« Entrez. Dans le calme Romuald ! Bien, nous allons passer cette dernière heure à faire des jeux de logique et de mathématiques. Prenez une simple feuille de papier, un stylo à bille et votre téléphone pour ceux qui en ont un. »
— Chouette m’sieur, j’ai plein de jeux sur le mien, se réjouit Clément.
— Tant mieux pour toi, tu pourras y jouer à la récréation. Pour l’instant, faites apparaitre le clavier téléphonique. Vous y êtes ? Alors premier problème :
Combien obtient-on en multipliant tous les chiffres du clavier ?
Valentin, Mathilde, Gilles et Charly levèrent instantanément la main. Monsieur Derrien sourit et mit un index devant ses lèvres pour leur demander un silence complice. La majorité des élèves de la classe pianotait intensément. Une à une les mains se levaient.
— Océane, tu as trouvé ? dit enfin monsieur Derrien.
— Je ne comprends pas monsieur, ma calculette doit être détraquée, j’ai fait le calcul deux fois et j’obtiens zéro !
— Ce n’est pas ta calculette qui est détraquée ! lança Charly, faisant rire tous ceux qui avaient compris.
— Où en es-tu Romuald ? demanda le professeur.
— J’ai pas fini, m’sieur. Y m’reste plus qu’un chiffre. Put… heu zut, zéro !
Moi aussi ma calculette est foutue. Quoi, qu’est-ce t’as à t’marrer toi ? ajout-t-il en tendant l’index vers la face hilare de Pascal Boulot dit Bouboule.
— Pas d’agression s’il vous plait ! Qui veut expliquer ? Charles-Henri ? Nous t’écoutons.
— Les chiffres du clavier vont de zéro à neuf donc on aboutit tôt ou tard à une multiplication par zéro qui donne toujours zéro.
— Exactement et ça, vous l’aviez appris en cours !
— Zéro, c’est nul ! lança Morgane, comme une évidence.
— Sauf si c’est à la fin d’une somme d’argent, s’amusa Charly.
— Le zéro est, à mon avis, une des plus importantes découvertes mathématiques., expliqua le professeur. Zéro, c’est à la fois rien et beaucoup comme vient de le montrer Charles-Henri : un zéro de plus à la fin d’une somme d’argent et votre fortune est multipliée par dix. Autre illustration : toute l’intelligence informatique de vos smartphones est faite de zéros et d’uns. La musique que vous écoutez, les photos que vous prenez, les émissions de télévision que vous regardez, les messages que vous envoyez sont uniquement composés d’uns et de zéros.
— Alors quand on bloque zéro ou un en cours, c’est bien ! rigola Tony.
— Il vaut mieux que tu les reçoives attachés et dans l’autre sens, épilogua le professeur. Allez, deuxième problème :
Au centre d’un étang pousse un massif de nénuphars. Ce massif double sa surface chaque jour. Sachant qu’il met trente jours à occuper toute la superficie de l’étang, au bout de combien de jours en occupera-t-il la moitié ?
Réfléchissez.
— Ça c’est facile, se réjouit Olivier, quinze jours, évidemment ! Heu, j’ai dit une bêtise ? ajouta-t-il en constatant l’air ironique du professeur.
— Un peu quand même. Que veut dire doubler ?
— Multiplié par deux.
— Oui. Et le contraire ?
— Divisé par deux.
— Donc Olivier, tu vas prendre le problème à l’envers. Le trentième jour, toute la surface de l’étang est occupée donc le vingt-neuvième ?
— Je divise par deux… Ah oui, bien sûr, c’est le vingt-neuvième jour puisque le lendemain la surface occupée aura doublé ! Je suis bête.
— Rassure-toi Olivier, pour reconnaitre qu’on est bête, il faut être intelligent. Qui n’a pas compris la solution ? Personne ? On progresse ! Je vais maintenant vous proposer un scenario. Je vous demanderai ensuite de lui trouver une solution logique et morale.
Cela se passe un soir d’hiver, il est onze heures, il fait froid et il pleut.
Vous roulez seul, en pleine campagne, sur une route déserte, dans votre voiture, un coupé à deux places.
Soudain vos phares éclairent un abribus. Sous l’abri précaire, trois personnes. Vous savez qu’à onze heures du soir plus aucun car ne circule alors vous arrêtez votre véhicule et vous descendez.
La première personne est un vieil ami qui vous a un jour sauvé la vie ; cette personne doit absolument se rendre immédiatement en ville.
