Toute la soirée, Valentin s’efforça de montrer un visage serein à Isabelle et Jean-Claude ses grands-parents qui n’étaient pas encore au courant du fait divers, mais il était assailli de pensées moroses. Assis dans le canapé devant le poste de télévision diffusant une émission de variétés qui ne l’intéressait pas, sa pensée vagabondait.
Qu’est-il arrivé à son amie Amandine ? Où peut-elle être en ce moment ? Que va-t-on lui faire ? Même si elle est habituellement forte dans sa tête, elle doit être morte de peur. Et pour ses parents et sa sœur ce doit être l’horreur.
Nous savons qu’elle a été enlevée mais qu’en est-il de l’enquête de la gendarmerie ? L’adjudant-chef Lemoine a dû envisager cette hypothèse en plus de celle de la fugue, mais il n’a pas les indices que nous avons trouvé, en particulier l’ambulance. Et le téléphone cassé, lui serait-il utile ?
Si nous gardons pour nous les renseignements que nous avons obtenus, cela va retarder les recherches et probablement aller à l’encontre de ce que nous voulons : sauver Amandine. Maintenant on peut aussi penser qu’il s’agissait d’une véritable ambulance, que les ambulanciers ont secouru notre amie blessée et l’ont conduite à l’hôpital comme l’a suggéré Mathilde.
L’hôpital, c’est bien sûr à lui qu’on pense au début quand une personne ne se manifeste pas à temps, donc les parents ont dû l’appeler et Lemoine aussi. De plus Camille sa sœur m’aurait prévenu si elle y était. Donc Amandine n’a pas été conduite à l’hôpital.
Qu’est-ce que nous pouvons faire de plus ? Tenter de repérer cette ambulance, la prendre en photo, mais ensuite ? Comment trouver l’endroit où elle stationne, comment trouver l’adresse des deux hommes ? Sont-ils encore dans la région seulement ? Nous sommes dans l’impasse, seul un gros coup de chance nous permettrait d’avancer dans notre recherche. Et le temps presse !
Et puis pourquoi une ambulance suisse, si tel est bien le cas ? Peut-être pour passer les frontières plus facilement… La Suisse est la patrie de la Croix Rouge. Oui, mais dans ce cas, si l’ambulance passe la frontière avec Amandine, nous risquons de ne jamais la retrouver.
Plus de doute, il faut que je mette l’adjudant-chef au courant. Il va me passer un savon mais tant pis. Il est trop tard ce soir pour me rendre à la gendarmerie mais je peux lui demander de me recevoir demain. Je lui envoie un SMS.
Valentin relança son smartphone, activa l’application « Messages » et écrivit : « Mon adjudant-chef, puis-je vous voir demain matin vers huit heures, c’est au sujet d’Amandine Fontaine. » puis, après encore quelques secondes de réflexion, appuya sur la flèche d’envoi.
Il venait de monter se coucher quand le bruit d’un moteur de voiture se garant devant la maison, suivi d’un claquement de portière puis rapidement d’un coup de sonnette à la porte d’entrée l’intrigua.
— Tiens, bonsoir mon adjudant-chef, qu’est-ce qui vous amène aussi tard dans le coin ? dit le grand-père en ouvrant la porte.
— Bonsoir monsieur Valmont, Valentin est-il là ?
— Mais oui, que se passe-t-il ?
— Vous n’êtes pas au courant ? Une jeune fille de sa classe a disparu. Peut-être votre petit-fils sait-il quelque chose, je peux le voir ?
— Mais bien sûr, il vient de monter dans sa chambre au premier, voulez-vous qu’il redescende ?
— Je peux monter si cela ne vous ennuie pas.
— Faites monsieur Lemoine.
Valentin qui avait entendu la conversation ouvrit largement la porte de sa chambre.
— Entrez monsieur Lemoine, prenez ma chaise, je m’installe sur le lit. Je n’espérais pas vous voir avant demain.
— Allons droit au but, tu sais quelque chose au sujet d’Amandine Fontaine ?
