16. Deuxième conseil.
– Tous les professeurs de la classe étaient réunis dans la salle du conseil quand l’inspecteur entra en compagnie de monsieur Blanc.
« Mesdames et messieurs, pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, voici l’inspecteur principal Pricaz qui enquête sur le drame de lundi dernier. Il souhaite assister au conseil de la troisième D. Étant donné les circonstances, je pense que nous pouvons accepter que les débats se déroulent en sa présence. Prenons place rapidement s’il vous plaît. »

– Monsieur Pricaz, avez-vous quelque chose de particulier à demander avant de commencer ?
– Oui, plusieurs choses. Je suppose que vous avez l’habitude de parler de vos élèves en les prenant par ordre alphabétique ?
– En effet, nous examinons successivement le travail et le comportement de chaque élève dans l’ordre de la liste.
– Je désire, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, que vous examiniez d’abord les cas de sept élèves qui m’intéressent particulièrement. Parmi eux se trouve le jeune Vincent ; je voudrais que vous fassiez comme si rien...
– Entendu. Autre chose ?
– Oui. Madame Duparc, avez-vous la copie de l’interrogation écrite de Lebrun, celle de lundi ?
– La voici, monsieur l’inspecteur. Elle a été vite corrigée, zéro sur vingt : une seule phrase sans queue ni tête et sans rapport avec le sujet, visiblement copiée sur un voisin guère meilleur que lui.
La feuille passa de main en main jusqu’à l’inspecteur qui n’y jeta qu’un bref coup d’œil.
– Merci madame, puis-je la garder ?
– Si vous voulez.
– Vous souvenez-vous qui était ce voisin ?
– Attendez... je crois que c’était Santo. Vraiment pas quelqu’un sur qui on peut copier !
– Bon, inutile de refaire un tout de table pour décrire l’ambiance générale de la classe que tout le monde maintenant connaît, y compris monsieur Pricaz. Etudions les cas individuels. Nous commençons par qui ? intervint le principal en regardant l’inspecteur.
– Chapelle Yannick.

– Êtes-vous satisfait ? Avez-vous appris quelque chose de nouveau sur ces élèves ? s’enquit monsieur Blanc.
– Je pense connaître un peux mieux la personnalité et le profil de chacun de ces jeunes. Il semble bien que les activités solaires ne figurent pas parmi leurs préoccupations essentielles. Bon, je vous laisse continuer votre conseil. Un grand merci pour votre collaboration. Au revoir mesdames messieurs.

      Au lieu de sonner au portail de fer, Pricaz vint toquer à la porte de la loge. Cette dernière n’était pas éclairée mais on devinait une lumière dans la cuisine, derrière le sas d’entrée. L’inspecteur poussa la porte et avança dans le local : « monsieur Lemercier ?... Monsieur Lemercier vous êtes là ? » Pas de réponse ! Pricaz continua jusqu’à la cuisine et passa la tête par l’entrebâillement de la porte. La lampe posée sur le poste de télévision était allumée mais il n’y avait personne dans le petit appartement.
« Il doit être en train de faire son service de nettoyage » pensa le policier. C’est en faisant demi-tour qu’il vit, contre le mur, au dessus du petit standard téléphonique, pendues à de petits crochets métalliques, une quinzaine de clés. Un rapide examen confirma l’idée qui venait de lui traverser l’esprit : une clé au panneton limé, identique à celle de Vincent, était suspendue sous l’étiquette « débarras ».
Pricaz rebroussa chemin et pénétra dans le bâtiment principal. Monsieur Lemercier était là, balai à la main, seau et pelle à poussière au sol.
– Ah, monsieur Lemercier, je vous cherchais !
– C’est à quel sujet ?
– Je voulais vous dire que vous pouviez enlever les barrières maintenant.
– Pas trop tôt ! bougonna le concierge.
– Dites-moi, comment fait-on pour aller dans les combles ?
– On peut pas, j’ai pas la clé.
– Il n’existe pas de clé ?
– Si, à la loge, mais j’ai pas bien le temps...
– Y allez-vous quelquefois ?
– Moi ? Pourquoi faire ?
– Vous n’y êtes jamais allé ?
– Si, pour remiser des chaises cassées et des vieux bouquins.
– Récemment ?
– Non. Écoutez, j’ai pas bien le temps. J’en ai encore pour une heure au moins, il faut que je continue mon...
– Je vous laisse, monsieur Lemercier, au revoir.
Guste émit un grognement qui, avec beaucoup de bonne volonté, pouvait passer pour un bonsoir et reprit son balai.

      Pricaz se dirigea d’abord vers la gare avant de tourner dans la rue Royale. Il entra dans une librairie afin d’acheter son journal de télévision habituel. Dans le magasin, le présentoir supérieur était copieusement garni de revues spécialisées dans le sexe. Il en feuilleta quelques unes, un peu mal à l’aise. « Voilà bien de quoi exacerber les instincts d’adolescents travaillés par leurs hormones ! Faut pas que laisse tomber cette piste là ! »
Il jeta un bref regard à sa montre : dix neuf heure quinze. « Juste le temps d’acheter à manger pour ce soir, marmonna-t-il en se dirigeant vers le Prisunic, faudra que je fasse de grosses courses demain... si j’ai le temps ! »