PETITS CONTES ÉCOLOGIQUES

23. LE VŒU DE SYLVAINE

ylvaine était une jolie jeune fille au cœur pur et généreux.
Habitant au bord de l'océan, elle adorait se promener seule sur la lande marine piquetée de petites immortelles d'or.
Elle aimait aussi la caresse du vent dans ses cheveux dénoués, le bruit mouillé du ressac sur les récifs et le grondement des rouleaux déferlant sur la plage immaculée.
Un beau jour de l'été, Sylvaine, allongée sur le sable chaud dans un creux de la dune, contemplait la course trotte-menu d'une volée de courlis sur la grève mouillée quand un éclair brillant dans la transparence aigue-marine d'une vague attira son attention.
« ... le ventre argenté d'un poisson... » pensa-t-elle.
Mais l'éclair se renouvela, se rapprocha, prit la forme d'une petite bouteille de verre qui bientôt, poussée par la langue pétillante d'une vague mourante, roula sur le sable blond de la plage.


Sylvaine ne supportait pas que « sa » plage soit souillée. Elle alla donc ramasser la bouteille rejetée par la mer dans le louable but de la déposer dans un récupérateur de verre.
Mais, quand elle eut en main ce qui s'avéra être une canette, elle s'aperçut avec surprise que, comme dans un conte de marin, la bouteille bien close contenait un message.
Sylvaine réussit tant bien que mal à faire jouer le mécanisme rouillé de la fermeture et sortit un vieux papier jauni sur lequel elle découvrit une suite de mots étranges qu'elle ne comprit pas.
« Mi plenumos la deziron de tiu, kiu trovos tiun mesagon, se tamen lia koro estas pura kaj liaj intencoj noblaj.
Subskribis : ABYSSOS, marfeo »



Le lendemain, toujours intriguée, munie de son message, Sylvaine se rendit à la bibliothèque de la ville dans le but d'obtenir la traduction de cette curieuse phrase.
Le papier passa de main de bibliothécaire en mains d'érudits, mais tous hochèrent négativement la tête. Ces mots n'appartenaient à aucune langue connue.
Sylvaine, déçue, s'apprêtait à repartir quand un homme, apparemment simple lecteur, tendit la main vers elle.
— Vous permettez ? dit-il en prenant le message...
C'est de l'espéranto, mademoiselle ! fit l'homme après avoir jeté un coup d'œil sur le papier.
— Mais qu'est-ce que l'espéranto, monsieur ?
— L'espéranto est une langue universelle, inventée en 1887 par Zamenhof, un médecin de Varsovie, dans le but de rapprocher les peuples.
— Ah... Pouvez-vous me traduire ce qui écrit sur ce papier ?
— C'est bien facile ! L'espéranto est la langue la plus simple du monde. Ce papier dit :
« J'exaucerai le vœu de la personne qui trouvera ce message, si toutefois son cœur est pur et ses intentions sont nobles. Signé : ABYSSOS, génie de la mer »
S'agit-il d'un jeu, mademoiselle ?
— Je ne sais pas encore. Merci infiniment, monsieur.
Sylvaine n'était pas naïve. Elle crut à une blague de vacancier, mit le papier dans une poche et l'oublia.

La catastrophe survint un matin de septembre. Un pétrolier géant, sans doute aveuglé par les brumes automnales, heurta les récifs et s'échoua.
D'une plaie béante ouverte dans le flanc rouillé du navire couché sur les rochers s'échappait une nappe de liquide noirâtre, épais, nauséabond.


La plage était noire, les rochers étaient noirs, les mouettes et les courlis se débattaient au ralenti dans la mélasse visqueuse avant de renoncer, sans avoir compris pourquoi ils mouraient.

