PETITS CONTES ÉCOLOGIQUES

5. CHIEN DE FUSIL

ubert Desaint était un bon chasseur.
Très adroit, il manquait rarement les animaux ou les panneaux routiers qu'il visait, mais hélas, il ne savait pas chasser sans son chien.


Or, en ce lumineux mois d'octobre, Voyou, son chien d'arrêt venait de le quitter, victime de l'inconscience de son fusil de chasse.
Après un deuil interminable de près d'une semaine pendant laquelle monsieur Desaint, inconsolable, ne toucha pas à son arme, notre chasseur se résolut, la mort encore un peu dans l'âme, à trouver un remplaçant à son cher Voyou.
La saison de chasse venait seulement de débuter et il y avait encore tant de gibier à tuer !
Le meilleur moyen pour retrouver l'âme sœur, quelles que soient les circonstances, consiste, c'est bien connu, à consulter les petites annonces. Monsieur Desaint acheta donc Cynéhebdo, la plus célèbre des revues spécialisées.


Une annonce attira immédiatement son attention :
À vendre Super chien de races, sensible, grand nez, bonne oreille, arrête, rapporte, revient. 1000 euros, prix justifié.
Suivait un numéro de téléphone que monsieur Hubert Desaint, soucieux de ne pas laisser passer une affaire aussi exceptionnelle, composa aussitôt.
Le marché fut conclu sur le champ et monsieur Desaint envoya immédiatement le chèque convenu.

La merveille, que monsieur Desaint rebaptisa Filou 2, lui fut livrée la semaine suivante par transporteur spécialisé.
De prime abord, monsieur Desaint fut déçu.
L'aspect de son nouveau chien ne correspondait pas exactement à l'idée qu'il s'en était fait.
Hirsute, hargneux, loucheur, cagneux, geignard et baveux, le canidé avait bien piètre aspect.


Mais monsieur Desaint trouva immédiatement une raison d'espérer.
« Il ne faut pas se fier aux apparences » se dit-il et, comme une pensée ne lui venait jamais seule, il ajouta dans sa tête : « l'habit ne fait pas le moine. »
Monsieur Desaint décida donc de tester sa nouvelle acquisition sur le terrain dès le lendemain. « C'est au pied du mur qu'on voit le maçon ! » pensa-t-il encore.
Monsieur Desaint partit très tôt.
Dans le 4x4 de luxe qui servait de véhicule de loisirs à notre chasseur, le brave chien commença par renvoyer son diner de la veille, maculant et tachant les superbes coussins de cuir fauve.


« Les pur-sang sont des êtres fragiles » se dit l'homme dans sa grande tolérance.
Quand ils furent arrivés sur le terrain choisi, bousculant tout, le chien sauta du véhicule et partit en aboyant, crinière au vent, nez en l'air et ventre à terre.
Monsieur Desaint reprit espoir. « Il a immédiatement senti une piste, c'est un tout bon ! » jubila-t-il.
Sans heureusement prendre le temps de charger son arme ni de ceindre sa cartouchière, il tenta de le suivre.
Toute la matinée monsieur Desaint pista son chien, débusquant lui-même un lièvre et levant quelques perdrix que, son arme n'étant pas chargée, il ne put tirer.
Il siffla, appela, cria, jura, pesta, tempêta.
En vain. Filou avait filé.
L'après-midi, la soirée, la nuit défilèrent, Filou ne revint pas.
Au petit matin, Hubert Desaint dut se rendre à l'évidence : son chien avait bel et bien disparu et avec lui les 1000 euros du prix d'achat.
Fatigué, flapi, frustré, furieux de sa bredouille et de sa déconvenue, aussitôt rentré chez lui, monsieur Desaint sauta sur son téléphone et recomposa le numéro de la petite annonce.


