Le commissaire, journal ouvert dans les mains, tournait d’un pas rageur autour de la pièce. Ses adjoints Pricaz et Dussollier, assis sur les chaises face au bureau suivaient de la tête et d’un regard gêné les gestes de leur supérieur.
Le commissaire lança le Dauphiné sur le bureau.
— Tenez, Pricaz, lisez.
Le capitaine de police prit le journal, parcourut rapidement les titres de la une.
— À haute voix. Faites-en profiter tout le monde !
— Je suppose qu’il s’agit de cet article : « Grenoble : Macabre mise en scène. »
— Précisément !
« C’est hier seulement que nous avons appris la disparition d’un honorable citoyen de notre ville. Mardi matin, monsieur Yann Pilet des établissements funéraires bien connus pour la qualité de leurs prestations, inquiet de la disparition de son père, monsieur Maxime Pilet, prévient la police de Grenoble. Les recherches ont - pour une fois - rapidement abouti à la découverte du corps de monsieur Pilet dans un cercueil scellé de son magasin. Selon les premières constatations, la victime aurait péri asphyxiée ce qui laisse supposer qu’elle y aurait été enfermée vivante. Le vol ne semblant pas être le mobile du crime, la police se perd en conjectures sur les raisons de ce crime atroce. Nos lecteurs seront tenus au courant des suites de l’enquête si toutefois la police se montre mieux à même de résoudre cette énigme que celle de Renage où, rappelons-le, madame Sylvie Verdier avait été retrouvée dans une cage à moitié dévorée par un pitbull ou que celle d’Echirolles où la mort du docteur Vilmain reste toujours inexpliquée. »
— Alors ?
— Alors on cherche, patron.
— Vous cherchez, vous cherchez… Je veux que vous trouviez, moi ! J’ai eu le divisionnaire sur le dos, dès la parution de l’article. Et ce n’est pas tout. Regardez dans les pages locales, là, à Fontaine.
— « Dramatique incendie d’une villa. Un cadavre non encore identifié retrouvé dans les débris. La villa appartenait à monsieur Delfosse, procureur de la République. Accident ou incendie criminel ? Le capitaine des pompiers penche pour un acte criminel. Une enquête devrait être rapidement ouverte. »
— Alors, conseil de guerre ! Personne ne quittera ce bureau avant qu’on ait trouvé des solutions.
— Mais on est samedi, monsieur le commissaire !
— Alors trouvez vite lieutenant, j’attends vos idées.
— En ce qui concerne Frank Mugnier, j’ai recontacté nos collègues de Lyon. Franck le Lyonnais a été interpellé mais il possède un alibi en béton pour les deux jours qui nous intéressent : il était de service de surveillance sur son parking. Des centaines de gens l’ont vu. Donc, exit la piste Mugnier.
— Pas tout à fait, intervint Pricaz, c’est peut-être quelqu’un qui s’est fait passer pour lui.
— Pour quelle raison ?
— Pour créer une fausse piste, pour retarder l’enquête, pour se venger. Frank le Lyonnais est loin d’être un saint. Même s’il semble s’être acheté une conduite ces derniers temps, il a pu accumuler des rancunes contre lui.
— Hum ! Difficile de creuser dans ce sens. On ne connaît de sa vie que ce qui l’a amené en prison. Quoi d’autre ?
— Les résultats de l’autopsie du croque-mort, monsieur le commissaire, intervint Dussollier. On a retrouvé dans son sang des traces de méthohéxital. Je me suis renseigné : c’est un produit anesthésique de la classe des barbituriques utilisé dans certaines opérations. On lui aurait injecté en intramusculaire dans la cuisse, ce qui prouve soit une certaine incompétence médicale, soit, et je penche plutôt pour cette hypothèse, une volonté de simplement diminuer les capacités de réaction de la victime. Maxime Pilet était un colosse certainement pas facile à dompter physiquement. Autre chose, quand on l’a découvert, les pieds étaient déchaussés et les chaussures posées sur le corps.
— Vous pensez que cela peut avoir une signification ? questionna le commissaire.
— Une explication, sûrement, une signification, je ne sais pas.
Le lieutenant s’adressa à Pricaz :
— Dites capitaine, je pense à la piqûre de… de méthohéxital, on pourrait peut-être faire le rapprochement avec l’affaire Vilmain. Ne manquait-il pas des médicaments dans l’armoire à pharmacie du docteur ?
— Idée intéressante, Dussollier. Il faudrait retrouver les commerciaux ou les démarcheurs en produits pharmaceutiques pour savoir si cette sorte de drogue est distribuée aux généralistes.
