Après bien des hésitations et des erreurs d’estimation, Pricaz arriva à la route goudronnée. À droite ou à gauche ? Il opta pour la droite et la descente vers Annecy. Au bout de quelques centaines de mètres, il comprit son erreur et fit demi-tour. Quand enfin il retrouva son véhicule, les dix minutes indiquées par le concierge s’étaient transformées en une bonne demi-heure de marche.
Arrivé place du Paradis, il hésita un instant, jeta un bref regard à sa montre et tourna à droite en direction du centre hospitalier. Le parking intérieur de l’hôpital était plein et il dût ressortir pour trouver un stationnement.
L’inspecteur monta directement à la chambre 273, toqua discrètement et entra. L’homme à la jambe dans le plâtre tourna la tête vers la porte et leva des sourcils interrogateurs.
– Votre voisin n’est plus dans cette chambre ?
– Si, mais il ne tient pas en place, il doit être devant la télé ! C’est au début du couloir.
– Merci, bon rétablissement !
La télévision présentait un reportage sportif sur la précédente journée du championnat de France de football et Féfé, seul et très absorbé, ne perdait pas une image de son sport favori. Il ne détourna même pas les yeux du petit écran à l’arrivée de l’inspecteur qui s’assit à côté de lui.
– Bonjour Féfé.
L’interpelé sursauta et tourna vivement la tête vers l’arrivant.
– Merde, encore vous !
– Je ne peux plus me passer de toi mon vieux, et ta santé m’inquiète, alors je viens te voir.
– Pouvez pas attendre la fin du foot !
– Mais si, mais si !
Le présentateur donna rapidement les résultats de la deuxième division.
– Y donnent même pas le classement complet ces nuls ! On sait jamais la place d’Annecy ou de Grenoble. Y sont vraiment très cons à la télé ! Bon, qu’est-ce que vous voulez encore ? soupira Féfé en se tournant vers le policier.
– D’abord, je suis content de voir que tu vas mieux. Tu sors quand ?
– Demain matin.
– Ah bon. Dis donc Féfé, j’en ai appris de belles sur ton compte, il paraît que tu fais le dealer maintenant ! Tu sais que je peux t’embarquer pour ça ?
– C’est quoi ce que vous disez là ?
– Qui est-ce qui te fournit en haschich ?
– Moi ? Personne !
– Arrête ton cinéma et éteint cette télé. Maintenant tu as intérêt à répondre franchement à ce que je te demande. Qui te fournit la drogue que tu revends aux collégiens ?
– Qui vous a dit ça ? C’est un sale menteur !
– Et ce que tu traînes dans tes poches, c’est des caramels peut-être ? fit l’inspecteur, veux-tu qu’on aille ensemble à l’accueil des urgences pour récupérer tes affaires ?
– J’vois pas de quoi vous voulez causer.
– Bon, alors je vais mettre les points sur les i. Au moment de ton accident, tu avais sur toi une boîte contenant plusieurs barrettes de résine de cannabis et de plus, on sait que tu en vends aux élèves du collège par l’intermédiaire du frère de ton pote Miguel. Alors maintenant, si tu ne veux pas passer directement de l’hôpital à la tôle, tu racontes tout en détail ! Où est-ce que tu vas chercher ton stock ?
– Ben... A Grenoble.
– Qui est-ce qui te fournit ?
– J’sais pas son nom, c’est lui qui m’aborde. Il suffit que j’traîne place Grenette le mercredi.
– Comment opérez-vous ?
– Y m’demande combien; j’y dis la somme que j’ai et y r’vient un quart d’heure après avec une boîte d’allumettes et la marchandise dedans.
– Il ressemble à quoi ton fournisseur ?
– Ben j’sais pas exactement...
– On verra plus tard. Il y a longtemps que ceux du collège t’en achètent ?
– Mais y m’en achètent pas à moi !
– Tu en vends à Miguel qui le revend aux autres, c’est ça ?
– Miguel en file un peu à son frangin, mais presque rien, et puis ça peut pas faire de mal !
– Tous ceux qui se shootent commencent comme ça et disent la même chose. Tu en tâtes toi aussi, non ?
– Un joint de temps en temps, ça peut pas faire de m...
– Tu te répètes et tu te trompes. Pourquoi es-tu rentré dans le collège lundi dernier à cinq heures ?
– Là vous vous gourez, j’vous jure ! Ça fait deux ans qu’j’ai quitté l’bahut et j’y r’mettrai jamais les pieds !
– Alors qu’est-ce que tu faisais là-bas lundi dernier ?
– Bon, d’accord, vers trois heures on était d’vant l’collège. Ya Migue qui voulait voir son frelot, mais après on a été chez un copain qu’est tôlier-carrossier pour faire un’ soudure à la fourche de ma mob et puis on a acheté des repose-pieds pour celle de Migue.
– Tu me donnes l’adresse de ton soudeur et celle du marchand d’accessoires.
– Vous m’croyez pas ?
– On vérifie toujours.
– Là, vous pouvez !
Pricaz rangea son carnet et emprunta l’escalier menant au hall d’accueil. Il allait bien entendu vérifier les dires de Féfé, pour la forme, mais il était déjà intimement persuadé que celui-ci lui avait dit la vérité.
Sa quatrième piste, après celle des copains de Vincent, de Géraldine et du concierge s’avérait elle aussi être une impasse. Il avait pourtant parfaitement réussi à élucider la mystère de l’absentéisme des troisièmes D à l’étude du lundi. Il lui fallait maintenant réfléchir sérieusement à ce sujet : prévenir le principal ou passer outre ? Avertir les parents de ces jeunes ou espérer que la peur qu’ils ont eue serait suffisamment dissuasive pour l’avenir ?
Il essaya de se mettre à la place des collégiens. Bien sûr un silence complice aurait eu sa préférence à l’époque de sa jeunesse ! L’inspecteur soupira. A ce moment là, les problèmes étaient tout autres ! La fin guerre n’était pas très loin et ceux qui allaient au collège pouvaient s’estimer heureux ! Enfin, il avait plus ou moins promis à ces jeunes d’arranger les choses. Cela valait probablement mieux d’ailleurs. Délicates, les affaires concernant les mineurs, surtout à propos de drogue ; et ce sont bien entendu les jeunes les plus fragiles psychologiquement qui se laissent tenter, ceux à qui un scandale ferait le plus de mal, évidemment !
Et la mort du jeune Lebrun ? Vincent n’avait pas pu tomber seul dans cet escalier ! La journée de classe était terminée, ses copains et copines étaient partis, pourquoi donc était-il remonté ? C’est la réponse à cette question qui lui donnerait la solution.