31. Aveux.
      Pricaz dut soutenir la jeune fille pendant la montée au premier étage vers le bureau du principal, ses jambes refusaient de la porter. L’inspecteur la guida jusqu’à une chaise sur laquelle elle se recroquevilla. Il s’assit sur un coin du bureau et, gêné par ce désespoir silencieux, il dit d’une voix presque douce :
– Mademoiselle Dunand, il faut que vous me disiez tout si vous voulez que je vous aide.
Elle leva des yeux ravagés de chagrin vers le policier.
– M’aider ? Mais personne ne peut plus m’aider, ma vie est fichue...
– Racontez-moi tout depuis le début, Vincent n’était pas pour vous un élève comme les autres n’est-ce pas ?
Véronique renifla et répondit d’une petite voix serrée par la douleur :
– Au début, si ! Il était comme tous ceux de sa classe, pénible, chahuteur, mais je me suis vite rendue compte qu’ensuite il s’était mis à me regarder d’une façon étrange, insistante, gênante même. Mais comme les autres ne s’apercevaient de rien... d’autant plus que, dans la cour, Vincent était toujours avec Géraldine.
– Alors que voulait-il ?
– Je pensais qu’il voulait simplement une... grande amie, quelqu’un d’un peu plus âgé pour discuter. Un jour, pendant la récréation de la demi-pension, nous avons parlé sport. Il m’a demandé si j’aimais le tennis, le volley, le ski et quelle activité je pratiquais. Un autre jour, nous avons parlé cinéma. A la fin, il m’a demandé si je voulais aller avec lui voir la version longue du « Grand Bleu ».
– Qu’avez-vous répondu ?
– Je lui ai dit que peut-être, mais plus tard. Je me rends bien compte maintenant que ça l’a encouragé... Si j’avais su... Il avait toujours sa petite amie, alors je n’attachais pas trop d’importance à ses regards appuyés, du moins jusqu’à lundi dernier. À la fin de la demi-pension, il m’a carrément demandé de sortir avec lui.
– L’avez-vous encouragé à ce moment là ? Que lui avez-vous dit ?
– Je ne lui ai pas répondu, d’autant que c’était l’heure de la reprise des cours. Ce jour-là, j’ai vu revenir avec inquiétude l’heure d’étude avec la troisième D. La classe s’est montrée pénible et agitée mais pas plus que d’habitude. Vincent me regardait avec insistance ; il avait l’air bizarre, un peu comme... un homme. Mais il n’est pas resté longtemps, pas plus de dix minutes...
– Savez-vous ce qu’il a fait pendant son absence ?
– Je suppose qu’il s’est rendu aux toilettes pour fumer des cigarettes.
– Continuez mademoiselle.
– À la fin de la dernière heure de cours, je suis allée dans le bâtiment principal pour faire mon travail de surveillance. Je suis censée empêcher le chahut à la sortie et vérifier qu’il n’y a plus personne dans les classes. J’ai commencé par le second étage. Vincent m’a rejointe en salle 223, il m’a suivie dans toutes les classes ; il me redemandait de sortir avec lui. Je ne lui répondais pas. Quand je suis descendue au premier, il m’a encore suivie. Il n’y avait plus personne. C’est là qu’il m’a prise dans ses bras pour essayer de m’embrasser. Je lui ai dit d’arrêter immédiatement, alors il m’a... caressé les seins, enfin non, pas vraiment caressé, il appuyait violemment et il cherchait à plaquer son ventre contre le mien. Il... Il... Alors j’ai crié non, très fort et je l’ai repoussé à deux mains juste au moment où il me lâchait. C’était au niveau de l’escalier. Sa tête a heurté le coin du mur. Il a aussitôt porté ses mains à sa nuque, fait un pas de côté et mis le pied sur la dernière marche. Sa cheville a dû tourner et sa jambe est passée à travers les barreaux; il est tombé à la renverse. J’ai entendu un horrible craquement, puis un choc sourd. Je me suis sauvée... Personne ne m’a vue. Je tremblais, j’avais peur de ce qui était arrivé.
Quand ma panique s’est un peu calmée, je suis retournée vers le collège. J’ai vu la lumière bleue des pompiers puis la voiture de la police et je n’ai pas pu, je n’ai pas pu...
– Mais ensuite, pourquoi n’avez-vous pas tout dit ? j’aurais compris !
– Le lendemain, je ne suis pas allée en cours à Grenoble, je suis restée chez moi à essayer de réfléchir et à pleurer...
– C’est un accident, vous n’avez pas voulu tuer Vincent !
– Oh non ! mais si je m’étais dénoncée, il y aurait eu un procès...
– Vous n’auriez pas été condamnée ou alors à une peine légère avec sursis.
– Mais vous ne comprenez pas, je veux être institutrice ! À l’École Normale on n’accepte jamais quelqu’un qui a un casier judiciaire... De toute façon, maintenant, tout est perdu, tout est fichu ! Pour une bêtise dont je ne suis même pas responsable... Pauvre Vincent... Pauvre Vincent...
Véronique qui s’était un peu animée pendant son récit se replia à nouveau sur elle-même, visage dans les mains, avant-bras appuyés sur les cuisses dans une attitude de total renoncement.

Le policier, ému, se leva lentement et posa la main gauche sur l’épaule de Véronique. De l’autre, il décrocha le téléphone et baissa le commutateur correspondant à la salle polyvalente.
– Allô, Dussolliet ? Tu montes tout de suite !