13. Le grenier.
      Pricaz introduisit la clé limée de Vincent Lebrun dans la serrure de la porte du grenier. Elle s’enfonça complètement sans pouvoir tourner. Millimètre par millimètre, l’inspecteur ramena la clé vers lui en donnant à chaque fois un mouvement tournant vers la droite puis la gauche. Au troisième retrait, le panneton mordit et la clé tourna sans difficulté.
La sonnerie de l’interclasse résonna, immédiatement suivie d’une rumeur qui devint vite brouhaha puis vacarme de cris, rires et piétinements. Pricaz referma prestement la porte sur lui et se trouva un instant tout désorienté dans l’obscurité de l’escalier des combles. Il actionna sa torche. Le faisceau lumineux accrocha quelques poussières ambiantes soulevées par ses premiers pas sur les marches.
Dans le couloir, la cavalcade persistait. La porte s’ouvrit brusquement l’obligeant à appuyer vivement le côté lumineux de la lampe contre son anorak, puis elle se referma tout aussi brutalement. Pricaz n’avait rien vu, même pas la silhouette de l’intervenant. Il s’en voulut un instant de ne pas avoir bouclé derrière lui.
Haussant les épaules, il commença son exploration. Des pupitres empilés, des chaises estropiées jetées en tas, des monceaux de vieux livres, un espalier aux barreaux déboîtés occupaient la partie gauche. Vers la droite, une cloison de planches isolait la seconde partie du grenier. Une ouverture de la taille d’une porte en permettait l’accès.
Cinq chaises rafistolées entouraient un vieux bureau de maître, des verres de cantine, retournés sur un torchon à dérouler comme on en trouve dans les toilettes d’établissements publics voisinaient avec une assiette d’épaisse faïence blanche. Au sol, dans une caisse, une douzaine de bouteilles en plastique, presque toutes vides: “Coca-cola“ lut l’inspecteur.
Le policier manoeuvra un tiroir du bureau et en sortit un stock de revues. Très spécialisées ! Il en feuilleta quelques unes : peu de texte mais des photos, et quelles photos ! La pornographie en gros plans, des détails d’une précision à vous dégoûter de l’amour !
De son temps, la revue qui circulait sous le manteau s’appelait « Paris-Hollywood » et les images présentées étaient plus suggestives que précises. La loi, à l’époque, interdisait de montrer le moindre poil et les photographes de ce genre de revue se trouvaient dans l’obligation de jouer avec des ombres savantes et des collants de couleur chair.
Dans le second tiroir, Pricaz reconnut une bouteille de cognac et une autre de whisky, toutes deux largement entamées. « Voilà déjà une explication aux absences prolongées. Il s’agit du siège d’un club secret, de toute évidence. Reste à savoir maintenant qui faisait partie de ce club » murmura-t-il. Le faisceau de sa lampe accrocha à nouveau l’assiette au centre du bureau. Quelques miettes brunâtres y restaient encore. Il sortit de la poche intérieure de son anorak une petite enveloppe et y fit tomber les résidus de l’assiette.

      Madame Golliet, un dossier à la main, sortait du secrétariat au moment où l’inspecteur arrivait.
– Je suis venu vous rendre les clés.
– Avez-vous découvert quelque chose d’intéressant ?
– Beaucoup de poussière !
Madame Golliet se mit à rire et prit les clés.
– J’allais justement à l’intendance, merci.
– Le principal est dans son bureau ?
– Oui, vous pouvez le voir. Désirez-vous que je vous annonce ?
– Ce n’est pas nécessaire. Je peux téléphoner ?
– L’appareil est sur mon bureau. Abaissez le premier commutateur pour avoir la ligne extérieure.
Pricaz composa un numéro et attendit en se massant l’occiput.
« Allô Dussolliet ? Tu as les résultats du labo ? ... Les cheveux, oui... mais pas le même groupe sanguin, c’est ça ? Bon, merci ! »
Le policier frappa deux coups discrets à la porte du bureau de monsieur Blanc qui vint ouvrir lui-même.
– Bonjour inspecteur, votre enquête avance-t-elle ? Asseyez-vous je vous prie.
– Elle avance doucement. Je désire m’entretenir avec quelques élèves de troisième D.
– Donnez-moi les noms, je vous les envoie chercher immédiatement.
– Tenez ! L’inspecteur lui tendit le papier que lui avait remis la surveillante.
Le principal décrocha son téléphone et baissa un commutateur à plusieurs reprises.
« Monsieur Lemercier, vous allez tout de suite chercher en salle... attendez... en salle cent dix les élèves suivants ... Comment ? ... Oui, c’est ça, notez : Chapelle, Meyer, Santo, Villard, Bouchard et Gattaz. Oui, immédiatement. Vous les faites monter dans la salle du conseil. » Puis, se tournant vers l’inspecteur il précisa : elle se trouve à cet étage-ci, au milieu du couloir à droite. Avez-vous besoin de quelque chose d’autre ?
– Pas dans l’immédiat. Ah, si! Gardez-vous les dossiers des anciens élèves ?
– Non, les dossiers sont transmis au nouvel établissement d’accueil : lycée ou lycée professionnel. Pourquoi ?
– Et si l’élève abandonne ses études à la fin de la troisième ?
– Nous gardons son dossier scolaire pendant une année, au cas ou il se raviserait, vous comprenez. Vous pensez à quoi ?
– Rien de très précis encore. Bon, merci. Si j’ai besoin de vous contacter...
– Je suis au collège jusqu’à vingt heures. Nous allons reprendre le conseil de la troisième D avant d’enchaîner avec les sixièmes.
– Très intéressant ! Puis-je y assister ?
– Ce n’est pas très réglementaire... mais étant donné les circonstances, je prends sur moi de vous y autoriser. À dix huit heures dans la salle où vous allez recevoir les six élèves.
– Merci, j’y serai. À tout à l’heure.