le sentier du tour du lac avec ses vues magnifiques sur les montagnes se reflétant dans l'eau calme.
Le trimestre mouvementé tirait à sa fin, Valentin désirait mettre un point final à sa rivalité avec Charles-Henri . Il y pensait au moment où il arriva au niveau du ponton controversé. Descendant de vélo, il s'avança vers celui-ci. Aucune plaque officielle ne le privatisait mais le panneau d'interdiction avait été enlevé, l'inscription sur la première planche avait été grattée et la bouée d'amarrage jaune avait cédé la place à une bouée blanche AOT réglementaire. « Maintenant, c'est clair pour tout le monde » se dit-il. Il s'avança jusqu'au bout de la jetée en bois, sortit son smartphone et lança l'application photo. Le paysage offrait une merveilleuse symphonie de couleurs et de formes, du blanc de neige des sommets au vert sombre des profondeurs du lac en passant par les multiples nuances de l'automne des forêts de montagne.
— C'est toujours aussi beau, n'est-ce pas ?
Valentin n'avait pas entendu l'homme venir, il se retourna vivement pour se trouver en face du père de Charles-Henri, monsieur Marceau Dubois de la Capelle.
— N'aie pas peur, je ne te veux pas de mal, reprit son vis à vis, au contraire, je veux te remercier.
Valentin leva des sourcils étonnés mais ne répondit rien.
— J'ai vu l'adjudant-chef Lemoine récemment et me suis longuement entretenu avec lui. Je suis au courant de tes démêlés avec mon fils, votre naufrage et la mise hors d'usage de ton smartphone. Je l'ai obligé à le remplacer, j'espère que le nouveau te convient.
Valentin leva son appareil, présenta l'écran à son interlocuteur et se contenta de hocher la tête, attendant la suite.
— Je sais aussi le plus grave, l'attentat dont tu as été victime. L'adjudant est persuadé que mon fils est le commanditaire de ce guet-apens ignoble, il affirme en avoir la preuve. Il m'a également dit que c'est toi qui a tout découvert et que tu as insisté pour que l'affaire en reste là. De cela je veux te remercier, j'aimerai que mon imbécile de fils puisse avoir la moitié de ton intelligence. Lemoine m'a dit aussi que l'enquête devait continuer tant que la plainte contre X déposée par ton grand-père demeurait car il ne connaît pas encore les noms des deux autres. Suite à ces révélations, Charles-Henri a passé un très mauvais quart d'heure dans mon bureau à la suite de quoi il m'a tout avoué jusqu'aux noms de ses complices dans l'attaque que tu as subie. Il a fini par me montrer la lettre que tu lui as donnée et je suis d'accord avec ta façon d'agir, même si ce n'est pas très révérencieux à mon égard. Si mon fils ne comprend pas qu'il doit faire la paix avec tes amis et toi, s'il tente encore des actions malveillantes envers vous ou qui que ce soit d'autre, il sait qu'il se retrouvera toutes affaires cessantes dans un internat disciplinaire. Voilà ce que je voulais te dire mon garçon.
Valentin avait écouté sans mot dire, sans manifester ni approbation ni désapprobation. Il regarda l'homme droit dans les yeux pendant plusieurs secondes avant de formuler :
— Monsieur, je sais que c'est dur pour vous de me dire cela. Puisque vous êtes au courant, oui Charles-Henri est le commanditaire de l'agression contre moi donc le responsable de mes blessures. Il avait recruté deux types peu intéressants pour ses basses œuvres . Ces deux là, mes amis les ont identifiés et punis à leur manière. Oui, Charles-Henri a encore essayé de me déstabiliser en tentant indirectement de fragiliser mon équipe d'amis mais nous avons percé à jour ses intentions. Nous en sommes là. Vous monsieur, j'apprécie votre attitude, surtout après le différend que nous avons eu, donc, si vous voulez bien... dit-il en tendant la main droite vers l'homme face à lui.
