Dans un recoin de la cour de récréation, près des préfabriqués, David Meyer et Felipe Santo discutaient à voix basse tandis que Yannick Chapelle éloignait les curieux et les importuns.
– Tu crois qu’on monte aujourd’hui ? fit David en regardant autour de lui.
– T’es dingue ! répliqua Felipe, si on se fait choper maintenant, ils vont nous accuser de tout !
– Faudrait pourtant qu’on planque le matos !
– Pourquoi ? Personne n’ira voir là-haut !
– Ils ont dû trouver la clé de Vincent et ils vont chercher où elle va !
– T’as raison, il vaut mieux tout planquer.
– Faut qu’on trouve le moyen d’y aller sans se faire choper.
– Ouais, écoute, voilà c’que j’te propose : ce soir, on escalade la grille...
– Ça va pas ! Une fois dans la cour, t’es coincé ! Toutes les portes pour aller aux étages sont fermées avec des serrures de sécurité. T’as bien vu les clés chez le Guste !
– J’te cause pas des portes ! Écoute j’te dis, une fois dans la cour, on monte sur le toit du préau par les colonnes ou la gouttière du coin et on passe par une fenêtre du premier.
– Mais les fenêtres sont fermées elles aussi...
– Eh, réfléchis un peu : à cinq heures, juste avant de descendre, on en débloque une. Il suffit de tourner la poignée. Comme ça, on n’aura qu’à pousser un bon coup et hop, dans la place !
– Ouais, ça peut se faire, convint David, mais il nous faudra une autre lampe... Je prendrai celle qu’est dans la bagnole de mon vieux.
– T’as ton passe ?
– Pas sur moi tu penses ! Après la séance d’hier avec le flic, pas question de le garder dans la poche. Heureusement qu’il ne nous a pas fouillés !
– Tu l’as planqué où ? demanda Felipe.
– Là, à côté de toi. Tu vois cette grosse pierre entre le préfa et le mur ? Et bien exactement dessous. Je l’ai mis hier et il y est encore.
– Alors banco pour ce soir ?
– Quand même c’est risqué ! Même s’il trouve la planque, il peut pas prouver que c’est nous. On peut peut-être laisser pisser...
– Mais réfléchis un peu , eh bablet ! Il sait qui est sorti de l’étude lundi, et comme ça ne peut pas être les filles ni Sylvain, il saura que c’est nous.
– Mais ça pourrait être n’importe qui d’une autre classe...
– Non, il aurait vite fait de comprendre que ce n’est pas possible.
– Ouais, t’as raison. Mais pour moi ça va être dur de sortir ce soir.
– Mais non, en rentrant chez toi, tu diras à tes vieux que l’prof de français nous a r’commandé d’aller voir un film qu’on va discuter dessus en classe. Ça marche à tous les coups !
– Bon, alors à neuf heures place Sainte Claire, près des cinés. Je préviens Yannick.
– Merde, ça sonne, tu sais ton anglais ?
– T’es fou, pas eu le temps !
– Il va nous coller une interro c’salaud. Mets-toi à côté de Collu, moi j’pomperai sur Ghislaine.
– On se voit à l’interclasse pour décider des sanctions, d’ac ?
– Ça joue !
Monsieur Combat entra le dernier en salle cent douze.
– Sit down !
Take paper, pen and english book, open it page forty three. Exercises number two, four, seven and eight. You have fifty minutes !
– M’sieur, c’est noté ?
– In english please.
– ...
– Now it’s time to work. Keep quiet !
Le silence se fit petit à petit, ponctué de soupirs, de reniflements et d’insultes grommelées entre les dent s: « ...tain fait ch... »
Monsieur Combat, visage glacé et œil inquisiteur, marcha un instant dans les travées, jetant un regard sur chaque copie, se retournant parfois tout d’un bloc, puis, n’ayant rien décelé d’anormal, se dirigea vers le bureau derrière lequel il s’installa. Il sortit un paquet de copies de sa vieille serviette de cuir fauve et se mit à corriger.
Felipe, du bout de sa règle toucha le dos de Yannick qui, main ouverte dans le dos, reçut le bout de papier plié serré que son ami venait de rédiger. Yannick attendit le bruit d’un raclement de chaise sur le plancher pour ouvrir le billet de son copain.
« Il faut punir la salope, pense à un truc. »
Yannick prit son effaceur, fit disparaître immédiatement la phrase compromettante et se mit à réfléchir intensément. La dénonciation de ceux qui étaient sortis de l’étude lundi dernier ne pouvait pas rester sans suite. Véro, la pionne faisait semblant d’être sympa avec eux, mais en douce, elle leur tirait dans les pattes en les caftant au flic. Il fallait trouver un truc bien embêtant pour elle et surtout bien anonyme, pas dangereux pour eux. Faucher et déchirer le gros bouquin qu’elle laissait parfois sur le bureau de l’étude, ou lui lancer une giclée d’encre bleue dans le dos, ou bien lui mettre un chewing gum bien chauffé dans les cheveux, ou bien encore... Oui, c’est cela, on va demander au frère de Felipe de...
La sonnerie libératrice réunit les trois copains qui reculèrent jusqu’à l’angle du couloir afin de discuter à l’abri de la curiosité des autres potaches. David, le seul des trois qui n’avait pas encore liquidé son complexe des notes demanda :
– Vous avez su faire ?
– On n’en a rien à secouer de son interro, trancha Felipe qui se tourna vers Yannick, tu as trouvé ?
– Ouais. Ton frangin sera à la grille à dix heures ?
– Ben, comme d’habitude.
– Bon, tu lui demandes de s’occuper de la tire de la pionne, elle est sur le petit parking au coin de la rue. Tu lui dis que c’est une deuche grise pourrie, son numéro c’est QV 74.
– Bonne idée.
– Hé les mecs, faut y aller, les autres sont déjà rentrés, coupa David.
– On y va.
L’inspecteur principal Pricaz prit le rapport que lui tendait son adjoint. Le labo avait fait vite cette fois. La feuille de papier ne contenait que deux alinéas après les habituelles formules définissant l’échantillon étudié:
- tabac de coupe fine, probablement de marque « Amsterdamer. »
- résine de cannabis effritée.
« Bon, je n’ai pas perdu mon temps en visitant ce grenier ; reste à trouver le rapport entre ce club un peu singulier et le décès de Vincent. Il faut absolument que je réussisse à tirer les vers du nez des trois qui sont sortis de l’étude sans raison effective. »
L’inspecteur enfila son anorak et quitta le commissariat. Au lieu de se diriger vers la porte Sainte Claire, Pricaz tourna à gauche et grimpa la côte Saint Maurice en direction de la place du château où se trouvait sa voiture personnelle : une 205 presque neuve achetée à un employé des usines Peugeot. Le traitement d’un inspecteur de police, même principal ne permet pas de faire des folies.