PETITS CONTES ÉCOLOGIQUES

15. LA MONTRE DE PAPI

llô papi ?
— Oui, mon petit garçon...
— Tu n'as pas oublié ta promesse de m'emmener bivouaquer au lac vert pour voir le lever du soleil derrière le Mont Blanc ? C'est le genre de promesse qu'un papi n'oublie pas. Je viens te chercher en début d'après-midi. Pense à préparer un bon pull-over, ton poncho et tes chaussures de randonnée. Et vérifie le gonflage des pneus de ton VTT !


Nous allons attacher nos vélos au tronc de ce petit sorbier. Ne traînons pas, le lac est encore à deux heures de marche et il est quatre heures de l'après-midi !
— Papi, pourquoi s'appelle-t-il le lac vert ?
— À cause de sa couleur pardi !
— Oui, bien sûr, mais pourquoi est-il vert ?
— Parce que des algues vertes en tapissent le fond et que son eau est très pure, donc transparente.
— Papi, j'ai soif et ma gourde est vide !
— Nous n'avons pas encore marché et tu as déjà tout bu ?
— On a beaucoup roulé, papi. C'est le soleil qui m'a donné chaud.
— Oui et l'effort aussi. Patiente un peu, dans une heure, nous allons passer à côté de la source moussue, nous y remplirons nos bidons.


— Mais j'ai soif tout de suite, moi !
— Alors tiens, mâche cette herbe.


— On dirait du trèfle. Oh, ce que c'est acide ! J'ai l'impression de manger de l'oseille ... Mais tu as raison, ça rafraîchit ! Qu'est-ce que c'est ?
— Tu as presque réinventé le nom : c'est de l'oseillette.

— Et voilà le lac vert !


— Comme c'est beau ...
— La nature est toujours belle quand elle est préservée.
— Quelle heure est-il ?
— Il est six heures du soir. Allez mon garçon, fichons vite le camp !
— Mais papi ...
— Hi, hi, hi ! Je t'ai fait peur, n'est-ce pas ? Réfléchis : en vrai, ficher le camp, ça veut dire planter les fiches de la tente ! Allez, pour me faire pardonner, c'est toi qui choisis l'endroit.


— Ici, dans ce creux, l'herbe est toute douce.
— D'accord ! Pour une nuit, cela ira.
— Pourquoi dis-tu cela, papi ?
— Parce que demain le temps sera beau. Si nous devions camper plus longtemps, il faudrait plutôt choisir ce petit monticule.
— À cause de la pluie ?
— Parfaitement. Dans cette petite cuvette, nous risquerions d'être inondés en cas d'orage.
— Comment peux-tu être aussi sûr qu'il fera beau ?
— Pour au moins quatre raisons mon garçon : ce matin, j'ai observé les hirondelles, elles volaient très haut ; de plus, comme tu peux le constater les avions ne laissent pas de traînées dans le ciel ; remarque ensuite comme les écailles des pignes de ce pin d'arolle sont bien ouvertes et enfin, regarde vers l'ouest : le soleil se couche dans le clair. Tout ceci réuni fait que je peux te promettre presque à coup sûr un temps sec pour cette nuit et du soleil pour demain matin.


— Comment ferons-nous demain ?
— Nous allons devoir nous lever avant l'aube pour monter à cette crête d'où l'on voit bien le Mont Blanc. Nous marcherons de nuit, à la lampe, alors mangeons vite un morceau et à neuf heures, au lit !
— Comment vas-tu vas faire pour te réveiller ? Tu vas faire sonner ta montre ?
— Cela serait difficile, je n'ai pas de montre !
— Comment-ça, tu n'as pas de montre ! Mais plusieurs fois aujourd'hui tu m'as dit l'heure ! Comment fais-tu ?
— Ça, c'est mon secret !
— Allez, papi...
— Demain mon petit, demain tu sauras. Il te suffira de poser la question chaque fois que je t'indiquerai l'heure.

— Cinq heures ! Debout mon petit garçon... Dans un quart d'heure, nous devons être en route... Je t'ai préparé des fruits secs et du thé bien chaud. Prends des forces !
— Comment sais-tu qu'il est cinq heures ?
— Ha, ha ! Tu n'as pas oublié, hein ? Regarde ce que j'éclaire avec ma lampe !
— Tu n'éclaires rien ! Juste de l'herbe...
— Regarde mieux !
— De l'herbe, des cailloux, des boutons d'or...


— Hé oui, des boutons d'or ! Autrement dit des renoncules ! Cette fleur a la particularité de s'ouvrir chaque jour à cinq heures du matin. Elle ne se trompe jamais, comme si elle possédait un réveil.
— Mais ce n'est pas ça qui a pu te réveiller !
— Non, mais tout comme cette petite fleur, les hommes possèdent naturellement une sorte d'horloge interne. Toute ma vie, je me suis réveillé tôt pour aller travailler et cela m'est resté.
— Hier soir, pour aller se coucher, comment as-tu su qu'il était neuf heures ?
— Les silènes ! Tu sais, ces petites fleurs qu'on appelle les compagnons blancs... À 21 heures, ils s'ouvrent !