Celui-ci la serra avec cordialité et ajouta :
— Je ne veux ni ne peux t'obliger, mais accepterais-tu de t'expliquer verbalement face à face avec mon fils, sans témoin, pour mettre fin définitivement à cette querelle qui n'aurait pas eu de raison d'être si moi-même je m'étais montré plus accommodant au sujet de ce ponton sur lequel nous sommes.
Valentin leva la tête vers le ciel, comme pour chercher une inspiration puis après quelques secondes, regarda à nouveau dans les yeux l'homme devant lui.
— Je veux bien essayer, la suite dépendra de lui.
— Je te remercie, en échange...
— Non monsieur, je ne veux rien en échange, ne me proposez rien !
« Entre dans ce petit salon Valentin, je t'envoie Charles-Henri. Toi seul décidera. »
Valentin pénétra dans la pièce luxueuse, meublée d'une bibliothèque, de plusieurs fauteuils et d'une immense table basse encombrée de revues à couvertures glacées. Il jeta un regard dubitatif aux tableaux modernes décorant les murs puis alla jusqu'à la fenêtre donnant sur le ponton et le lac. Son VTT était toujours appuyé au tronc d'un aulne. Il ne se retourna pas tout de suite quand il entendit la porte s'ouvrir. Au bout de quelques secondes, un petit raclement de gorge précisa la présence de son camarade de classe et ennemi intime. Valentin se retourna, fixa son regard sur le visage de Charles-Henri qui baissait les yeux. Une minute d'un silence pesant se déroula avant que ce dernier dise d'une voix éteinte :
— Mon père m'oblige à venir te parler.
Valentin ne broncha pas, assurant par là sa supériorité.
— Il veut que je te présente mes excuses...
Valentin persista dans son silence.
— ... pour tout ce que je t'ai fait.
— C'est à dire ? se décida enfin Valentin.
— Le piège que je t'ai tendu près de la passerelle couverte.
— C'est tout ?
— Oui.
— Le hors-bord ?
— Excuse-moi aussi pour t'avoir fait chavirer, mais tu n'y a pas perdu.
— N'oublierais-tu pas de dire que tu avais l'intention de continuer ?
— Je n'ai pas à m'excuser pour deux filles qui veulent draguer.
— Comment sais-tu cela ? Ne te fatigue pas, j'ai tout compris. La tentative de séduction des jumelles sur mes copains, tentative bien maladroite d'ailleurs, c'était à ton initiative, dans le but de me priver de deux gars costauds et donc de m'affaiblir par rapport à tes copains Tony, Clément, Romuald et Morgane. J'ai bon là ? Vous êtes tellement prévisibles ! Je crois que je n'ai rien à faire ici. Ton père va être déçu une fois de plus.
— Qu'est-ce qu'il t'a promis ?
Un sourire de mépris gagna le visage de Valentin.
— Sache que personne ne m'achète, Machin ! Si tu veux que la guerre continue, du moins pour le temps qu'il te reste à passer dans notre collège, tu es sur le bonne voie. À demain Charles-Henri Dubois de la Capelle.
Valentin se dirigea vers la porte, tourna la poignée ouvragée et s'engagea dans le vaste hall lambrissé de marbre rouge.
— Attends, attends heu... Valentin, reviens ! Tu as raison, j'avais l'intention de t'isoler pour t'affaiblir, mais c'est fini maintenant, j'arrête, je désire que nous fassions la paix.
— Définitivement ?
— Oui, définitivement, appuya Charles-Henri en tendant la main vers Valentin.
Celui-ci garda volontairement les bras le long de son corps, jeta un regard froid à son adversaire, hocha silencieusement la tête et se dirigea vers la porte de sortie. Juste avant de la franchir, il se retourna et articula :
— Sache aussi que ne cherche jamais la bagarre mais si quelqu'un la veut, je relève toujours le défi, d'une façon ou d'une autre. À toi d'en faire ton profit, Charly.