— On peut essayer de contacter le laboratoire qui fabrique cette molécule.
— D’accord ! accorda le commissaire. Ensuite ?
— Il me vient une idée, patron…
— Allez-y, Pricaz.
— Vilmain, docteur en médecine : tué par un médicament. Verdier, gardienne de Société Protectrice des Animaux : tuée par un animal. Pilet, pompes funèbres : retrouvé mort chez lui dans un cercueil. À chaque fois le décès est en rapport direct avec la profession.
— C’est bien observé mais ça vous mène à quoi ?
— Simple remarque. Autre chose, toutes les victimes sont des citoyens sans histoire et ils ont tous plus de cinquante ans.
— Encore exact, mais cela ne débouche sur rien.
— Une dernière chose : ces trois crimes, puisque crimes il semble y avoir, ont tous été commis vers dix-neuf heures.
— Qu’en déduisez-vous ?
— Je sais pas exactement, mais il semble qu’il y ait quelque chose de rituel dans tout cela.
— Pas convainquant, Pricaz. Le rapport d’autopsie sur la gardienne de SPA ?
— Rien d’anormal. Je veux dire que la mort est effectivement due à une section de la carotide par une mâchoire de chien.
— Donc vous n’avez rien de précis à me présenter pour mon rapport. Oui, Dussollier, moi aussi je dois établir des rapports. Cela vous fait sourire ? Sans parler de la presse qui va me harceler…
— Je vais tout de même vous offrir quelque chose à leur mettre sous la dent, patron : le docteur Vilmain et madame Verdier sont liés par le nom de Mugnier, d’accord ? Le docteur Vilmain et Maxime Pilet sont liés par l’aspect disons médical, je pense à la seringue, toujours d’accord ? Donc les trois meurtres ont un point commun : Vilmain. Ils sont en quelque sorte signés ! Par conséquent, et là je n’engage que moi, je pense qu’ils ont été exécutés par le même homme. Je dis bien un homme car d’après le rapport final du légiste concernant Vilmain, des traces de diéthyl d’éther ont été retrouvées dans son sang et des bribes de coton hydrophile dans ses narines, ce qui veut dire qu’il a été endormi de force par un tampon imbibé, avant d’être drogué à mort. Une femme n’aurait probablement pas eu la force physique de neutraliser un homme comme Vilmain qui ne s’est sûrement pas endormi instantanément. Ma conclusion est que ces trois personnes ont été tuées par le même homme et donc que l’on a affaire à un tueur en série.
— Plausible. Pas mal, Pricaz. Cette fois, on avance.
— J’ajoute que ce tueur en série prend bien soin de ne pas se faire remarquer. Il agit toujours très tard. Peu avant la fermeture dans ces trois cas là. Il doit guetter et agir quand il sait sa victime seule et il ne laisse aucune empreinte.
— Si on considère que vous avez vu juste, et je ne suis pas loin de penser comme vous, il est possible que d’autres personnes aient été tuées par ce même homme sans que nous en ayons connaissance. Des crimes interprétés comme des accidents par exemple, ajouta le lieutenant.
— Un bon point pour vous aussi, Dussollier. Interrogez l’ordinateur. Voyez également avec la gendarmerie.
— Je vais m’y atteler tout de suite, monsieur le commissaire.
— Pricaz, que pensez-vous de cette histoire d’incendie ?
— Le chalet du procureur Delfosse ? Il faudrait déjà savoir si c’est vraiment lui la victime, donc attendre les résultats de l’analyse d’ADN. Si tel est cependant le cas, et s’il se confirme que l’incendie est criminel, ça ne sera pas facile de trouver le coupable.
— Il faudra qu’on se montre très performant dans cette affaire car en plus de la presse, on va avoir la magistrature sur le dos.
Le téléphone grésilla sur le bureau du commissaire.
— Oui ? … Nom de Dieu, ne touchez à rien surtout, j’envoie tout de suite deux officiers. Pricaz, Dussollier : la boucherie Darmontaz, cours Bériat. Le boucher a été retrouvé mort dans sa chambre froide. Reprise de notre petite conférence cet après-midi à quatorze heures. Foncez !
— La série noire continue, soupira le capitaine Pricaz.
Un camion frigorifique était stationné devant la boucherie. Un homme revêtu d’une blouse blanche tâchée de sang attendait devant le rideau de fer aux trois quarts levé.
— Police, fit Pricaz en montrant sa carte, c’est vous qui nous avez appelés ?
— Absolument, inspecteur.
— Capitaine. Comment vous appelez-vous ?
— Julien Lanoue, pourquoi ?
