PETITS CONTES ÉCOLOGIQUES

21. PLIC ET PLOC

lic et Ploc, deux jolies petites gouttes d'eau jumelles, s'ennuyaient près de leur mère, au fond de la mer.
Il faut dire qu'elles habitaient au plus profond de l'eau, là où il fait très sombre et où l'on n'y voit goutte.
Elles s'ennuyaient, car quand on est une petite goutte d'eau, on aime bien s'amuser et, pour s'amuser, il faut y voir clair !
Un beau jour -ou plutôt une nuit, car on vient de dire qu'il n'y avait pas de lumière- profitant de ce que leur mère était en train de fabriquer une belle vague de fond pour nettoyer le fond de la mer, elles décidèrent en secret de remonter vers la surface argentée, tout là-haut là-haut, histoire de prendre l'air.
Une fois arrivées, elles ouvrirent de grands yeux : comme tout était beau, lumineux, irisé.


Plic et Ploc s'amusèrent comme des petites folles, nagèrent longtemps, s'accrochèrent à la coque des voiliers, chatouillèrent les branchies des poissons, montèrent sur la crête des vagues pour regarder de haut leurs innombrables cousines aquatiques.
Vers midi, fatiguées de jouer, elles décidèrent de faire la planche sous le soleil.
Qu'il faisait bon fermer les yeux et se laisser chauffer doucement par les rayons amicaux.
Plic et Ploc se sentaient légères, si légères, qu'elles avaient l'impression de voler.
Quand elles ouvrirent enfin leurs jolis yeux d'aigue-marine, elles s'aperçurent avec surprise qu'effectivement elles volaient, sans fatigue, sans effort ; elles s'élevaient dans les airs comme deux papillons blancs.


L'impression était si agréable qu'à aucun moment elles ne pensèrent à appeler leur mère qui finissait son nettoyage de fond.
Elles retrouvèrent beaucoup d'amies de leur âge dans un joli petit nuage de coton hydrophile , moelleux, douillet, confortable, qui les promena dans l'infinie douceur bleutée du ciel.

D'autres petits nuages vinrent bientôt s'accumuler contre celui de Plic et Ploc et s'amusèrent à former un cumulus, qui appela ses autres amis cumulus pour constituer un cumulonimbus, qui en appela d'autres à son tour pour former ainsi le plus gigantesque orage qu'on n'ait jamais vu.
Le vent, paresseux qui venait seulement de se lever, brutal comme un garçon turbulent, se mit à les pousser dans le dos en hurlant comme un sauvage.


Nos petites gouttes dessalées ne goûtaient plus la saumâtre plaisanterie et commençaient à regretter leur mer.
Transies de froid, elles grelottaient l'une contre l'autre avec un bruit de castagnettes.
Elles se rendirent compte en tremblant qu'elles s'étaient transformées en petits glaçons tout ronds qui s'entrechoquaient.
Le soleil avait disparu maintenant, et dans ce gigantesque nuage il faisait sombre comme au fond de la mer.
— Il fait trop noir, j'ai froid, j'ai peur, chevrotaient ensemble les petites sœurs jumelles.
— Je vais vous mettre de la lumière ! hurla le vent.
Et, avec un bruit de tonnerre, il alluma, en un éclair, une gigantesque lampe qui illumina le bout de la nuit.
— Vite, retournons voir notre mer, allons-nous-en, sautons ! dirent ensemble Plic et Ploc.
Les petites gouttes de glace, blanches de froid, ne savaient pas qu'elles étaient au-dessus de la terre et que sur terre il y a autre chose que de l'eau, de l'air, des poissons et des voiliers.
Elles tombèrent, tombèrent, tombèrent de plus en plus vite vers le sol et atterrirent sur les feuilles d'un tremble qui tremblaient dans le vent de l'orage.
— Vous me faites frissonner, allez-vous-en ! grogna l'arbre mal équarri en secouant ses feuilles.
Nos deux petits glaçons, vexés, sautèrent dans la corolle d'une églantine qui poussait sous le tremble.
— Votre glace va me donner de la couperose, allez-vous-en ! dit l'églantier.
— Bon, bon, viens, sautons... dit Plic à Ploc.
— Votre froid me fait bleuir les joues, allez-vous-en ! dit le myosotis qui fleurissait sous l'églantier.
— Quel monde hostile et que ces algues sont mal embouchées, allons-nous-en... dit Ploc à Plic.


Un dernier saut projeta nos petites jumelles glacées sur une terre qu'elles ne connaissaient pas.
Elles se réfugièrent entre deux cailloux pour se réchauffer et attendre la fin de la nuit.
Le lendemain matin, elles s'aperçurent avec effroi qu'elles se trouvaient sur le flanc d'une montagne surmarine, peuplée de drôles de poissons à cornes, et à quatre pattes, et qui faisaient « meuh » en mangeant bruyamment des algues fleuries.
— Cela ne ressemble pas à la mer ! Où sommes-nous donc ? demanda Ploc à Plic.
— Je ne sais pas, mais j'ai encore très froid, viens, roulons jusqu'à cet endroit ensoleillé, répond Plic à Ploc.
Et, sous l'action bienfaisante du soleil chaud et caressant, nos deux perles de glace se transformèrent en deux charmantes perles de rosée qui s'enfoncèrent doucement dans le sol perméable de la montagne.
Plic et Ploc étaient habituées à l'obscurité des profondeurs et n'eurent pas de mal à trouver un chemin qui les conduisit vers un aimable petit ruisseau souterrain.
— Ploc, maman a dit que si un jour on se perdait, il suffisait de descendre le plus possible pour retrouver la maison, viens, descendons.
— D'accord Plic, nageons vers l'aval de toutes nos forces.
Quand, longtemps après, très fatiguées, elles virent enfin poindre une lumière tout là-bas là-bas, elles se crurent presque arrivées. Hélas hélas, elles n'étaient arrivées qu'au bassin qui alimente le village de la montagne.


