29. Découverte.
      Quand le dernier élève fut sorti, un brouhaha de conversation s’installa, chacun s’indignant des ridicules soupçons de l’inspecteur à son égard. Pricaz avait accompagné son adjoint jusqu’à la porte, lui glissant quelques mots à l’oreille en aparté. Son retour fit taire les discussions.
Monsieur Combat attaqua le premier :
– Vous comptez nous garder longtemps dans cette situation invraisemblable ? Si vous avez des soupçons ou des présomptions contre l’un d’entre nous, dites-le et qu’on en finisse !
– Monsieur heu... Combat, vous savez que rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. La vérité est rarement toute nue. Je m’explique : un fait précis a sûrement déclenché le drame mais les causes réelles qui ont conduit à cet aboutissement peuvent être plus profondes et cachées.
Je cherche les raisons pour lesquelles Vincent avait changé de comportement depuis quelque temps, car il n’était plus le garçon sain et franc que vous connaissiez depuis plusieurs années, monsieur Lathuille. Vincent venait de changer ses priorités : le sport qu’il adorait était passé au second plan de ses préoccupations. Les études n’ont jamais été son fort, mais ces dernières semaines, la baisse des résultats a été plutôt spectaculaire, n’est-ce pas monsieur Combat ? Et même son attitude envers sa petite amie - personne ici n’ignore que c’est Géraldine Gattaz – s’était modifiée sensiblement.
Le jour du drame, Vincent n’a pas eu un comportement habituel avec ses copains. Quelque chose le tracassait au point de le rendre indifférent à l’ambiance électrique qui régnait au début du cours de madame Duparc, lui qui d’habitude était dans les premiers à chahuter. Qu’est-ce qui tourmentait Lebrun et pourquoi réellement est-il remonté dans le bâtiment principal après les cours sous prétexte de récupérer un classeur oublié ?
Par ailleurs, j’ai la certitude qu’il a été poussé violemment contre l’angle du mur au sommet de l’escalier du premier étage. Qui a pu accomplir ce geste ?
Vous, monsieur le principal, irrité de voir un élève contrevenir aux règles de l’établissement ?
Vous, monsieur Combat ou vous monsieur Vanderaert, pris à partie pour une histoire de note jugée imméritée par un élève en pleine crise d’adolescence ?
Vous, monsieur Lathuille, après avoir découvert que votre meilleur élève abusait de votre confiance ?
– Pourquoi voulez-vous que ce soit obligatoirement quelqu’un appartenant à mon établissement ? questionna le principal.
– Mon enquête s’est d’abord orientée vers une personne extérieure au collège, mais cette hypothèse s’est vite révélée improbable.
– Si je comprends bien, vous êtes dans l’impasse actuellement ? déduisit le prof de math.
– Une impasse pleine de coupables possibles ! Ce n’est pas le vide mais le trop-plein. Je connais déjà le comment, il reste à savoir le pourquoi pour trouver l’auteur de cet acte.
– Nous réunir pour jeter la suspicion sur nous, et devant des élèves, c’est intolérable ! aboya le professeur d’anglais.
– J’ai beaucoup de mal à admettre que vous ayez pu m’inviter à trinquer avec vous alors que vous me soupçonniez. Je n’aime pas ceux qui ne jouent pas franc-jeu ! fit monsieur Lathuille.
– Vous imaginez vraiment qu’un professeur puisse accomplir un tel acte sur un de ses élèves et se taire ensuite ? C’est impensable ! ajouta monsieur Mermillod.
– Écoutez messieurs-dames, rien n’est plus important pour moi que la découverte de la vérité. Il est dans notre rôle de policier de fouiller pour la découvrir. Ce n’est pas toujours agréable, loin s’en faut ! J’espérais trouver des alliés parmi vous, des gens suffisamment empreints d’idéal pour vouloir connaître cette vérité...
Le retour de l’inspecteur Dussolliet détourna un instant l’attention, soulageant Pricaz qui, mal à l’aise, plongea une main dans la poche de son anorak à la recherche d’un mouchoir. Il s’essuya le front où perlaient quelques gouttes de sueur. Parler en public n’avait jamais été son point fort et cet exercice était toujours une épreuve pour lui.
Il ôta son anorak qu’il jeta sur le comptoir de la bibliothèque, laissant apparaître la doublure. Un peu de papier blanc émergeait de la poche intérieure. Pricaz, machinalement, sortit la copie de physique de Vincent qu’il agita devant son visage, comme un éventail.
Dussolliet, psychologue, vint se placer près de l’inspecteur principal, lui assurant le soutien moral qui lui manquait. Dehors, le brouillard venait de se déchirer et un large rayon de soleil pénétrait dans la grande salle où se tenait la réunion.
Les professeurs ne désarmaient pas.
– Est-ce que vous vous rendez compte du préjudice moral que vous nous infligez ? demanda madame Duparc.
– Contrairement à ce que vous avez dit au début, vous n’avez pas la solution ! accusa le principal.
– Pricaz, dans un geste machinal pour se protéger du soleil leva la copie de Vincent qu’il plaça à hauteur de ses yeux pour mieux scruter l’assemblée. – J’ai pour le moment trop de solutions et...
– Attendez un peu, coupa l’inspecteur Dussolliet, permettez ? Et il prit la copie des mains de son collègue. Quelqu’un peut-il me prêter un stylo ? lança-t-il à la cantonade. Monsieur Mermillod lui tendit le crayon qu’il manipulait toujours.
À plusieurs reprises, Dussolliet leva la copie de Vincent vers la lumière dorée qui tombait généreusement des fenêtres, écrivant chaque fois quelque chose sur le papier. – Regardez inspecteur, voilà pourquoi les deux premiers mots étaient soulignés. C’était le début d’une sorte de message. D’autres lettres ont été soulignées au crayon puis les traits ont été gommés, mais on les devine encore à contre-jour. Pricaz regarda la copie, sourcils froncés, puis il se passa la main dans les cheveux et se massa longuement la base du cou.
– Madame Duparc, avez-vous rendu l’interrogation écrite de lundi dernier.
– Non, je la rends ce soir. J’ai les copies dans ma serviette.
– Pouvez-vous me donner celle de Sylvain Villard je vous prie ?
– Oui, bien sûr, fit le professeur de physique en fouillant dans son cartable, mais pourquoi diable...
– Donnez, merci !
Pricaz saisit la copie et la mit devant ses yeux face au soleil. Il prit le crayon des mains de son adjoint, griffonna quelques lettres sur le bas de la feuille, puis ses yeux firent lentement le tour de l’assemblée.
Enfin il articula :
– Mademoiselle Dunand, pourquoi avez-vous tué Vincent Lebrun ?