La seconde personne est une vieille dame qui vient de faire une syncope, qui est donc en danger de mort et qu’on doit conduire d’urgence à l’hôpital pour la sauver.
La troisième personne est celle que vous rêvez de rencontrer depuis toujours, la femme ou l’homme de votre vie.
Comment allez-vous réagir ? Amandine ?
— Je téléphone aux pompiers.
— Tu es en rase campagne, il n’y a aucun réseau. Marion ?
— J’emmène la vieille dame à l’hôpital.
— Et tu abandonnes celui qui t’a sauvé la vie et tu risques aussi de perdre définitivement la personne de tes rêves. Tony ?
— J’embarque la super nana, les autres n’ont qu’à se dem… brouiller.
— Tu laisses donc mourir la vieille dame et te montres complètement ingrat envers celui qui un jour t’a sauvé la vie !
— C’est sans solution monsieur, déclara Lucie. Dans tous les cas on est coincé moralement.
— Il y a une solution. Valentin ?
— La solution est à la fois logique et morale avez-vous dit… Voyons… Mon ami doit absolument aller en ville, la vieille dame doit aller à l’hôpital en ville et moi je veux rester avec la personne de ma vie.
Mais il n’y a que deux places dans ma voiture.
La jeune fille de mes rêves n’est pas obligée d’aller tout de suite en ville et… moi non plus… donc… donc…
J’ai trouvé ! Je donne les clés de ma voiture à mon vieil ami qui va conduire la vieille dame en ville et moi je reste avec la personne de mes rêves.
— C’est qui la personne de tes rêves ? lança Océane.
— Je ne rêve pas, articula avec intention un Valentin de glace.
— En tout cas, bravo Valentin, félicitations. C’est effectivement la solution logique et morale de ce problème.
Maintenant un autre cas à résoudre :
Un SDF fumeur n’a pas d’argent pour s’acheter des cigarettes alors il les roule lui-même avec le tabac des mégots qu’il ramasse…
— Comme Clément, se moqua encore Bouboule, s’attirant une menace du poing.
— …il en a ramassé quatorze. Sachant qu’il lui faut trois mégots pour rouler une cigarette, combien pourra-t-il en fumer ?
Servez-vous de votre feuille et de votre stylo. Je vous laisse réfléchir deux minutes…
— Tu as trouvé Morgane ?
— Non, je ne fume pas.
— Oh la menteuse ! chantonna Bouboule sans lever la tête de sa feuille.
— Qui alors, Marine ?
— C’est dégoûtant ce problème, des mégots, berk ! De toute façon quatorze divisé par trois, ça ne tombe pas juste, il en reste deux. Je dirais quatre cigarettes.
— Mais ces quatre cigarettes vont donner quatre mégots de plus ! rigola Clément le spécialiste.
— Bon alors deux plus quatre ça fait six mégots donc il peut fabriquer deux nouvelles cigarettes, six en tout, voilà.
— Mais ces deux nouvelles cigarettes vont me donner deux nouveaux mégots, fit à nouveau remarquer Clément.
— C’est bien ce que je disais, ça ne tombe pas juste de toute façon et c’est toujours aussi dégoûtant.
— Personne n’a de solution ? taquina le professeur amusé. C’est pourtant simple :
le SDF demande un mégot à un autre SDF, roule une dernière cigarette, la fume puis il rend le mégot à son copain. Ce qui fait qu’avec quatorze mégots, à raison de trois mégots par cigarette, il a pu fumer sept cigarettes.
Allez, pour que Marine ne reste pas sur son mal au cœur, un autre problème moins terre à terre.
Dans le désert d’Arabie, un riche et vieux bédouin a trois fils et possède dix-sept dromadaires. Il meurt et, dans son testament, il a spécifié que son fils ainé héritera de la moitié de ses dromadaires, celui du milieu du tiers et le plus jeune du un neuvième.
Et voilà tout le monde bien embêté. Comment démêleriez-vous la situation ?
Quentin, tu as une idée ?
— La moitié de 17, c’est 8 ½ ; le tiers de 17 c’est heu… 5,66 et le neuvième ça donne… heu… heu… 1,88. Donc ils ont heu… huit plus cinq plus un donc quatorze dromadaires vivants et les trois autres, ils les découpent !
— Tu es horrible Quentin, dit Margot.