— Oh non, nous voilà prisonnières, pleurèrent les pauvres petites gouttes désemparées.
— Qu'est-ce que c'est ? Des gouttes d'eau qui pleurent ! Mais arrêtez tout de suite, vous allez faire déborder le bassin ! fit la grosse voix d'une vieille goutte d'eau toute ridée, expliquez-moi plutôt ce qui vous arrive.
Plic et Ploc, avec des sanglots, racontèrent alors toutes leurs mésaventures.
— Je vais voir ce que je peux peut faire pour vous ; voyons, voyons... Oui, c'est cela, bon, donnez-moi la main.
— Oui madame.
— Regardez là-bas !
Plic et Ploc levèrent leurs yeux d'aigues-marines encore tout humides et aperçurent une ribambelle de gouttes qui dansaient une ronde endiablée autour de la bonde du bassin.
— Rejoignons-les et surtout ne me lâchez la main sous aucun prétexte, compris ?
— Oui madame.
Nos trois gouttes s'approchèrent du tourbillon qui les entraîna, les emporta de plus en plus vite, de plus en plus profond dans un dédale de tuyaux sentant la rouille, le cuivre et même le plomb nauséabond.
Pendant plusieurs jours - qu'elles ne purent compter car dans un tuyau il fait toujours nuit - elles errèrent sans fin, ballottées, tirées, stoppées, poussées, entraînées sans pouvoir résister.
Un beau midi pourtant elles se retrouvèrent dans la lumière au milieu d'un incroyable bric-à-brac d'ustensiles tous plus étranges les uns que les autres.


— N'ayez pas peur, nous venons de passer un robinet et nous sommes tombées au milieu d'une vaisselle, fit la vieille goutte ridée qui n'en était pas à son premier voyage, nous allons juste nous faire un peu laver.
Plic et Ploc étaient bien heureuses de faire un brin de toilette, de se débarrasser enfin de la pesante odeur du plomb, mais la toilette fut bien vite bâclée : trois bulles de mousse, un coup de lavette et les voilà de nouveau précipitées dans d'horribles tuyaux encore plus malodorants que les précédents.
Quel voyage !
Cette fois les canalisations étaient en ciment et de plus en plus grandes.
Plic, Ploc et la vieille goutte ridée croisaient de temps en temps d'étranges poissons à quatre pattes, aux petits yeux luisants et cruels et à l'étrange queue annelée.
— J'ai peur madame ! dirent ensemble les jumelles.
— Ne craignez rien, ce sont des rats d'eau, ils ne vous feront pas de mal puisqu'ils aiment l'eau ! D'ailleurs on va bientôt arriver, dit la vieille goutte globe-trotter.


—C'est vrai, on arrive à la mer ? demandèrent les deux sœurs pleines d'espoir.
— Non, pas encore. Il faut d'abord se faire trier, laver, désodoriser, décanter. Seules les plus propres auront le droit de rejoindre le fleuve.
— Une fois dans le fleuve, qu'est-ce qu'on fait madame ?
— Écoutez-moi bien, dès que vous serez bien propres, vous sortirez par le gros tuyau là-bas. Vous n'aurez qu'à vous laisser glisser, ou mieux, si vous êtes pressées, accrochez-vous alors à un poisson et laissez-vous transporter, mais attention, ne prenez pas n'importe qui : uniquement un petit saumon ou une grosse anguille.
— Pourquoi ceux-là ? Tous les poissons savent nager !
— Oui, mais les autres ne connaissent pas le chemin de la mer.
— Pourquoi pas un gros saumon ? C'est plus confortable !
— Parce qu'il te reconduirait à la source d'où tu viens !
— Ah bon... et la petite anguille ?
— Les petites anguilles ne sont pas sérieuses, elles passent des années à jouer dans les rivières, les étangs et les canaux ! Non, on ne peut compter que sur l'expérience et la sagesse des anciennes. Mais prenez plutôt un jeune saumon, beaucoup moins gluant que l'anguille, vous pourrez mieux vous accrocher.
— Vous ne venez pas avec nous madame ?
— Non. Je vais faire une petite sieste au soleil, m'évaporer vers un petit nuage hydrophile et retourner à la source.
Il y a encore beaucoup de jeunes gouttes comme vous qui ont besoin de conseils pour rester propres. Je dois leur montrer le chemin.
Allez, mes petites, bon voyage et bonjour à votre mer !




1. Hydrophile signifie : qui aime l'eau.