Quand Sylvaine arriva sur « sa » plage, elle se mit à pleurer :
« C'est trop moche, trop triste, trop injuste... Mais pourquoi, pourquoi…
Mais pourquoi cette horrible chose existe-t-elle ?...
Oh, je voudrais tant pouvoir faire quelque chose... »
— Tu m'as appelé, Sylvaine ? fit une voix semblant venir du vent.
— Qui me parle ? Qui êtes-vous ?
— Je suis ABYSSOS, génie de la mer. Je suis là pour réaliser ton désir. Quel est ton vœu, Sylvaine ?
— Oh, je voudrais tant que ce pétrole n'existe pas et qu'à sa place il n'y ait que de l'eau pure !
— Qu'il en soit fait selon ta volonté, Sylvaine...
Aussitôt, le goudron qui recouvrait plage et rochers, ainsi que tout le pétrole de la Terre se transforma en eau.
— Merci, merci, crièrent les mouettes rieuses libérées en fendant de nouveau la brise marine de leurs ailes immaculées.
— Thank you, thank you, fit un goéland anglais de passage.
— Merci, merci, renchérirent les courlis tricotant à nouveau le sable clair de leurs petites pattes agiles.


C'est ainsi que, par le vœu d'une jeune fille au cœur pur, la face du monde fut radicalement changée.
Faute de carburant, toutes les voitures, tous les avions et tous les bateaux à moteur du monde se trouvèrent soudain immobilisés ; les centrales thermiques au fuel, ne pouvant évidemment brûler de l'eau, cessèrent de fonctionner.
L'air de la planète se purifia et se régénéra.
Les pays désertiques, au sous-sol jadis gorgé d'immenses réserves d'hydrocarbures, se retrouvèrent riches d'énormes réserves d'eau.
Les déserts irrigués purent ainsi reverdir, refleurir et redevenir les paradis qu'ils furent un jour et n'auraient jamais dû cesser d'être.
Avec la fin du pétrole disparurent également tous ses produits dérivés comme les cosmétiques et certains textiles.
Ces produits n'existant plus, bien des belles élégantes se retrouvèrent laides, nues et mouillées au milieu de la rue...
Certaines en furent gênées !
Mais, peu à peu, se révélèrent les effets pervers du généreux désir de Sylvaine.
Si les bûcherons qui savaient encore manier la hache, les fabricants de poêles de chauffage et les marchands de chevaux de selle -seul moyen de transport désormais- firent rapidement fortune, les usines d'automobiles, ainsi que toutes celles qui dépendent plus ou moins directement du pétrole, n'ayant plus de raison d'être, licencièrent leurs ouvriers.
Le chômage mondial et la pauvreté montèrent en flèche.
Les gens eurent froid dans leurs maisons aux chaudières éteintes. Faute de transports efficaces, les denrées alimentaires n'arrivèrent plus dans les villes.
Des famines survinrent, déclenchant l'exode urbain.
Sylvaine se crut responsable de tous ces désastres et pleura.
« Génie, bon génie, pourquoi as-tu permis tout cela ? »
— Mais parce que tu l'as souhaité, Sylvaine ! murmura le vent de la mer.
— Je voulais seulement que les lieux que j'aime ne soient plus souillés par cette horrible chose.
— Ce n'est pas le pétrole qu'il faut accuser, Sylvaine, le pétrole est utile ! Accuse plutôt ceux qui cherchent à en tirer toujours plus de profits au mépris de notre belle terre et de tout ce qui y vit.
— Je voudrais simplement que tout redevienne comme avant, monsieur ABYSSOS.
— N'appartenant pas à l'espèce humaine, je ne suis pas un monsieur, ma petite Sylvaine, murmura le vent. Et je te rappelle que tu n'avais droit qu'à un vœu !
— S'il vous plait, s'il vous plait...
— Je vais exceptionnellement exaucer ton second désir, Sylvaine, mais ta plage, tes rochers et tes oiseaux vont redevenir souillés.
Ce sera donc à toi, à toi et à tous les gens de bonne volonté, d'agir pour réparer et surtout faire en sorte que cela n'arrive plus ! Adieu Sylvaine, garde toujours ton bon cœur, ta générosité et ton désir de pureté. Si tout le monde était comme toi, la terre serait merveilleuse !