— Surtout que, pour les Bédouins, le dromadaire c’est la richesse et la vie, appuya monsieur Derrien. Les trois frères ne sachant comment faire vont demander conseil à l’imam de l’oasis qui va leur donner une solution, laquelle ? Tu souries Mathilde ?
— Ce problème me fait un peu penser au précédent, monsieur.
— Tu es tout près de la réponse. Laisse chercher les autres.
— J’ai trouvé s’exclama Florian.
— Qui d’autre pense avoir trouvé ?
Mathilde, Valentin, Gilles et Emily levèrent la main.
— Pour ceux qui cherchent encore, je donne un indice : l’imam est un homme bon et généreux… Personne d’autre ? Encore un indice : l’imam possède un dromadaire.
— Mais c’est bien sûr dit Bouboule en levant lui aussi la main, imité par Lucie et Margot.
— Allez, Florian, indique-nous ta solution.
— L’imam donne son dromadaire aux trois frères ce qui fait dix-huit bêtes, comme ça ils peuvent faire le partage. L’ainé en récupère la moitié donc neuf, le second un tiers donc six et le troisième un neuvième donc deux.
— Bien Florian mais ce n’est pas fini. Lucie ?
— Neuf plus six plus deux, cela fait dix-sept. Les trois frères peuvent donc rendre son dromadaire à l’imam.
— Bravo Lucie.
— Monsieur, je ne comprends pas bien, comment est-ce possible ?
— En effet Anaïs, quelque chose ne va pas dans le raisonnement. Quelqu’un a une idée ? Qu’est-ce que tu écris Valentin ?
— Je vérifie quelque chose, monsieur. C’est bizarre, à la fin, ils ont tous plus que ce qu’ils doivent hériter. L’ainé doit mathématiquement recevoir 8,5 or il reçoit 9, le deuxième qui est supposé avoir 5,66 obtient 6 et la part du troisième augmente de 1,88 à 2. Le plus étrange, c’est que si j’additionne 8,5 + 5,66 + 1,88, j’obtiens un peu plus de 16 et non pas dix-sept. Je sens qu’il y a un truc dans l’énoncé de départ mais je n’arrive pas à trouver lequel.
— En effet Valentin, bravo pour ta logique. Voici l’explication. Je ne vais pas vous obliger à faire des calculs sur les fractions le dernier jour mais sachez que si on avait exprimé les héritages des trois frères avec le même dénominateur de fraction, cela ferait 9/18 pour l’ainé, 6/18pour le deuxième et 2/18 pour le dernier donc au total 17/18. Or les 17 dromadaires représentent le tout de l’héritage donc 18/18 à partager. Et non pas 17/18. Valentin a trouvé qu’ils avaient tous un peu plus que la part annoncée, ces trois petits excédents représentent le dernier dix-huitième. On peut donc dire que le vieux bédouin dans son testament n’avait pas bien calculé ses fractions.
— Je n’ai rien compris, avoua naïvement Pauline.
— Tu réfléchiras pendant les vacances. Il est onze heures moins le quart, pour terminer, je vous propose un peu de magie mathématique. Prenez votre stylo.
Notez la pointure de vos chaussures
Multipliez-là par 5
Rajoutez 50
Multipliez le total par 20
Rajoutez 1020
Soustrayez votre année de naissance
— Voilà, vous obtenez un nombre avec 4 chiffres.
Romuald, quel nombre as-tu obtenu ?
— 5220.
— Tu t’es trompé dans tes opérations, Romuald.
— Mais non m’sieur.
— Mais si monsieur. Mathilde, tu as obtenu combien ?
— 3614, monsieur.
— Mathilde, tu chausses du 36 et tu as 14 ans dans l’année.
— C’est exact monsieur, mais comment est-ce possible…
— Tony, combien as-tu ?
— 4215.
— Tony tu chausses du 42 et tu as 15 ans cette année.
— Ça c’est très fort, reconnut Tony.
— Regardez tous votre résultat. Le nombre formé par les deux chiffres de gauche donnent la pointure de vos chaussures, les deux chiffres de droite donnent votre âge ! Donc Romuald chausse du 52 et il a 20 ans !
Les rires moqueurs se mêlèrent aux exclamations d’étonnement et d’incrédulité.
— C’est de la sorcellerie ! s’exclama Bouboule.
— C’est dingue ça ! s’étonna Morgane.
— Je ne comprends rien ! se désola encore Pauline.
— Là aussi il y a un truc ! tenta de diagnostiquer Valentin.
— Il n’y a pas un mais deux trucs, Valentin. Un sur la pointure et un sur l’âge. Vous voulez les explications ?
