— Mon capitaine, je viens de recevoir un appel d’une dame qui m’a dit que quelqu’un a été bouffé par un chien. Ça s’est passé à la SPA de Renage.
— Renage, c’est le domaine d’action de la gendarmerie, brigadier.
— Excusez-moi mon capitaine, mais la personne était complètement affolée, elle ne savait pas quoi faire. Je lui ai dit qu’on s’en occupait.
— Ok, j’y vais. C’est où dans Renage ?
— Zone artisanale de la Vallée, mon capitaine.
— Prévenez le commissaire quand il arrivera, brigadier. Dussollier, vous venez avec moi.
Dans le bureau de la SPA, une femme, la quarantaine rebondie, attend en se tordant les mains.
— Venez vite, inspecteurs, par ici, suivez-moi, je ne comprends pas ce qui s’est passé, c’est madame Verdier qui…
Les deux hommes se précipitent. Un concert d’aboiements les accueille. Dans une cage fermée, le corps d’une femme gît sur le sol cimenté couvert de sang séché. Un pitbull et un rottweiler sont couchés au fond de la cellule. À l’approche des deux hommes, ils se lèvent et grondent.
— Nom de Dieu !
— La porte est fermée. Où est la clé ? Vite !
— Elle est accrochée au mur du bureau, j’y vais.
— Dussollier, tu sais comment t’y prendre avec les molosses ?
— Je déteste les chiens. J’en ai peur et je crois qu’ils le savent. Il faut les descendre, capitaine, fit le lieutenant en sortant son arme.
— On peut faire autrement. D’abord, les obliger à sortir. Ah ! Voici la clé. Déverrouille et ouvre d’abord les deux cages vides. Madame, y a-t-il une tenue de protection contre les chiens d’attaque.
— Oui, on possède une combinaison capitonnée et des gants de cuir. On a aussi deux bâtons de capture à nœud coulant.
— Apportez-moi ça tout de suite.
Pricaz revêt en hâte la veste aux manches renforcée et saisit un bâton.
— Protégez-vous !
La bénévole et le lieutenant reculent vers l’entrée du chenil. Le capitaine ouvre la porte de la cage tragique. Dressé à l’attaque, le pitbull se précipite, attrape la manche droite de la veste de défense. Pricaz recule, tirant le chien qui ne lâche pas prise. Le rottweiler n’a pas bougé. Du pied, le policier referme la porte. Arrivé près d’une cage vide, il se tourne vivement, obligeant le molosse à décoller du sol puis le refoule dans le réduit. Le chien, toujours grondant, ne lâche pas le bras replié en position de force. De sa main gauche, le policier repousse le portillon sur la tête du molosse.
— Viens m’aider Dussollier ! Tiens le battant fermement, pendant que j’enlève ce truc.
Pricaz se dévêt tout en continuant à tirer sur le vêtement.
— Au top, tu ouvres un peu la porte pour libérer sa tête. Tu es prêt ? Top ! Le capitaine lâche le vêtement. Le bull, emporté par sa traction, recule jusqu’au bout de la cage.
— Ça y est ! Ferme ! Maintenant, prends le bâton et occupe le chien. Oui, c’est ça, tiens-le au fond que je récupère la veste. C’est bon, vite, à l’autre maintenant. Même scénario.
Au bord de la nausée, les deux policiers se penchent sur le corps sanglant et défiguré de Madame Verdier.
— Plus rien à faire. Appelle l’ambulance Dussollier. J’interroge madame pendant ce temps.
Comment vous appelez-vous ?
— Je suis madame Annick Fontaine.
— Vous êtes salariée de la SPA ?
— Non, bénévole seulement.
— Quand avez-vous découvert le corps de votre patronne ?
— Ce matin à sept heures, en prenant mon service. J’ai tout de suite pensé qu’il y avait quelque chose de bizarre : la porte de la permanence n’était pas fermée à clé. J’ai quand même commencé la distribution des aliments et puis j’ai vu… Je vous ai appelé aussitôt inspecteur.
— Capitaine, madame, comme dans l’armée.
— Excusez…
— Le sang est séché, les chiens sont propres donc ils se sont léchés ; apparemment, le drame s’est produit hier soir. Votre patronne était seule hier ?
— Nous avons travaillé ensemble jusqu’à dix-huit heures, ensuite elle est restée seule de permanence. Quand je suis partie, il avait encore une famille de trois personnes. C’était des clients pour l’adoption, ils voulaient un chat.
— Madame Verdier avait-elle l’habitude d’entrer dans les cages ?
— On n’entre jamais dans une cellule occupée, c’est la consigne. Il faut être fou pour entrer dans la cage d’un pitbull ou d’un rottweiler. Certains sont calmes et gentils mais d’autres très agressifs, ça dépend comment ils ont été élevés. Ces deux-là étaient en observation.
