27. Préparatifs.
– Monsieur le Principal, je désire que vous réunissiez six élèves de troisième D pour dix heures.
– C’est vraiment nécessaire ?
– Cette classe va en éducation physique à ce moment-là, ça ne devrait pas vous gêner beaucoup. Je veux aussi quelques professeurs : physique, anglais, français, math et gymnastique.
– C’est que...
– C’est indispensable !
– Mais qui va garder les autres élèves pendant ce temps-là, je n’ai qu’une surveillante aujourd’hui...
– Vous n’avez qu’à les laisser en récréation dans la cour car je veux aussi mademoiselle Dunand.
– Mais je ne sais pas si je...
– Vous assisterez vous aussi à cette réunion, monsieur le principal.
– J’ai un travail important...
– Rien n’est plus important que de découvrir la vérité, vous êtes bien d’accord ?
– Oui, bien sûr, mais que vont penser les parents d’élèves, ils sont sur le pied de guerre dès qu’un professeur est absent, alors là...
– Leur avis vous inquiète tant que cela ?
– N...on, mais je serai obligé de faire un rapport à l’inspecteur d’académie !
– J’en ferai un également pour les archives de la police.
– À quelle heure avez-vous dit ?
– Dix heures ! Je veux que votre secrétaire, le concierge et le factotum soient là également.
– Bon, je vais prendre des dispositions. Donnez-moi les noms des élèves. Votre réunion aura lieu dans la salle polyvalente, au rez-de-chaussée. Ma présence est vraiment nécessaire ?
– Absolument.

      Pricaz, descendu dans la cour, consulta sa montre : encore une demi-heure avant la grande lessive en commun. Il allait jouer une partie de poker plutôt risquée et cherchait le meilleur choix tactique : attaquer d’emblée par un coup de bluff en accusant par exemple le concierge qui ne manquerait pas de se défendre, peut-être en lançant une autre accusation ; ou bien laisser s’établir un climat de malaise et de suspicion sachant fort bien qu’une insinuation judicieusement placée peut déclencher toute une série de réactions. Bah, il aviserait au dernier moment.
Il ouvrit la porte du bâtiment principal et observa l’escalier tragique qu’il monta lentement en glissant sa main droite sur la rampe. Arrivé sur le palier du premier, il s’attarda devant l’angle du mur qui fut fatal à Vincent Lebrun. Au moment ou il fut poussé, ce dernier devait faire face à son meurtrier, dos à l’escalier. La poussée avait dû être violente pour réussir à projeter contre le mur, avec de telles conséquences, un sportif comme Vincent. Il fallait donc posséder une certaine force physique, à moins que...
Pricaz continua son inspection et monta à l’étage suivant. À l’angle du couloir du second niveau, une porte présentait plusieurs verrous alors que les autres classes fermaient par une simple serrure. « Étrange que je n’ai pas remarqué cela plus tôt, qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de si précieux pour nécessiter une telle défense ? » se dit l’inspecteur en se massant la nuque.
Arrivé devant la porte du grenier, Pricaz tourna sans succès la poignée. Il sortit la clé limée de Vincent, ouvrit et monta avec précaution l’escalier obscur. Le jour tombant parcimonieusement de la lucarne lui permit cependant de se rendre compte que rien n’avait bougé : les piles de livres, les amoncellements de vieux mobilier, le bureau entouré de chaises rafistolées. Les bouteilles et les revues étaient toujours dans les tiroirs. Pricaz redescendit et ferma soigneusement la porte d’accès aux galetas.
Les divers bruits entendus derrière chaque porte de classe soulevèrent en lui une vague de souvenirs de jeunesse : cette enfance scolaire qu’il avait eu tellement hâte de quitter avait laissé dans son cœur et sa mémoire des traces indélébiles. Il eut soudain envie de revenir trente-cinq ans en arrière et d’être élève dans une de ces classes, dans l’odeur d’encre et de craie, avec un professeur marchant lentement dans les travées...

      Revenu dans la cour, l’inspecteur se dirigea vers les préfabriqués. Il se glissa dans l’étroit passage séparant ceux-ci du mur de la propriété voisine et souleva quelques pierres du bout de sa chaussure : la clé était là, déjà tâchée de rouille. « Il y en a au mois un qui à dit la vérité » murmura-t-il en évoquant mentalement le petit David Meyer.
Un nouveau coup d’oeil aux aiguilles de son bracelet-montre lui apprit que son adjoint allait arriver. Il se dirigea vers le portail d’entrée, suivi par les grands yeux bleus étonnés de Véronique Dunand debout près d’une vitre de la salle de permanence.
Col relevé, mains dans les poches, il se planta au milieu du large trottoir désert. Les petits loubards privés de leur chef Féfé ne traînaient plus dans le quartier. Pas de circulation non plus dans les rues bordant le collège, c’était le calme absolu dans la grisaille du brouillard matinal. Un halo de clarté dans le ciel indiquait cependant que le soleil n’était pas loin. Une 305, phares allumés, capot barré du mot « POLICE » écrit de droite à gauche, se gara sur le trottoir au moment ou la sonnerie de la récréation de dix heures retentissait. Pricaz attendit que Dussolliet fut descendu pour répondre au salut de son adjoint.
– Bonjour, viens prendre un café dans la rue Sainte Claire le temps qu’ils se réunissent... Ils peuvent bien attendre un peu ! Et puis ce n’est pas mauvais de les faire mijoter !