18. Mardi 17 juin 1997 : le directeur de la prison.
      Le directeur déclencha son signal d’appel.
En voyant la petite lampe verte s’allumer, immédiatement Durieu se leva de derrière sa table de travail, frappa et entra dans le bureau directorial.
— Oui, monsieur le directeur ?
Le directeur regarda longuement et pensivement l’ancien instituteur.
— Durieu, asseyez-vous.
— Je peux rester debout monsieur…
— Asseyez-vous !
— Bien, monsieur le directeur.
L’homme déplia un feuillet marqué du sceau de la Marianne.
— J’ai une mauvaise nouvelle pour vous, Durieu.
L’ancien instituteur n’eut aucune réaction apparente. Il se contenta de regarder plus attentivement son interlocuteur.
— Vous avez encore vos parents ? Vous avez encore de la famille, Durieu ?
— Je ne sais pas mons…
— Comment vous ne savez pas ?
— Je n’aime pas parler de ma famille, monsieur. D’ailleurs, personne n’est jamais venu me voir, je n’ai aucune nouvelle et je ne sais même pas si…
— Durieu, j’ai là une lettre de maître Barani, notaire à Nice. Cette lettre m’informe du décès de votre père, il y a trois mois de cela. Je suis désolé pour vous.
Durieu baissa la tête et ferma un instant les yeux. Un imperceptible affaissement des commissures de ses lèvres fut la seule expression qu’il se permit.
— Durieu, vous êtes un détenu et moi, je suis de l’autre côté, mais ceci étant, je ne suis pas votre ennemi, vous le savez ?
Durieu leva les yeux, regarda le directeur d’un air intrigué. Il décida d’entrer dans le jeu paternaliste du directeur. Il hocha la tête.
— Vous ne vous entendiez pas avec votre père ?
— …
— Vous pouvez vous taire, je ne vous en tiendrai pas rigueur.
— Je me suis disputé avec mon père quand j’avais vingt ans. Pour une bêtise dont je ne me souviens même plus… Ni lui ni moi n’avons jamais voulu faire le premier pas…
— Je vois. Cela arrive dans beaucoup de familles malheureusement. Je ne sais pas pourquoi on n’a pas été prévenu à temps. Une permission exceptionnelle pour assister aux obsèques est quelquefois accordée en pareilles circonstances. Vous saviez que votre père habitait Nice ?
— Je ne le savais pas. Il travaillait dans une banque à Annecy quand… Il a dû prendre sa retraite sur la Côte d’Azur.
— C’est le rêve de beaucoup. Et votre mère ?
— J’ai perdu ma mère quand j’étais petit.
— J’en viens au but de cette lettre.
Le directeur secoua le feuillet qu’il tenait à la main.
— Durieu, Maître Barani souhaite vous voir. Barani, ce nom ne vous dit rien ?
— Rien du tout mons…
— Vous êtes ici depuis combien de temps, Durieu ?
— J’ai été arrêté le 23 mars 1978 à 15 heures, monsieur le directeur. Cela fait 19 ans 2 mois 25 jours.
— Toujours aussi précis, Durieu. Voyons… Presque les deux tiers de la peine… Oui, cela peut passer… Durieu, je vais faire pour vous une demande de permission de sortie conditionnelle exceptionnelle auprès du juge d’application des peines. Vous avez eu une conduite exemplaire, vous êtes bien noté, je vais insister un peu et je pense qu’il accordera une suite favorable à notre demande. Comme ça vous pourrez, sous certaines conditions bien sûr, vous rendre à Nice. Qu’en pensez-vous ?
— Bien, monsieur le directeur.
— Vous ne sautez pas de joie à l’idée de sortir d’ici ? Oh, oui, c’est vrai que les circonstances…
— La joie m’a quitté le 23 mars 1978, monsieur…
— Bien sûr, bien sûr. Bon, précisons les choses. Si la demande est acceptée, pour vous rendre à l’étude de maître Barani, le plus rapide, c’est le train.
— Monsieur le directeur, quand on m’a arrêté, j’étais encore un instituteur presque débutant, je n’avais pas d’économies. Je n’ai pas d’argent, je ne pourrai pas payer le billet de train.
— Écoutez Durieu, votre travail ici vous a placé sous le même statut que ceux qui travaillent à l’atelier de la prison et vous avez été rémunéré au même niveau qu’eux. Vous êtes à la tête d’un petit pécule qui peut vous permettre de faire face pendant quelques jours. Vous serez libre d’utiliser votre temps et votre argent comme vous l’entendrez. Trois obligations cependant. Un : celle d’une conduite irréprochable, mais pour ça je vous fais confiance. Deux : vous devrez vous présenter au commissariat de police chaque jour pour faire viser votre permission. Trois : vous devrez être de retour ici ponctuellement à l’heure précisée. Êtes-vous d’accord ?
— Ne serait-il pas plus simple que le notaire, heu… maître Barani vienne ici ?
— Vous ne voulez pas sortir, Durieu ?
— Je ne sais pas monsieur le directeur, tout ceci est si soudain.
— Durieu, dans moins d’un an, vous pourrez faire votre demande de mise en liberté. Je vous mettrai un avis très favorable. La réduction de peine pour bonne conduite sera très certainement accordée. Je vous conseille donc de faire ce premier essai pour vous réhabituer à la vie civile. Pensez aussi que si cet essai est concluant, il pourra se renouveler. Allez, prenez ce formulaire, vous qui avez l’habitude de les remplir pour les autres, travaillez un peu pour vous maintenant !
Vous pouvez aller.