— Vous gardez une trace de chaque passage de vos clients ?
— Seulement celle des personnes qui adoptent un animal ou celles qui font un don. C’est pour les impôts, vous comprenez : les dons donnent droit à une déduction fiscale.
— Vous notez tout ça sur un registre je suppose ? Passez-le-moi.
Le capitaine inspecta rapidement la page de la veille. Quatre adoptions dont deux chats, un don spontané, rien de déterminant.
Le lieutenant Dussollier brassait les papiers du bureau de permanence.
— Faites-vous du gardiennage ?
— Rarement, nous n’avons pas assez de place. Les gens s’adressent plutôt à des chenils spécialisés.
— Regardez ce bout de papier, capitaine : mercredi soir, Mylord caniche, F. Mugnier.
— C’est votre écriture, madame ?
— Non, ça, c’est celle de madame Verdier.
— Ah ! Vous voici capitaine Pricaz ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Renage ? La gendarmerie va encore dire qu’on marche sur ses plates-bandes !
— Un fait divers horrible commissaire : la gardienne de la SPA égorgée et à moitié défigurée par ses pensionnaires.
— Un accident ?
— Oui, si l’on considère qu’elle s’est elle-même enfermée dans une cage avec un pitbull et un rottweiler.
— Gardez votre humour noir pour vous. Des faits !
— La porte de la cellule était fermée à clé et la clé accrochée au mur dans le bureau.
— Y a-t-il une chance pour que la serrure se soit déclenchée toute seule, en claquant la porte par exemple ?
— Très improbable. Dussollier a essayé de la claquer une dizaine de fois. Même avec le pêne à moitié sorti, le verrouillage ne s’est jamais produit.
— Une machination donc. Des indices ?
— Rien de solide. C’est un lieu semi-public, pas question de compter sur des empreintes. Juste quelques noms sur un registre et des notes sur des feuilles volantes.
— Il faudra m’éplucher tout ça. A propos, où en est l’affaire du toubib d’Echirolles ?
— C’est Dussollier qui s’en occupe commissaire.
Le commissaire appuya sur un bouton d’interphone.
— Dussollier, dans mon bureau, tout de suite !
Dussollier, où en êtes-vous dans l’enquête sur le toubib ?
— Le rapport préliminaire du légiste est éloquent commissaire : une incroyable overdose de morphine. De quoi mourir dans la béatitude !
— Alors suicide ou quoi ?
— Rien qui puisse faire penser au suicide. Il n’était atteint d’aucune maladie grave. Finances saines. Pas de famille proche mais semble-t-il une maîtresse. Beau 4x4 et appartement à la montagne. Non, je penche plutôt pour un meurtre mis en scène.
— Un motif, des indices ?
— Pas d’hypothèse pour le moment. Pas d’empreintes connues sur place.
— Vous vous êtes intéressé à son dernier client ?
— Oui, un certain Mugnier ou Munier. J’ai déjà passé plus de vingt coups de fil sur Grenoble et le département. Sans succès.
— Vous avez interrogé la base de données de la police ?
— Pas encore.
— Mais c’est par là qu’il faut commencer lieutenant. Collez-vous-y tout de suite !
— À vos ordres commissaire.
— Et vous Pricaz, mettez-moi noir sur blanc cette histoire de SPA.
— Je peux le faire à l’ordinateur, commissaire ?
— Foutez-moi la paix avec vos remarques de Prisunic. Quoi d’autre sur la main courante ce matin ?
— Un vol de voiture cours Bériat, une plainte pour coups et blessures, deux vols à l’arraché. Les plaintes sont enregistrées.
— Le train-train habituel…
Trois coups furent frappés à la porte du bureau.
— Oui ?
— Commissaire, on a un Mugnier au fichier central. Frank Mugnier dit Frank le Lyonnais. Drogué notoire. Condamné à dix ans en 1977 pour braquage.
Désintoxiqué à la dure en prison. A déclaré se retirer à Lyon à sa sortie de la centrale de Méry en 1986. Plus de nouvelles depuis.
— Dites commissaire, cela me fait penser… À la SPA ce matin, on a trouvé un bout de papier… Attendez, je l’ai sur moi. Ah ! Le voilà : mercredi soir, Mylord caniche, F. Mugnier. Ça n’a peut-être aucun rapport.
— Peut-être, peut-être pas. Bon, alors…
Un : on lance un avis de recherche sur Frank dit le Lyonnais.
Deux : on feuillette l’annuaire de l’Isère à la recherche de tous les Mugnier dont le prénom commence par un F et on les convoque. Exécution !