— Racontez, monsieur Lanoue.
— Je suis arrivé vers neuf heures pour ma livraison, comme d’habitude, mais le rideau était encore baissé. Alors je me suis approché et j’ai vu cet écriteau-là, regardez : FERME POUR CAUSE DE DEUIL.
Ça m’a paru bizarre, surtout que le rideau de fer n’était pas tiré à fond. Alors je l’ai relevé et j’ai ouvert la porte.
— Vous avez touché la poignée ? intervint Dussollier.
— Ben oui, capitaine, pour ouvrir c’est le meilleur moyen.
— Pour mon adjoint, vous devez dire lieutenant, fit Pricaz en réprimant un sourire. Continuez.
— Donc je suis entré, mais il n’y avait personne dans la boutique. Alors j’ai ouvert la chambre froide et je l’ai trouvé. Comme il est là. Voyez-vous même !
Les deux policiers entrèrent dans la chambre froide. Darmontaz gisait, visage exsangue, recroquevillé en chien de fusil.
— Il fait un froid de congélateur là-dedans. C’est beaucoup trop pour de la viande à débiter, constata le livreur.
— Pouvez-vous vérifier le réglage du thermostat ?
— Oui, c’est là sur le côté. Ah ! Ben ça ne m’étonne pas, il est poussé au maximum ! Le pauvre, il a dû se les geler là-dedans. Et il pouvait crier ! Avec des parois épaisses comme ça et isolées, je vous dis pas, on ne risquait pas de l’entendre.
— Regarde Dussollier, fit Pricaz en montrant du doigt l’intérieur de la porte.
À peu près au niveau du levier extérieur, le revêtement interne était arraché et le bois de chêne de la porte profondément entaillé.
— On dirait qu’il a essayé de s’en sortir en découpant le bois. Avec quoi a-t-il fait ça ?
— Avec ce crochet, capitaine, fit le lieutenant en ramassant au sol une esse de boucher. Regardez-là, ajouta-t-il en montrant le plancher métallique de la pièce froide, on dirait qu’il a essayé d’écrire quelque chose. Il faudrait plus de lumière. Attendez, un O ou un D, un V ou un U, ensuite on dirait un I.
— Note bien tout ça, en attendant d’en avoir une photo.
— Bon, je peux y aller, moi ? s’immisça le livreur.
— Un instant ! À part la poignée du frigo, vous n’avez rien touché d’autre ? reprit Dussollier un peu vexé par la précédente remarque de Julien Lanoue.
— À rien d’autre.
— Donc ce n’est pas vous qui avez posé ce couteau et cet affûteur comme ça sur l’établi ?
— C’est pas un affûteur mais un fusil, et c’est pas un établi mais un étal, mais à part ça, non. Bon, qu’est-ce que je fais de ma viande, moi ?
— Mangez-là monsieur Lanoue. Donnez-moi votre adresse et votre téléphone.
— Pour quoi faire ?
— Pour établir votre témoignage. Il faudra venir le signer à l’hôtel de police.
— Mais j’ai mes livraisons à faire moi.
— Vous passerez à la fin de votre tournée. Vous pouvez disposer !
Le capitaine, qui avait observé avec une pointe d’amusement la petite joute entre le livreur et son adjoint, ordonna :
— Dussollier, tu récupères le fusil et les autres ustensiles sur l’étal ainsi que l’écriteau ! Je ne crois guère aux empreintes, mais avec cette plaquette, on a au moins un exemplaire de son écriture. J’appelle l’ambulance et l’identité. Il faut aussi que j’envoie une équipe à Fontaine faire du porte-à-porte pour essayer de savoir si un voisin a remarqué quelque chose dans l’affaire du procureur. Tu te chargeras de collecter les renseignements informatiques sur tous les accidents mortels, autres qu’automobiles, dans le département.
— Vous permettez, monsieur le commissaire, que je finisse mon sandwich ? Pas eu le temps de manger avec tout ça.
— Pourvu que ce soit en silence, lieutenant… Bon, où en étions-nous ? Ah, oui ! Le boucher, Alors ?
— C’est un crime, patron, répondit le capitaine. Encore un crime en rapport direct avec la profession de la victime. L’homme, 58 ans environ, a été volontairement enfermé dans sa chambre froide, poignée bloquée, thermostat au froid maxi. Il a essayé de s’en sortir en déchiquetant la porte avec un crochet. En vain, bien sûr. Il est resté plus de quarante-huit heures, peu habillé, dans un air à moins sept ou moins huit. Il est visiblement mort d’hypothermie. Pour se donner le temps, ou être plus sûr de son fait, le meurtrier avait placé un écriteau sur la porte. Tu l’as Dussollier ?