Si je remplace la pointure qui est toujours un nombre à deux chiffres par X, et par Y votre année de naissance qui a forcément quatre chiffres, la formule de calcul découlant de l’énoncé est celle-ci, je vous l’écris au tableau :
((X*5+50) * 20) + 1020 – Y
Prenons par exemple Pauline.
Je suppose Pauline que tu as 14 ans et que tu chausses du 36.
— C’est exactement ça monsieur.
Bon, ta pointure sera multipliée par 5 puis par 20, donc par 100, ce qui donne 3600.
Le 50 rajouté sera multiplié aussi par 20 donc on obtient 1000 et on rajoute encore 1020 soit en tout 2020 (tiens tiens, c’est l'année en cours !)
Si j'ôte ton année de naissance (2006) de l'année en cours (2020), j'obtiens ton âge : 14 ans.
C'est donc finalement comme si on avait rajouté ton âge à ta pointure multipliée par 100 donc on arrive à 3614. Pointure 36, âge 14.
Rien de sorcier là-dedans.
Tu vois Valentin, le premier truc c’est de mettre les deux chiffres de la pointure à gauche du résultat final, ceci en la multipliant par cent et le second truc est d’y ajouter l’âge en faisant année en cours moins année de naissance. L’énoncé du problème complique volontairement les choses pour faire croire à de la magie.
Sur ce, c’est l’heure, je vous souhaite à tous de bonnes vacances!
De retour dans la cour de récréation, à nouveau répandus sur leur coin de pelouse, les amis commentaient le dernier coures de math.
— Alors Pauline, ça t’a plu cette fois.
— Je n’ai pas tout compris mais j’ai bien aimé cette fois. Pourquoi n’y a-t-il pas de cours de onze à douze ?
— La prof de français est réquisitionnée pour faire passer des exa-mens je crois, expliqua Mathilde.
— Ce qui fait qu’il ne nous reste que deux heures de gym cet après-midi et ensuite : vacances ! savoura Olivier.
— Je ne sais pas si vous êtes comme moi, dit Florian, j’attends tou-jours les grandes vacances avec impatience, mais quand elles sont là, j’ai l’impression d’un vide, je ne sais plus quoi faire, je me sens un peu désemparé, et vous ?
— Je pense que c’est pour tout le monde pareil, c’est probablement les copains, les copines, le groupe qui nous manque, tenta d’expliquer Quentin.
— On a tous un téléphone maintenant, on pourra se donner des nouvelles, s’envoyer des photos, faire un groupe virtuel, quoi, conclut Amandine.
— Il y a déjà Facebook pour ça, s’amusa Bouboule.
— Pour ma part, je préfère les copains réels aux amitiés virtuelles, décida Gilles. Sur le net, tu ne montres de toi que ce qui te semble bien, ce n’est pas toujours conforme à ce qu’on penserait de toi dans la vie réelle.
— Sans compter que tu peux te faire hameçonner par des gens malveillants, appuya Amadine, s’attirant un sourire complice de Valentin.
— Je propose qu’on fasse un groupe WhatsApp qu’on baptisera « Amitié » annonça Gilles, approuvé de la tête par presque tous les amis.
— Moi, je ne pourrai pas, déplora Eva. Avec mon vieux machin, vous comprenez…
— Quand tu voudras partager quelque chose, tu demanderas le smartphone de Bouboule, il ne demandera que ça, conseilla Gilles avec un clin d’œil à ce dernier.
— Tu nous enverras des photos des maitresses-nageuses de Malibu en maillot de bain rouge, dit Florian à Charly.
— Gros cochon ! interjeta Pauline, la plus femme des filles du groupe.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de cochon dans la photo d’une jolie fille en maillot une pièce, se défendit Florian.
— Je te taquinais, grand sportif.
— Comment fait-on pour créer un groupe ? s’inquiéta Lucie, je ne sais pas faire.
— Tu devras simplement télécharger l’application WhatsApp renseigna Quentin.
— Oui, et quand l’application sera sur ton téléphone, je t’expédierai un message, il suffira que tu l’acceptes pour intégrer le groupe, compléta Gilles.
— Je crois que c’est l’heure de la dernière cantine, observa Olivier. Comme cet après-midi en gym on est séparé, je dis tout de suite au revoir aux filles que je ne reverrai pas. On organisera encore des baignades à la fin du mois d’août, hein Val ?
— Comptez tous sur moi.