IGRIS, comme tous les escargots, espérait toujours la pluie.
Pas seulement pour le bien-être qu'elle lui procurait : il attendait la pluie car il était amoureux ! Amoureux... du rouge de l'arc-en-ciel !
Cette couleur céleste, hélas inabordable, le ravissait, lui faisait voir la vie en rose, mettait du bleu dans son terne univers de petit-gris.
Un beau matin de mai, après la rosée, juste avant de rentrer dans sa coquille, Tigris leva machinalement les yeux vers le ciel et ô miracle ! Bien qu'il n'ait pas plu, le rouge était là, tout près de lui, enfin à sa portée, réel, charnel, matériel, sous la forme d'une fleur de coquelicot qui penchait amoureusement la tête vers lui.
Le gentil colimaçon sentit son petit cœur d'escargot accélérer lentement : son amour venait de prendre forme.
Fleur-bleue, Tigris voulut immédiatement monter déclarer sa flamme au rouge adoré et commença d'arrache-pied l'ascension de la tige barbulée soutenant la fleur de son cœur.
Il touchait presque au but quand, sous le poids de son soupirant, la tige du coquelicot s'inclina jusqu'au sol, obligeant notre petit escargot à lâcher pied.
Le limaçon ne perdit pas courage pour autant : il recommença... et rechuta.
Sept fois de suite il tenta de gravir son Everest, sept fois d'affilée, sur le point d'atteindre la félicité, il retomba lourdement sur le sol.
Si bien qu'à la septième chute, épuisé, il se retira dans sa coquille et s'assoupit sur place, remettant au lendemain ce qu'il n'avait pu faire le jour même.
Comment pouvait-il imaginer qu'il s'endormait dans le champ d'un coq ?
C'est un " toc toc toc " sur le toit de sa maison qui l'éveilla.
Tigris se hâta de sortir lentement la tête de sa coquille, leva timidement ses yeux protubérants en direction du bruit et là, nouveau miracle, il vit le rêve de sa vie, crête et barbillons écarlates, se pencher tendrement vers lui et l'engloutir d'amour.