— Oui, le voici. FERMÉ POUR CAUSE DE DEUIL.
— Un assassin qui ne manque pas d’humour ! C’est écrit en lettres scripts majuscules. S’il n’y a pas d’empreintes, c’est inutilisable.
— Peut-être que si, patron. Regardez, sur le i de deuil, un petit rond au lieu d’un point. C’est un genre que se donnent certains pour personnaliser leur écriture. Bien entendu, dans l’immédiat, cela n’est pas très utile, mais pourrait peut-être servir plus tard comme complément de preuve. Le plus intéressant, selon moi, c’est qu’il semble que le boucher ait voulu, en dernier ressort, dénoncer son assassin. Il a commencé à graver des lettres dans le plancher métallique de la chambre froide. Ton carnet Dussollier. Merci. Il a écrit un O ou un D, un V ou un U, ensuite un I.
— Vous êtes sûrs que c’est le boucher qui a écrit ça ?
— Le crochet qui a servi à graver était à côté de l’inscription.
— Qu’est-ce que vous en déduisez ?
— Que le nom de l’assassin commence par OVI, ODI , OUI, ou DUI.
— La dernière lettre n’est pas forcément un I, intervint Dussollier. Il s’agit peut-être d’une barre commençant une autre lettre. Il ne faut tenir compte que des deux premières donc OV, OD, OU, ou DU.
— Un peu maigre, non ? constata le commissaire.
— Cela servira de présomption si d’autres indices nous permettent de coincer le salopard.
— Bon, continuez à creuser l’affaire. Passons à l’incendie de Fontaine.
— Rien de nouveau. J’ai envoyé une équipe interroger les habitants des villas voisines dans le but d’obtenir un éventuel témoignage. Pour l’instant, c’est tout ce qu’on peut faire.
— Bon. Le reste ?
— À propos du méthohéxital détecté dans le sang du croque-mort, j’ai téléphoné à un grand laboratoire pharmaceutique de Lyon. Effectivement, les médecins peuvent être approvisionnés en hypnotiques injectables s’ils en font la demande. La plupart d’entre eux disposent de quelques échantillons qu’ils n’utilisent presque jamais d’ailleurs. L’anesthésie comporte trop de risques et peu de généralistes sont disposés à les prendre. On n’est plus dans les années cinquante, au temps où le médecin de famille opérait à domicile. Mon père m’a raconté qu’on l’avait endormi et opéré des végétations dans la cuisine de la maison de ses parents. Oui, je sais, je digresse… Donc Vilmain pouvait avoir des ampoules de méthohéxital dans son armoire à pharmacie et notre homme a pu s’en emparer. À noter que cela suppose qu’il ait des compétences médicales.
— Dussollier ?
— …ai interrogé la base de données de l’ordinateur central…
— Avalez donc votre bouchée avant de parler.
— …scusez, monsieur le commissaire. Donc à propos des enquêtes ayant eu pour conclusion accident ou suicide, uniquement dans le département et pour les deux derniers mois, j’ai obtenu quatre résultats. Voici les fiches :
À Voreppe, une ménagère de trente-cinq ans, décédée d’une dose massive de somnifères. Conclusion : suicide.
À Montbonnot, un colonel en retraite retrouvé mort, tué par la balle d’un des pistolets dont il fait collection. Conclusion : accident.
À Morette, - c’est un bled près de Tullins -, un paysan de soixante ans retrouvé noyé dans sa mare de purin. Conclusion de l’enquête : accident.
À Pont de Claix, un menuisier artisan de trente-huit ans retrouvé pendu dans son grenier. Conclusion : suicide.
— Qu’en pensez-vous, Pricaz ?
— Problème : est-ce qu’on peut rattacher certains faits divers, passés quasi inaperçus, à l’affaire qui nous occupe ? J’élimine tout de suite les deux suicides.
— Pourquoi ? Ce pourrait être des crimes maquillés !
— Je n’y crois pas pour deux raisons. Premièrement, l’âge des personnes ; deuxièmement, il n’y a pas de rapport évident entre la façon dont ils sont morts et leur métier.
— Vous revenez à votre idée de ce matin.
— Absolument. Appelons ça une intuition policière. Notez que, à mon avis, pour les mêmes raisons, l’affaire du boucher est liée aux trois autres et peut-être aussi celles du colonel de Montbonnot et du paysan de Morette. Examinons tout ça plus attentivement. Tu as des détails dans tes fiches, Dussollier ? Passe-les-moi.
