— Vous voyez, Durieu, que le juge d’application des peines vous a accordé cette nouvelle permission !
— C’est grâce à vous monsieur le directeur, je vous en remercie.
— Votre demande de remise de peine a maintenant toutes les chances d’aboutir. Votre libération anticipée pourrait avoir lieu dès le mois de mars prochain. En attendant, profitez bien de votre permission. Commencez à réfléchir à votre réinsertion. Rappelez-vous que devez être de retour dimanche 28 à 17 heures, dernier carat.
— Aucune chance pour que j’oublie, vous pouvez compter sur moi, monsieur le directeur.
— Avant de partir, posez donc votre prochaine « perm » comme disent les militaires. Quelle période vous conviendrait ? Dans trois mois, pour les fêtes ?
— Pour la Toussaint, monsieur le directeur. J’aimerais aller sur la tombe de mes parents.
— Le motif est parfaitement plausible. Très bien, fixons donc la date au… voyons… au vendredi 31 octobre. Retour le dimanche 2 novembre. Remplissez tout de suite le formulaire, Durieu, je le fais parvenir au juge lundi dès votre retour.
— Je ne sais pas comment vous remercier monsieur le directeur.
— La réinsertion réussie des détenus est notre plus grande fierté professionnelle, Durieu. Faites en sorte qu’on soit fier de vous !
— Allo, Guy ?
— C’est toi Jean ?
— Bien sûr que c’est moi.
— Tu es où ?
— Je t’appelle depuis une cabine publique. J’arriverai vers dix-huit heures à la gare de Grenoble. Viens me chercher.
— D’accord, j’y serai.
— Jean ! Oh, Jean ! Je suis là !
Le visage de Jean se ferma. Il se dirigea vers son frère sans répondre aux grands gestes des bras de celui-ci. En passant à côté de lui, il gronda :
— Tais-toi ! Je ne veux pas que nous soyons vus ensemble, que quelqu’un se souvienne de nous. C’est ton intérêt autant que le mien. La voiture ?
— J’ai fait une bonne affaire, une 205 de quatre ans, en super état, soixante mille kilomètres pour moins de trente mille francs.
— Ce n’est pas ça que je te demande !
— Je suis garé avenue d’Alsace-Lorraine.
— Passe le premier, je te suis à vingt mètres. Sois prêt à démarrer.
— Vas-y roule !
— Pourquoi tant de mystère, Jean ?
— Tu comprendras plus tard.
— J’ai réfléchi, Jean. Tu es sûr qu’on ne peut pas s’arranger autrement ? Franchement, je suis mort de trouille à l’idée de me retrouver en tôle. Note bien que j’ai envie de te rendre service, mais…
— Écoute Guy, il n’est pas question de service mais de marché, de contrat si tu préfères. Si tu as changé d’avis, tu me le dis tout de suite car dans trois jours, notre contrat sera irréversible.
— J’ai besoin de cet argent…
— Alors gagne-le ! Où est l’appartement ?
— J’ai trouvé un meublé, avec télévision, dans un petit immeuble à Pont de Claix, rue des marguerites. Un bail d’un an renouvelable. J’ai dû verser six mille francs de caution.
— On y va.
— Tu as vu ? Pas mal hein l’appartement !
— C’est tout à fait secondaire. On n’a que trois jours pour répéter ton rôle. Il faut te mettre le plus vite possible dans la peau du personnage que tu vas interpréter pendant un mois. Pour information, ma prochaine permission est d’ores et déjà posée pour la Toussaint. À cette date, tu seras libre et riche. Moi, je reprendrai ma place. Tu vas vite te rendre compte que ce n’est pas la meilleure. Premièrement, on échange nos habits.
— Tout de suite ?
— Immédiatement. Tous nos habits, même le slip et les chaussettes.
— Là, tu pousses.
— Non. Mes sous-vêtements viennent du pénitencier. Pas question de se faire prendre pour un détail. Deuxièmement, à partir de cet instant, tu ne souris plus jamais. Troisièmement, tu vas aller te faire couper les cheveux avant la fermeture des coiffeurs. Regarde-moi bien, tu te fais faire la même coupe, au poil près.
— Ce n’est pas pressé…
— Si ! Pour une bonne raison : moi j’y suis allé ce matin avant de sortir et nous devons nous ressembler le plus possible. Personne ne doit soupçonner que nous sommes deux. C’est pour ça aussi que nous ne sortirons jamais ensemble de cet immeuble et nous n’y rentrerons jamais en même temps non plus. Quand l’un de nous deux sera dehors, pas question que l’autre mette la télévision ou fasse le moindre bruit dans l’appartement. Allez, vas-y. Ah, pendant que j’y pense, ramène-moi un annuaire de l’Isère.
— Où veux-tu que je trouve ça ?
— Tu en demandes un à la poste ou tu en piques un dans une cabine. Et laisse-moi ton téléphone. Pense aussi à acheter un peu à manger, je ne compte pas ressortir. Quand tu rentreras, nous commencerons les répétitions.
— Tu n’es pas un peu directif là ?
— Tu es à mon service pour un mois. Mais rassure-toi, dans quelques jours tu auras tout loisir de te reposer. Combien le notaire a-t-il consenti à t’avancer ?
— J’ai pu avoir soixante mille francs. Ils sont sur un compte courant à la Générale. J’ai également pris une carte bancaire pour les petits retraits en liquide.
— Très bien. Tu me laisseras le chéquier, la carte, tes papiers d’identité et ceux de la voiture.
— Tu es gonflé. Le notaire m’a fait signer un papier attestant que cette avance sera déduite de ma part.
— Je te signe tout de suite une donation complète si ça peut te rassurer, mais le papier ne devra en aucun cas entrer dans la centrale.
— Mais non, je te fais confiance, Jean !
— J’espère que je peux faire pareil avec toi et que tu seras à la hauteur.