— Amandine fait partie de mon cercle d’amis, nous sommes quatorze en tout dans le groupe. Jeudi elle n’est pas venue au collège et nous avons rapidement compris qu’elle avait disparu pendant le jogging qu’elle faisait chaque jour. Avec mes amis, nous avons tous cherché et pu reconstituer son itinéraire en questionnant des gens. Je vais tout de suite aux conclusions : notre amie a été enlevée par deux hommes qui l’ont probablement droguée par piqûre puis embarquée dans une ambulance à plaque suisse du canton d’Appenzell. Ceci est probablement son smartphone que j’ai retrouvé près de l’endroit où était stationnée cette ambulance, ajouta Valentin en tendant au gendarme l’appareil brisé ainsi que l’étui brassard.
— Tu ne peux pas d’empêcher de fureter Valentin ! Bien sûr, je comprends que tu veuilles t’investir pour ton amie mais ce faisant tu as pu détruire des preuves qui peuvent être très importantes pour la suite.
— Sans mon équipe et moi, vous n’auriez aucun des éléments que je viens de vous dire. Je peux vous indiquer avec précision quels sont les témoins qui nous ont permis d’arriver à la conclusion que je viens de vous communiquer et quels sont les copains qui ont recueilli leurs témoignages. Je pense que vous avez vérifié les entrées à l’hôpital ?
— Nous l’avons fait ce matin, résultat négatif.
— Conclusion, c’était bien une fausse ambulance. Nous nous en doutions car un véhicule avec une plaque d’un canton suisse-allemand qui affiche « Ambulance » en français, ce n’est pas logique. Monsieur Lemoine, j’ai très peur pour mon amie Amandine.
— Attends un instant, nous n’avons pas fini.
Le gradé empoigna l’émetteur-récepteur qui grésillait pendu sur sa poitrine.
— Guimard, tu me reçois ?
— Quatre sur cinq, mon adjudant-chef.
— Guimard, tu lances tout de suite un avis de recherche sur une ambulance… Valentin, tu connais la marque ?
— Utilitaire Renault.
— … sur porteur Renault…
— Couleur ?
— Blanche.
— … blanche avec une plaque suisse du canton d’Appenzell…
— Appenzell Rhodes Intérieures, AI, souffla Valentin.
— Oui, avec deux p et deux l, mais sur la plaque c’est AI…
— Avec un ours noir dressé comme blason.
— …avec sur le blason un ours noir dressé. Ordre de stopper le véhicule et d’intercepter les occupants. Oui, possiblement dangereux. Contrôle renforcé sur les sorties vers Genève. Oui, toutes affaires cessantes ! Exécution.
Le gendarme relâcha sa radio et reprit, s’adressant à l’adolescent :
— Valentin, tu me mets par écrit tout ce que tes amis et toi avez recueilli, avec les dates, les heures, les lieux, les noms des témoins et où les trouver. Pendant ce temps, je vais lancer un avis de disparition inquiétante. Je sors voir le brigadier Dufournet dans la voiture et je reviens chercher ton papier.
Quand l’adjudant-chef revint dans la maison, Valentin avait mis ses grands-parents au courant de la situation et finissait d’écrire son rapport sur la table de la salle à manger.
— Tu n’as rien oublié ? Chaque détail peut avoir une importance capitale, tu t’en doutes, dit le gradé.
— Bien sûr. Je n’ai pas encore écrit que mes amis et moi allions photographier toutes les ambulances qui vont passer dans le village en notant le lieu et la direction prise. Pascal, un de mon groupe, va se rendre à l’hôpital ce matin en accompagnement d’une amie qui doit subir un contrôle, l’accident de Marion Lacombe, vous vous souvenez ? On peut lui faire confiance pour noter tout ce qu’il va repérer.
— Photographier, à la rigueur, mais aucune autre initiative sans d’abord m’en parler. C’est un ordre, Valentin.
— À votre ordre mon adjudant-chef, répondit ce dernier quelque peu rasséréné par l’énergie du gendarme, en esquissant un semblant de salut militaire.