— « Pélissier Michel, agriculteur, domicilié à Morette, retrouvé par un voisin dans une mare à purin à côté de son tracteur. Alcoolique notoire. Sous l’emprise de l’alcool, il aurait perdu le contrôle de son engin, dévalé la pente et percuté un muret. Tombé dans le lisier, il serait mort noyé. »
Y a-t-il eu confirmation de la noyade ? Avait-il du… du purin dans les poumons ? Y a-t-il eu une autopsie ?
— Non. L’accident semblait trop vraisemblable.
— Et l’autre, le colon ?
— Respectez vos supérieurs, capitaine, fit le commissaire avec un air bonasse qui démentait la sévérité du propos.
— Darsonval René. Co-lo-nel en retraite. 57 ans. Collectionneur d’armes de poing. Tué d’une balle de MAC 50, 9 mm parabellum, en pleine poitrine.
— Ça, ça fait des dégâts !
— Le coup serait parti accidentellement.
— Là, je n’y crois pas du tout. Je vois mal un militaire, donc un expert en arme, et spécialisé en armes de poing de surcroît, commettre l’imprudence de diriger un pistolet chargé vers lui. Suicide hautement improbable également : de toutes les professions, c’est chez les militaires officiers que le taux de suicides avérés est le plus bas.
— Comment savez-vous ça, Pricaz ?
— Il m’arrive de lire, patron.
— Dussollier, avez-vous enquêté sur les disparitions inexpliquées ?
— Oui, monsieur le commissaire. Dans les disparitions récentes, je note plusieurs cas de fugues qui ne nous intéressent pas. Une femme de trente ans, mariée, qui a disparu, et un cas plus étrange : un agent de maîtrise chargé de la maintenance dans une usine chimique de Basse-Jarrie. L’homme aurait pointé à dix-neuf heures cinquante-neuf, à sa prise de service, et n’aurait pas pointé sa sortie. N’a pas repris son travail ni donné signe de vie depuis.
— De qui s’agit-il exactement ?
— Daniel Lapierre, célibataire, cinquante ans, domicilié à Pont de Claix.
— Votre avis, Pricaz ?
— Pour l’âge, ça colle. Pour le reste, on ne sait pas s’il est mort ou vivant. Doit-on programmer un complément d’enquête ?
— Carte blanche, Pricaz. Il faut qu’on avance.
— Pour avancer maintenant, il nous faudrait faire le lien entre toutes ces personnes.
— Et le faire rapidement, capitaine Pricaz !
Deux coups toqués à la porte du bureau détournèrent l’attention.
— Oui, entrez !
La tête d’un brigadier parut dans l’entrebâillement.
— Notre rapport d’enquête de voisinage à Fontaine, monsieur le commissaire.
— Oui, alors ?
— La nuit dernière, un voisin insomniaque aurait aperçu un homme, porteur d’un bidon, sortir d’une voiture stationnée en face du chalet et pénétrer dans la propriété.
— Description de l’homme et du véhicule !
— Une petite voiture, type Corsa ou 205, de couleur sombre, immatriculée dans l’Isère. Il n’a pas pu être plus précis. L’homme : taille moyenne, vêtu de sombre. C’est tout ce qu’on a pu dénicher. Le témoin est un voisin, retraité. Il a regardé par sa fenêtre quand il a entendu un moteur.
— A-t-il noté l’heure ?
— Huit heures du soir, monsieur le commissaire.
— À quelle heure les pompiers ont-ils été alertés ?
— Huit heures trente. Quand ils sont arrivés sur place, le chalet, qui était en madriers, avait presque complètement brûlé. Ils ont surtout arrosé des cendres. Autre chose, la voiture a accroché un muret de clôture de propriété en manœuvrant pour repartir. Elle a laissé des traces de peinture et des débris de feu rouge.
— Avez-vous récupéré ces débris ?
— Heu, non, monsieur le commissaire.
— Et bien retournez-y tout de suite, brigadier !
S’adressant à ses deux officiers, le commissaire ajouta :
— Le doute n’est plus possible maintenant.
— Je ne sais pas encore si on peut rattacher cette affaire aux autres, patron. À mon avis, s’agissant d’un procureur, il faut chercher du côté professionnel. Un procureur étant par définition un accusateur public, il est probable qu’il a accumulé contre lui un bon nombre de rancœurs et un sacré poids de haine.
— Je pense comme vous, capitaine. Lundi, votre premier travail sera de contacter le palais et d’interroger son greffier ou son secrétaire. Allez, campo messieurs, bon week-end, ou ce qu’il en reste !