— Ce n'était pas trop dur la montée ?
— Non, papi. J'aime bien marcher de nuit à la frontale.
— Tu n'as pas froid ?
— Avec le vent, si, un peu...
— C'est la brise de l'aube. Enveloppe-toi dans ton poncho pour couper le courant d'air. Il est six heures passées, le spectacle va commencer.
— Quelle est la fleur qui te l'indique cette fois ?
— Ce pissenlit à côté de toi.


— Hier, quand nous avons commencé à marcher, tu as dit qu'il était quatre heures de l'après-midi, c'était quelle fleur qui s'ouvrait ?
— Les petits liserons du bord des chemins. Mais ils ne s'ouvraient pas, ils se chiffonnaient !


— Et à six heures du soir quand nous sommes arrivés ?
— Les onagres s'épanouissaient.


— C'est quoi ça ?
— De jolies fleurs jaunes un peu échevelées sur des grandes tiges. Il y en avait sur le bord du ruisseau en aval du lac vert.
— Elle est rigolote ta montre, papi !
— Et toujours à l'heure pour qui n'est pas à cinq minutes près.
— Tu m'apprendras à connaître les fleurs ?
— J'ai déjà commencé. Regarde, mon garçon, le ciel rougit. On commence à deviner la silhouette des montagnes.
— C'est quoi cette grande pyramide à gauche ?
— L'aiguille verte.
— Papi, papi, le ciel devient orange ! Comme c'est beau ! Il est où, le Mont-Blanc ?
— C'est cette énorme masse qui fait le gros dos.
— Dis-moi, c'est dur de grimper là-haut ?
— Rien n'est insurmontable pour qui sait bien se préparer mon garçon.
— Tu l'as déjà escaladé ?
— J'y ai vu le lever de soleil quand j'étais plus jeune...
— Aaaah... C'est beau là-haut ?
— C'est à la fois extraordinaire, magnifique, grandiose, merveilleux et un peu décevant.
— Comment-ça décevant ?
— Parce que là-haut, il n'y a plus de montagnes.
— Tu plaisantes, papi ?
— Mais non mon garçon car, à son sommet, on est à plus de trois cents mètres au-dessus des autres ! Vue d'en bas, une montagne te paraît énorme, mais quand tu as fini son ascension, quand tu es en haut, tu es plus grand qu'elle, tu ne la vois plus. Pour un géant, les gens normaux paraissent des nains.
— Regarde papi, le ciel est jaune maintenant. Le sommet du Mont-Blanc est tout doré. Je crois qu'il va encore faire beau aujourd'hui.
— Je n'en suis pas si sûr. Regarde l'aiguille verte, tu ne remarques rien ?
— Il y a un petit nuage au-dessus.
— Sais-tu ce que disent les montagnards ?
« Quand la Verte veut, Mont-Blanc ne peut... »
Le temps va rapidement changer !
— Il ne va pas pleuvoir tout de suite ?
— Non, mais il est possible qu'il y ait un orage avant la fin de la journée. Redescendons. Nous devrions être au camp vers huit heures.


— Comment peux-tu dire cela ?
— C'est bien facile. À cette époque de l'année, le soleil se lève vers six heures et demie. Il doit donc être près de sept heures du matin.
— Il fait un peu jour mais le soleil n'est pas encore levé !
— Mais si ! Les Italiens, de l'autre côté du massif, sont déjà au soleil. Ici il fait sombre parce que nous sommes encore dans l'ombre gigantesque du Mont Blanc.
— Tu n'as pas plutôt une fleur pour vérifier qu'il est sept heures ?


— Il y aurait bien l'œillet d'Inde , mais il n'en pousse pas en cet endroit. Comme il nous faut une petite heure pour redescendre, nous serons à la tente quand les épervières piloselles s'ouvriront, il sera à peu près huit heures. L'épervière, c'est cette plante que tu vois un peu partout dans l'alpage. Elle fleurit jaune ou un peu orangé. Tu vas pouvoir vérifier ma montre !

— D'accord ! Ensuite qu'est-ce qu'on fait ?
— Une heure pour manger un morceau, démonter la tente, rassembler nos affaires et refaire les sacs. Nous partirons quand les fleurs de laiteron se fermeront et nous devrions être en bas pour l'ouverture des ornithogale .


— Je ne connais pas cette plante, moi !
— On l'appelle couramment la « dame de onze heures. » Tu verras, il y en a dans le fossé près des vélos.


On dirait un bouquet de jolis petits lys blancs. Si tu n'es pas trop fatigué pour bien pédaler, quand le mouron rouge se fermera, nous serons chez toi.



Il sera ...
— Il sera ... quatorze heures ! Tu vois, moi aussi je sais compter. Papi, tu as la plus belle montre du monde !