ÉBASTIEN était un jeune adolescent un peu sauvage. Il adorait courir seul sur les chemins de campagne, sauter les ruisseaux, grimper aux arbres, marcher dans la forêt ou les prairies pleines de fleurs.
Quand il ne pouvait s'évader dans la nature, il aimait se promener dans les vallons du parc municipal et s'assoir sur le banc qui surplombait le stand des archers de la ville.
Là, quelques personnes équipées d'arcs vernis, splendides et compliqués, allaient et venaient dans des sentes bordées de buis, à l'abri des paravents de protection.
Sébastien ne voyait pas bien les cibles des tireurs - en partie cachées dans les cabanes des extrémités du stand - mais il entendait parfaitement les « tchoc » sonores des flèches se fichant dans les blasons.
Comme il aurait aimé...
Mais c'était un rêve. Jamais ses parents n'auraient les moyens de lui offrir la pratique de ce sport qu'il enviait.
Alors Sébastien décida de confectionner lui-même son arc. Un bel arc en bois de frêne, souple et puissant dont il sculpta soigneusement l'écorce. Une ficelle à lier les bottes de paille fit office de corde et les jeunes pousses rectilignes d'un noisetier lui fournirent les trois flèches indispensables à la réalisation de ses futurs exploits.
Un beau jour de juin, alors que les hirondelles chasseresses criaient leur bonheur dans le ciel bleu, Sébastien, arc et carquois croisés en bandoulière, partit à l'aventure. Il testa tout d'abord son adresse en visant le tronc d'un chêne. Certes la flèche ne se plantait pas mais le bruit mat de son impact ravissait le garçon. Puis il voulut estimer la force de propulsion de son arme en tirant en l'air sa volée de flèches, admirant au passage la courbe trajectoire des baguettes de noisetier.
Le troisième projectile qu'il décocha décida du cours de plusieurs vies. Le trait partit, tendu, puissant, jusqu'à 20 mètres de haut.
Il n'y avait pas une chance sur un million pour que cela arrive, mais, par malchance, cela arriva.
Le vol festonné d'une hirondelle au ventre blanc, en quête d'insectes pour ses petits nouveaux nés, croisa le trajet de la flèche.
Touché en pleine poitrine, l'oiseau tomba lourdement sur la terre dure du chemin, navrant le cœur sensible de Sébastien.
Le garçon se précipita, ramassa délicatement l'oiseau qui tressautait.
Elle n'est pas morte, je vais bien la soigner, je vais la guérir, pensa-t-il en caressant délicatement les plumettes soyeuses du ventre blanc de l'hirondelle. Tout à coup le corps de l'oiseau se mit à trembler, il crispa fortement ses petites pattes griffues sur un doigt du garçon puis ne bougea plus.
Sébastien compris que l'irréparable venait d'arriver...
Par sa faute !
Sa flèche malheureuse venait de prendre la vie de la pauvre hirondelle, sans compter celles de ses trois petits qui allaient au moindre bruit ouvrir en vain leurs petits becs affamés.
Alors, de désespoir, rageusement, Sébastien brisa son arc en deux.
À l'aide du plus petit des morceaux, il creusa un trou dans la terre meuble du bord du chemin, déposa délicatement le corps supplicié de l'oiseau, reboucha la tombe sur laquelle il repiqua de petites fleurs des champs.
Avec la ficelle il lia les deux bouts de son arc brisé, planta la croix improvisée dans le petit tumulus de terre, jeta ensuite dans un buisson ses flèches de noisetier.
À personne il ne raconta la raison de la tristesse qui dès lors ne le quitta plus.
Quelques semaines plus tard, errant dans le parc de la ville, machinalement Sébastien retourna s'assoir sur son banc favori.
Le premier « tchoc » qu'il entendit fit surgir dans sa tête le fantôme de l'hirondelle. Des larmes silencieuses s'échappèrent de ses yeux.
— Tu pleures mon garçon ?
Sébastien sursauta, tourna la tête : il n'avait pas vu venir l'homme porteur d'une longue sacoche de toile frangée.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? Dis-moi !
La voix était chaude, le ton chaleureux. Sébastien se sentit en confiance, il voulut partager son secret et sa peine. Il raconta tout : son envie d'apprendre, la pauvreté de ses parents, la confection de son arc, la mort de l'hirondelle, celle probable de ses petits, le bris de son arme...
— Tu veux toujours apprendre à tirer ?
— Je ne sais pas, monsieur, je ne veux plus tuer d'animaux.
— Il n'est pas nécessaire de tuer pour apprécier le tir à l'arc. Allez, viens avec moi mon garçon, je vais t'apprendre...
Trois ans plus tard, Sébastien devenait champion de sa région.