Selon son Habitude, Pricaz frappa deux fois à la porte du secrétariat et entra sans attendre l’invitation, un sourire d’excuse aux lèvres. Madame Golliet, occupée à classer le courrier du jour leva les yeux.
– Bonjour monsieur l’inspecteur. Monsieur le principal a dû se rendre à la cité administrative ce matin, mais il sera là à deux heures. Est-ce que je peux faire quelque chose ?
– Bonjour madame, je désire voir les dossiers scolaires de quelques élèves dont voici la liste. Et Pricaz lui tendit la feuille de cahier que lui avait remise Véronique Dunand, la surveillante.
– Les dossiers des élèves sont tous dans cette armoire, classés par ordre alphabétique. Vous sortez ceux qui vous intéressent. Vous pouvez vous installer à ce bureau si vous le désirez.
L’inspecteur alla vers l’armoire métallique remplie de dossiers suspendus étiquetés et consulta sa liste sur laquelle sept noms étaient inscrits : cinq garçons et deux filles.
Au bout de dix minutes d’examen, l’inspecteur se leva.
– Merci madame, j’ai fini. Dites-moi, en plus du principal et de vous-même, combien y a-t-il de personnes disons... administratives ?
– Il y a l’attachée d’intendance et une infirmière à mi-temps. En plus il faut compter le cuisinier, deux femmes de service, le factotum et le concierge.
– Et chacun dispose d’un bureau ou d’un local propre à son activité n’est-ce pas ?
– Bien entendu ! Vous désirez visiter ? Je ne sais pas si...
– Ce n’est pas nécessaire. Chacune de ces personnes dispose d’une clé spécifique ?
– Oui, chaque bureau important ou chaque local contenant des choses ayant une certaine valeur possède une serrure de sûreté.
– Donc il n’est pas possible d’entrer dans une pièce sans en avoir la clé d’origine ?
– C’est ça.
– Et les salles de classe ?
– Les classes ont une serrure ordinaire.
– Qu’y a-t-il au-dessus des classes ?
– Comment au-dessus ?
– À l’étage au-dessus.
– Vous voulez dire dans les combles ? Il y a le débarras du collège : de vieilles tables, des armoires cassées, des livres réformés, de vieux cahiers jaunis. Personne n’y va jamais.
– Et pour y aller quand même, comment fait-on ?
– Au bout du couloir du troisième étage à droite se trouve une porte ouvrant sur un escalier en bois. C’est là.
– Une serrure de sûreté à cette porte ?
– Non, une simple clé. Elle doit se trouver à l’intendance. Vous la voulez ?
– S’il vous plaît.
– Je vais vous la chercher.
– Attendez... et ici, au dessus de votre bureau ?
– C’est pareil, des galetas remplis de vieilleries poussiéreuses. On y va par l’escalier à droite du bureau du principal. Je vous prends les deux clés ?
– Oui, merci.
La secrétaire disparut vivement dans le corridor desservant les bureaux.
« Efficace cette personne ! » pensa le policier.
Comme pour lui donner raison, madame Golliet reparut presqu’aussitôt. Il n’avait pas eu le temps de faire le tour du bureau.
– Excusez-moi de ne pas pouvoir vous accompagner monsieur l’inspecteur mais je suis tenue de rester ici pour...
– Ne vous excusez pas, je trouverai très bien le chemin. Je remettrai les clés au concierge en partant. Au revoir madame.
L’inspecteur monta d’abord l’escalier qui desservait les combles du bâtiment administratif. La serrure de la porte en bois plein résista. Il introduisit la seconde clé dans l’anneau de la première et tourna. Le penne grinça, couina, et sortit de son logement avec un claquement sec. Pricaz donna la lumière par un interrupteur au capuchon de cuivre terni. Une forte odeur de poussière, oppressante et tenace l’entoura. Les quelques pas qu’il fit soulevèrent un nuage de particules qui volèrent dans la lumière parcimonieuse des ampoules nues pendant au bout de leurs fils torsadés. « Personne n’est venu ici depuis belle lurette, rien d’intéressant à découvrir ici » pensa-t-il en tournant les talons pour redescendre.
