L’ambulance des pompiers coupa son avertisseur en franchissant le portail de fer du collège, ouvert à deux battants. Le gyrophare jetait ses éclairs bleus sur le mur du bâtiment principal donnant un masque tragique aux visages défaits des professeurs. La Renault 5 blanche du SAMU suivait immédiatement derrière. Le médecin sortit avant l’arrêt total.
– Où ?
– Ici, docteur. Monsieur Blanc maintint la porte ouverte et appuya une fois de plus sur le bouton de la minuterie.
– Vous ne l’avez pas touché, pas bougé ? demanda le médecin en se tournant vers monsieur Lathuille toujours agenouillé près de Vincent.
– Non, non. Nous l’avons trouvé exactement dans cette position. J’ai simplement essayé de sentir ses pulsations pendant qu’on vous appelait, mais... Il se releva pour faire place au médecin qui glissa son stéthoscope sous le pull.
– Ne peut-on avoir plus de lumière ?
Le conducteur de la Renault 5 manoeuvra et dirigea les phares de la voiture vers la porte toujours maintenue ouverte par monsieur Blanc. Le médecin passa avec délicatesse ses mains sous le creux de la nuque de Vincent puis il regarda attentivement ses pupilles avant de lui relever la manche du bras gauche. Il regarda longuement le creux du coude de l’adolescent. Finalement, le médecin releva la tête avec une moue significative.
– Plus rien à faire !
« Il est mort... Il est mort... » Les professeurs, hébétés, assommés par l’affreuse réalité se répétaient l’incroyable constat. « Il est mort... »
– Qui est le responsable ici ? s’enquit le médecin.
– Je suis monsieur Blanc, principal de ce collège.
Le docteur poussa monsieur Blanc par un coude, l’écartant du groupe des enseignants.
– Monsieur le principal, ce jeune est un élève de votre établissement ?
– Oui, Vincent Lebrun, il est en troisième D.
– Il était, monsieur. Il s’agit d’une mort violente, accidentelle selon toute probabilité : chute et fracture du crâne ou des vertèbres cervicales, mais la police doit quand même être avertie. Il est préférable que ce soit nous qui la prévenions par radiotéléphone pour gagner du temps. De mon côté, je ferai un rapport, j’y suis obligé. La police se chargera de prévenir la famille à moins que vous...
– Je vais faire le nécessaire. Cela va être un coup terrible pour eux. C’est... C’était leur seul enfant.
– Attendez que la police soit là avant de téléphoner aux parents, c’est de beaucoup préférable. Ils vont devoir faire leurs constatations avant d’autoriser le transport du corps. Autre chose, monsieur le principal, y a-t-il eu des problèmes de drogue dans votre collège ?
– N... Non, pas que je sache...
– Parlez-moi franchement, c’est très sérieux. Ce que vous me direz restera rigoureusement confidentiel.
– Écoutez docteur, je n’ai aucune certitude; simplement, il y a quelques jours de cela, un des mes surveillants, mademoiselle Dunand, m’a signalé que les toilettes des garçons étaient une vraie tabagie. Je suis descendu pour me rendre compte et en effet ! Mais, outre l’âcreté de la fumée du tabac, j’ai cru discerner une odeur plus douceâtre, inhabituelle.
– De l’herbe, comme ils disent, probablement. Rien de plus inquiétant : acide ou même cocaïne ?
– Bien franchement, je ne pense pas.
– Avez vous remarqué un comportement étrange ou inhabituel chez ce jeune heu... Vincent ?
– Nous en parlions en conseil de classe, juste avant le drame. Monsieur Lathuille, celui que vous avez vu près de Vincent, faisait remarquer un certain absentéisme à ses séances d’entraînement mais ce comportement était simplement celui d’un adolescent qui découvre l’amour et qui change ses priorités.
– Vous aurait-on signalé des individus traînant régulièrement aux abords du collège, en particulier au moment des sorties ?
– Monsieur Lemercier, le concierge, m’en a parlé effectivement. Quelques jeunes, plus ou moins marginaux, stationnent souvent près du portail, mais de là à soupçonner...
– Ne tirons pas de conclusion hâtives. On ne peut rien affirmer avant d’avoir fait un examen plus complet du corps. Cet examen devrait avoir lieu demain à l’hôpital. Je vous recommande la plus grande discrétion sur ce chapitre.
– Bien évidemment !
Le break 305 de la police s’immobilisa derrière la voiture du SAMU. Deux policiers en descendirent et s’activèrent immédiatement. Avec un détachement méticuleux, le premier policier prit des photos. Les flashes, accentuant la réalité du drame, firent sursauter les professeurs toujours dans la cour. Puis il dessina à la craie blanche les contours du corps avant d’examiner l’escalier, marche après marche.
L’autre sortit un carnet fatigué de sa poche de vareuse. Monsieur Blanc s’avança vers lui.
– Je suis le responsable de ce collège, monsieur l’agent.
– C’est un élève à vous ?
– Il s’agit de Vincent Lebrun, un élève de troisième.
– Son adresse ?
– Pour vous répondre avec précision, il faut aller consulter le fichier au secrétariat. Je pense qu’il habite avenue de Loverchy, pas loin d’ici.
– À quelle heure l’avez vous découvert ?
– Plus précisément, c’est monsieur Lemercier, le concierge qui l’a trouvé. Il devait être aux alentours de dix huit heures trente. Nous étions en conseil de classe, la classe de Vincent...
– Que faisait-il à cette heure dans le collège ?
– Il avait cours jusqu’à dix sept heures je crois, mais je dois consulter le tableau des emplois du temps pour en être tout à fait sûr. Si vous le désirez, on peut demander aux professeurs...
– Plus tard ! La famille est-elle prévenus ?
– J’allais m’en charger.
– Bon. Faites-le. Mais auparavant, pouvez-vous condamner cette porte ainsi que l’escalier ? Personne ne doit passer par là avant que l’inspecteur qui sera chargé de l’enquête vous en donne l’autorisation.
– Je vais faire le nécessaire.
Le policier se tourna vers le médecin.
Vous pouvez faire emmener le corps maintenant.
Les portes arrières de l’ambulance des pompiers se refermèrent sur la civière portant le corps de l’adolescent maintenant recouvert d’un drap blanc. Le fourgon fit demi-tour dans la cour du collège et s’éloigna, sirène silencieuse, par la route du Crêt du Maure, vers le centre hospitalier.
Dans l’anonymat de la nuit, quelques larmes silencieuses perlèrent aux yeux fatigués des professeurs de Vincent.