Dès que son vendeur eut décroché, il l'apostropha :
— Qu'est-ce que c'est que cet animal que vous m'avez vendu ?
— Mais un chien, monsieur. N'était-ce pas évident ?
— Je vais vous poursuivre pour escroquerie, moi monsieur !
— Qu'est-ce qui peut vous laisser penser que vous avez été escroqué ?
— Votre annonce mensongère ! Ne faites pas l'innocent !
— En quoi mon annonce est-elle inexacte ?
— Mais en tout, monsieur ! D'abord ce n'est pas un chien de race !
— Un tiers fox à poil dur, un quart loulou de Poméranie, un huitième setter Irlandais, un autre huitième berger beauceron. Pour le reste, je crois qu'il a aussi un arrière-grand-père bulldog et une aïeule briarde.
— C'est bien ce que je disais ! Vous m'avez vendu un corniaud pour un chien de race !
— Un chien de races, au pluriel ! Relisez donc l'annonce !
— Oui, et bien parlons-en de votre annonce ! Je l'ai sous les yeux, votre annonce. Ce n'est qu'un tissu de mensonges !
Tenez, vous écrivez « sensible » or ce chien n'a rien compris à ce que j'attendais de lui !
Alors, selon vous, qu'est-ce que cela veut dire, sensible pour un chien, hein ?
— Cela veut dire qu'il ne supporte pas la voiture, monsieur. Il vomit dès qu'on veut l'y mettre.
— Je m'en suis hélas rendu compte !
Mais « grand nez » écrivez-vous, « grand nez » ! Il s'est montré incapable de retrouver son maître ou sa voiture ! Il n'a aucun flair ce chien !
— Qui vous parle de flair ? Quand j'écris « grand nez » je suis encore en dessous de la vérité. Comme vous avez pu le constater, il a un appendice nasal d'au moins vingt centimètres, c'est tout ce que j'ai voulu dire.
— Et la bonne oreille, hein, la bonne oreille ? J'ai sifflé, appelé, crié, il n'a rien entendu !
— C'est sûrement que vous étiez placé du côté de sa mauvaise !
— Vous affirmez qu'il s'agit d'un chien d'arrêt...
— Pas du tout ! Si j'ai marqué « arrête » dans mon annonce, c'est par pure honnêteté car à plusieurs reprises il a arrêté le facteur dans sa tournée en lui mordant le mollet. Le client doit bien être au courant des qualités et des défauts de ce qu'il achète.
— Vous dites que votre chien rapporte...
— VOTRE chien voulez-vous dire !
— Oui, si on veut, mon chien... Bref, j'aimerais bien savoir : comment ce corniaud qui n'a pas de flair et aucun sens de l'orientation peut-il rapporter ?
— À vous, je ne sais pas, mais à moi, il rapportait, je peux vous le certifier : les cailloux, les bâtons, les balles et même tout récemment 1000 euros...
— Je ne le sais que trop ! Et vous allez aussi me dire qu'il revient ? Hier, à la chasse, je l'ai appelé, appelé sur tous les tons, il n'est jamais revenu. Qu'est-ce que vous dites de cela ?
— A la chasse ?
Vous avez emmené ce chien à la chasse ?
Quelle idée d'emmener un chien de compagnie à la chasse ! Ça n'a pas de sens ! Vous l'avez appelé dites-vous, comment l'avez-vous appelé ?
— Par le nom que je lui ai donné bien sûr : Filou.
— Pas étonnant qu'il n'ait pas répondu, il s'appelle Super. C'était marqué dans l'annonce : SUPER !
Oh, justement le voici qui revient !


Super... Mon brave Super... Tu es revenu... Mais dans quel état es-tu mon pauvre Super ! Tes petites pattes qui saignent... Tu as dû marcher toute la journée et toute la nuit mon pauvre petit chien. Tu as sûrement été battu...
Mais à qui donc t'ai-je confié ?
Je crois que je vais porter plainte pour mauvais traitements envers un animal. Nous allons bien voir ce qu'en pensera la justice.
Je ne vous salue pas, monsieur Desaint ... Hubert !!!