PETITS CONTES ÉCOLOGIQUES

27. LA VIPÈRE ET L4ARAIGNÉE

iz, la vipère aspic, préférait la vie au grand air.
Dieu sait pourquoi, elle avait choisi de vivre lovée dans les basses branches d'un groseillier à maquereaux, plutôt que d'habiter dans le pommier du jardin de la ferme.
Peut-être n'aimait-elle pas les pommes !
Ou peut-être préférait-elle confier sa sécurité aux épines acérées de l'arbrisseau qui la protégeaient de ses ennemis héréditaires : la chouette, la pintade et le hérisson.
Ziz se croyait revenue au paradis car les légumes du jardin attiraient parfois de petits campagnols venus des champs voisins, et les vipères adorent manger les campagnols, tout le monde sait cela ! Elle ne détestait pas non plus, de temps en temps, en guise d'apéritif, croquer une courtilière (1) égarée, joignant ainsi l'utile au jardinier à l'agréable pour elle.


Velue, l'araignée noire des maisons, vivait heureuse dans la cuisine de la ferme car elle vivait cachée.
Elle avait tricoté, entre deux solives de bois, une toile quasi invisible, judicieusement placée sur le passage obligé des moucherons, moustiques et autres mouches domestiques.
Sa toile était si solide qu'elle aurait été capable d'arrêter le taon ! Velue s'était également confectionné un abri douillettement capitonné de fils soyeux dans l'évidement d'un nœud de sapin du plafond.
Dans cet abri elle entassait sa réserve de mouches pour les jours d'hiver, et vivait là, près de ses provisions, voyant tout sans être vue.
Velue avait de la sympathie pour la fermière qu'elle observait à longueur de journée.
Elle savait que celle-ci n'aimait pas les mouches, alors Velue en capturait plus qu'il ne lui était nécessaire.
On peut aimer rendre service et cependant rester discret !


La fermière était souvent félicitée par ses amies pour la propreté de sa maison exempte de mouches. Quant au potager de la ferme, grâce à l'appétit de Ziz, il avait la réputation d'être le plus beau et le mieux tenu de la région, à la grande satisfaction du fermier.

Tout se passait donc pour le mieux dans la meilleure des fermes jusqu'au jour du 11 août 1999, à peu près au moment de midi.
Bien lovée sur une branche fourchue de son groseillier, Ziz observait d'une prunelle verticale les gestes du jardinier sarclant un carré de salades quand, bizarrement, la lumière du soleil se mit à décliner.
La pénombre, puis l'ombre, puis la nuit s'installèrent sur la campagne, comme après dix heures du soir.
Ziz vit avec étonnement l'homme laisser sa binette sur place et se diriger vers la maison. Notre gentille vipère crut que l'heure de la chasse au campagnol était arrivée.
Elle descendit de son groseillier, se mit à arpenter la terre chaude du jardin à la recherche du meilleur affût et finalement décida de se poster à proximité du carré de salades.
Velue, bien installée à l'entrée de son nid, pattes douillettement croisées, songeait depuis un certain temps à édifier une toile secondaire afin de barrer un couloir aérien de moustiques.
Croyant la nuit venue, elle étira l'une après l'autre ses huit pattes poilues et sortit de son logement afin de choisir le meilleur emplacement pour établir son nouveau piège.
Le fermier et la fermière n'étaient pas rentrés se coucher comme Ziz et Velue auraient pu le croire, puisque c'était la nuit ! Non, assis sur un banc à côté de la porte d'entrée, lunettes fumées sur le nez, têtes levées vers le ciel où apparaissaient déjà les plus brillantes étoiles, ils admiraient une éclipse totale de soleil !


Mais après quatre minutes d'obscurité presque complète, les étoiles peu à peu disparurent et revinrent le jour, le soleil et la chaleur. Les fermiers, avec un soupir, se levèrent de leur banc pour reprendre leurs activités, qui dans la cuisine, qui dans le potager.
Surprises par l'inhabituelle brièveté de la nuit, et avec leur habituel souci de discrétion, Velue se carapata vers son nid et Ziz courut ventre à terre vers son groseillier à maquereaux. Hélas, il était déjà trop tard.


« Ah la sale bête ! » s'écrièrent en même temps les fermiers sans s'être concertés, et ils donnèrent en même temps un même violent coup de talon sur le sol, écrasant ici le corps velu de l'araignée noire des maisons et éclatant là-bas la tête triangulaire de la pacifique vipère du jardin.
— J'ai le meilleur potager de la région, sans mauvaises herbes, sans campagnols ni courtilières, je ne vais tout de même pas tolérer un serpent dans mes cultures ! marmonna le fermier.
— J'ai l'intérieur le plus propre de toutes les maisons du village, sans mouches, sans moustiques, ce n'est pas pour accepter une araignée chez moi ! renchérit la fermière.


1. Insecte de grande taille qui creuse des galeries souterraines et cause des dommages aux cultures.