Dans la cour, le soleil avait disparu, mais l’air frais lui fit du bien. Il respira profondément pour chasser l’odeur de renfermé qui emplissait ses narines. Traversant rapidement la cour, Pricaz déplaça les barrières et monta rapidement les trois étages. La porte n’opposa pas résistance et s’ouvrit sans aucun bruit. « Tiens tiens, cette serrure est mieux entretenue que l’autre » murmura-t-il.
L’escalier en bois était étroit, raide et très sombre. Une action sur le bouton électrique n’eut aucun effet. L’odeur ambiante le surprit: pas du tout celle du premier grenier, épaisse, suffocante, mais au contraire des effluves aromatiques se mêlaient à des relents de tabac de Virginie. Les deux lucarnes, maculées de poussière noire et encombrées de toiles d’araignées ne lui permirent pas de bien distinguer les objets autour de lui. « Faudrait une lampe » bougonna-t-il en faisant demi-tour, « je reviendrai tantôt ! »
La sonnerie libératrice déversa une bruyante marée d’élèves dans les couloirs des étages au moment où Pricaz refermait la porte d’accès au grenier, ce qui lui valut les regards étonnés des grands sortant d’une salle de classe toute proche. Comme ils passaient devant lui, l’inspecteur les dévisagea, les uns après les autres. Certains le défièrent du regard l’espace d’une seconde. Aucun visage ne lui était familier mais il eut cependant le sentiment que plusieurs le reconnaissaient.
Une dame, la cinquantaine bien portée, stricte dans un tailleur pied-de-poule beige et gris, sortit la dernière et leva un regard interrogateur vers le policier.
– Pardon madame, pouvez-vous me dire quelle est cette classe qui vient de sortir ?
– Puis-je savoir qui vous êtes et ce que vous faites ici ?
– Excusez-moi... Inspecteur principal Pricaz.
– Ah bon ! Je préfère ça ! Voyez-vous, tout à l’heure en salle des professeurs, il se murmurait que le décès du petit Lebrun n’était peut-être pas accidentel et j’ai cru un instant que... Je suis madame Landais, professeur d’allemand. Cette classe n’en est pas une à proprement parler mais un regroupement d’élèves de troisième faisant de l’allemand en première langue.
– Des élèves de troisième D parmi eux ?
– Trois seulement. La troisième D n’est pas spécialement brillante et la langue allemande passe pour difficile alors...
– Quels sont ces trois élèves ?
– Attendez. Le professeur sortit un cahier de sa serviette. Il s’agit de Collu Emmanuel, Faivre Benoit et Girand Delphine.
– Avez-vous remarqué quelque chose de particulier à leur sujet ? Un changement dans leur comportement par exemple ou une baisse inexpliquée dans leur résultats.
– Non, sinon qu’ils ont tous été secoués par le drame. C’est normal d’ailleurs, ils côtoyaient Lebrun quotidiennement ; et puis pour eux, la mort semble tellement lointaine que, quand elle frappe quelqu’un de leur âge, ça les marque terriblement.
– Oui, bien sûr. Donc rien de spécial à remarquer sur ces trois là avant le ... drame.
– Non, ce sont des élèves moyens, sauf peut-être Benoit qui est lent et rêveur, mais il était déjà comme ça l’an dernier.
– Bon, je vous remercie madame.
– Au sujet de Lebrun, c’est bien un accident n’est-ce-pas ?
– En l’état actuel de l’enquête, c’est encore l’hypothèse la plus vraisemblable.
– Et quand le saurez-vous de façon certaine ?
– Alors ça, je ne peux pas vous dire !
Dans la cour de récréation, les plus grands parmi les demi-pensionnaires discutaient par petits groupes, attendant le moment de passer à table. Quand Pricaz sortit, les têtes se tournèrent vers lui et les bouches se fermèrent. Véronique, la surveillante, occupée à canaliser les petits à la porte du réfectoire, ne vit pas l’inspecteur qui la regardait en se grattant doucement l’arrière du crâne.